Éduquer au don !

11 Juin, 2013 | EDUCATION & ENSEIGNEMENT, SOCIETE

éduquer au donL’éducation n’est pas une science, tous les éducateurs le savent, et il n’est pas nécessaire d’avoir une grande expérience pour savoir que les mêmes causes entraînent rarement les mêmes effets. Car c’est de l’homme dont il s’agit. Petit d’homme, certes, mais homme quand même ! C’est bien lui qui est à la fois le sujet et l’objet de l’éducation. C’est lui, tout empreint de son mystère et de sa singularité, qu’il faut aider à grandir. Le mot « éducation» est directement issue du latin educatio, lui-même dérivé de ex-ducere qui signifie conduire, guider, commander « hors de ». Il s’agit de développer une liberté, de l’accompagner pour l’amener peu à peu à prendre pleinement possession de soi-même.

PAS D’EDUCATION SANS VISION ATHROPOLOGIQUE

Impossible donc, d’éduquer une personne si l’on n’a pas réfléchi d’abord à ce qu’est une personne humaine. Sans vision anthropologique, il n’y a pas de vision éducative : comment élever un enfant de la même façon si on croit qu’il existe une race supérieure ou au contraire que tous les hommes sont d’une égale dignité ? Même chose si on est convaincu que l’homme est un simple produit de l’évolution voué au néant ou si l’on croit qu’il est un être voulu et aimé par Dieu…

DE QUELLE ANTHROPOLOGIE PARLE-T-ON ?

Dans la tradition judéo-chrétienne, l’homme doit se comprendre selon trois perspectives qui sont complémentaires : le corps (soma, en grec) que nous recevons à la naissance et qui marque notre appartenance au monde qui passe, notre fragilité. L’âme ensuite qui participe à« l’animation » du corps, avec tout ce qui touche aux émotions, à la psychologie, aux sensations, à l’affectivité. L’esprit (nous ou pneuma) enfin qui est la fine pointe de l’âme. Il informe le corps (au sens où il lui “donne forme”) et il est le siège des facultés supérieures de l’homme : l’intelligence et la volonté.

Ces trois dimensions, l’homme doit les découvrir et les unifier dans l’acte du don. En contemplant la richesse et le mystère infinis de l’autre, la personne est appelée à les rejoindre à travers son propre don. Ainsi peut-on dire que l’homme ne se réalise vraiment et ne se trouve lui-même que par le don de sa personne. Et de sa personne toute entière : corps, âme et esprit. C’est ce que l’on pourrait appeler une « anthropologie du don ».

CONSTRUIRE SON UNITÉ INTÉRIEURE

« Dans son travail, dans ses relations, dans ses loisirs, dans sa vie familiale, l’homme a besoin d’être « un » et l’éducateur doit prendre garde de ne pas séparer ces trois dimensions »

Et le don passe par l’unité. Il n’y a pas d’un côté un corps qui prend plaisir ou qui souffre, un esprit qui raisonne ou qui décide, et une âme qui vibre et qui s’émeut.

Dans son travail, dans ses relations, dans ses loisirs, dans sa vie familiale, l’homme a besoin d’être « un » et l’éducateur doit prendre garde de ne pas séparer ces trois dimensions ou encore d’en exalter une en oubliant les deux autres.

Bien sûr, il n’est pas rare dans notre vie que le corps soit intéressé par une chose, que l’esprit en veuille une autre et que l’aspiration de l’âme se porte plutôt vers une troisième. Mais le danger est là. Quand les trois sont en conflit les résultats sont décevants et c’est une longue quête que celle qui consiste à accompagner un jeune dans cette recherche d’un équilibre toujours fragile et toujours à refaire.

DÉCOUVRIR L’IMPORTANCE DE LA VIE INTÉRIEURE

Il y a dans Bernanos une phrase terrible pour notre époque : « On ne comprend absolument rien à notre civilisation moderne si l’on n’admet pas d’abord qu’elle est une conspiration universelle contre toute espèce de vie intérieure »[1]. Et c’est vrai que notre monde ne favorise pas la méditation, ce moment de silence où l’on peut réfléchir, entrer en soi-même pour enraciner son désir et en faire jaillir une capacité créatrice.

De ce point de vue, il y a un vrai combat éducatif. Faire découvrir à un jeune que sa vie intérieure ne peut se limiter à ses émotions ou à ses affects mais qu’il a aussi une conscience par laquelle il se découvre comme liberté, capable d’intelligence et de choix.

LA FORCE DE L’ESPRIT

« Chacun peut constater combien l’ouverture aux questions spirituelles est absente de notre culture contemporaine »

Chacun peut constater combien l’ouverture aux questions spirituelles est absente de notre culture contemporaine. Sans un environnement propice, nulle chance qu’un enfant ne s’ouvre à ces questions et nombreux sont les jeunes qui vivent sans la moindre question existentielle.

C’est le rôle de l’éducateur de créer les conditions propices à l’émergence de ces questions. Il est un accompagnateur qui chemine au côté d’une personne qui possède une destinée spirituelle unique et mystérieuse. Son rôle est de l’aider à découvrir ce que Paul Ricoeur appelait son « identité-promesse », ce besoin qui « fait appel à l’intériorité de l’homme, lui fait refuser l’inhumain, l’invite à s’accomplir dans une recherche de transcendance et à donner du sens à son action, le met à l’écoute des autres et le porte à donner, échanger, recevoir[2] ».

Ainsi peut-on conclure qu’à une anthropologie du don correspond une éducation au don. L’éducation d’un jeune consiste donc à l’ouvrir à ce mystère du don dans lequel il pourra réaliser sa propre vocation à la liberté. Et c’est cette pédagogie de la liberté si présente dans le scoutisme qu’il faut mettre en œuvre : apprendre à être soi-même dans un groupe, assumer la responsabilité du choix qui a été posé, aimer même ce que je n’ai pas choisi car « si le grain de blé ne meurt pas, il reste seul, mais s’il meurt, il porte beaucoup de fruits ».



[1] La France contre les robots, Laffont 1947

[2] Soi-même comme un autre, Seuil 1990

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