Heureux comme un cochon en forêt : quand les porcs sont élevés en pleine nature

16 Nov, 2023 | AGRICULTURE, NATURE & ENVIRONNEMENT

Ici, on s’intéresse au cochon ! Pourquoi ? Comment ? Découvrez un éleveur qui a décidé de faire du bien à ses bêtes, en leur permettant de vivre plus longtemps que dans les élevages industriels intensifs et dans des conditions bien plus agréables : Pierre Arcan, membre de l’association Diversité porcine en région Auvergne Rhône-Alpes (DIV’ PORCS AURA).

Qui est Pierre Arcan ?

Pierre Arcan : “J’ai 75 ans, je continue à travailler à temps plein de manière bénévole exclusivement dans le domaine de l’agriculture. Et donc je m’occupe de Diversité porcine Auvergne Rhône-Alpes(DIV’ PORCS AURA) et j’accompagne d’autres agriculteurs dans leurs activités.

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Un voyage de noce en Espagne et une vocation nait

J’avais emmené ma femme en Espagne pour notre voyage de noce. En souvenir, nous avions ramené un jambon, bien caché sous le siège de la voiture – à l’époque, il était interdit de faire transiter ce type de marchandise !

C’était un tel régal que je me suis posé la question : pourquoi ne produisions nous pas de tels produits en France ? Et surtout pourquoi les cochons n’étaient pas élevés de cette façon ? Cette expérience m’a donné envie de me lancer dans l’agriculture. Ce n’était pas la première fois que cette aspiration naissait en moi mais rien n’avait encore pu se faire.

Autre source de motivation : remettre le consommateur au cœur du débat ; il était absent de tout dialogue, de toute concertation. On lui proposait des produits, c’est tout. Or, le consommateur est nécessairement concerné de près par toute l’activité agricole : il en sera toujours au bout de ligne !

porc plein air (en hiver) Pierre Arcan

S’installer en agriculture, enfin !

J’ai pu réaliser mon rêve en 1995 : installer mon activité agricole dans l’Ain.

De fait, je me suis aperçu qu’il existait de nombreuses terres agricoles abandonnées dans ces régions. Il suffit d’aller voir le maire et de lui demander s’il a des surfaces à vendre. Souvent, ce dernier est trop heureux de voir sa région vivre et des personnes s’y installer, d’autant plus quand le projet proposé respecte la nature et l’environnement.

Plein air intégral & durée de vie allongée

En 2018, j’ai assisté à une conférence de l’association DIV’ PORCS AURA qui rassemblait éleveurs, membres de l’IFIP (l’institut du porc) et des représentants syndicaux, animée par son fondateur : l’agronomiste Antoine Marzio. Le projet était intéressant mais j’ai pris conscience qu’on allait retomber dans les même errances de l’élevage intensif ; les sujets importants n’étaient pas abordés : revenu de l’agriculteur, plaisir du consommateur et bien-être animal, entre autres.

J’ai donc fini par imposer deux choses à l’association : une durée de vie minimale pour le cochon et une existence en plein air intégral, sur des surfaces adaptées.

Pour trouver la surface adéquate, je me suis inspiré de lectures datant du XIX° siècle. Y était mentionné qu’il fallait respecter le quota de 3 cochons à l’hectare pour qu’ils aient la possibilités de se nourrir quasi exclusivement de ce qu’ils trouveraient sur le terrain. Aujourd’hui, pour des raisons de morcellement de terrain, principalement, il est difficile de n’avoir que 3 cochons à l’hectare, j’ai donc décidé de me baser sur mon expérience d’éleveur et de proposer 10 cochons à l’hectare. Avec ce chiffre, À titre de comparaison, le Label Rouge impose un maximum de 120 cochons / hectare.

Quand on parle de “plein air”, en France, il s’agit en réalité de cochons qui passent 110 jours en bâtiment et 70 jours en extérieur. Voilà pourquoi j’insiste sur le terme “intégral” de nos pratiques de plein air. Les éleveurs de notre association laissent leurs cochons vivre toute leur vie dehors. C’est ce qui leur convient le mieux ! Et c’est également bénéfique pour les forêts qui les héberge car les porcs les nettoient : les risques d’incendies en sont amoindris et ça améliore la croissance de arbres

Concernant la durée de vie minimale, il faut s’avoir qu’en France les cochons sont abattus à l’âge de 6 mois. Pourquoi ? Une raison purement productiviste : c’est le moment où la courbe de croissance de l’animal commence à baisser par rapport à sa courbe d’alimentation qui continue à monter. Sur le plan économique, on peut donc comprendre que ce soit moins intéressant pour l’éleveur de continuer à faire vivre le cochon au-delà de 6 mois. Alors certes, ça ne fait pas une viande délicieuse, mais au moins, c’est accessible pour les consommateurs.

Cela dit, en Espagne, des éleveurs me disaient que l’âge minimum d’abattage était de 12, voire 14 ou 18 mois. Il me semblait que c’était bien plus intéressant pour l’animal de pouvoir vivre deux à trois fois plus longtemps ! J’ai donc imposé, dans le cadre de DIV’ PORCS AURA, que les porcs ne soient jamais abattus en dessous de 12 mois.

La forêt : l’habitat naturel des cochons

Dans notre charte, on préconise d’avoir au moins 50 % de forêt pour l’élevage des porcs ; on pourrait appeler ce type d’élevage de l’agropastoralisme, voire de sylvopastoralisme.

C’est très bon pour les cochons d’avoir une alimentation diversifiée ; en plein air intégral, ils se nourrissent des végétaux disponibles sur le terrain : mûriers, fruits et feuilles comprises, glands quand c’est la saison, etc. Le gros avantage, c’est que certaines plantes, comme le chêne, ont des vertus anthelminthique – qui luttent naturellement contre les parasites et les vers – ce qui permet d’avoir des cochons en pleine santé. Il y aura donc peu de traitements curatifs nécessaires ; les porcs élevés ainsi en liberté ayant très peu de maladie. Le taux de mortalité s’élève à 5 %.

Cerise sur le gâteau : le plein air intégral permet aux cochons de se dépenser physiquement, ce qui sera un véritable atout pour la qualité de la viande.

porc plein air Pierre Arcan

DIV’ PORCS AURA : une aide précieuse pour les éleveurs membres

Au sein de DIV’ PORCS AURA, nous apportons un appui technique aux éleveurs pour mettre en place un élevage qui correspond à leurs aspirations profondes : en plein air intégral, sur des surfaces suffisamment étendues pour le bien-être de leurs cochons. On va également épauler les éleveurs pour monter leur compte d’exploitation, afin d’être au clair sur tous les investissements possibles…

On offre une aide à la commercialisation, en trouvant des débouchés : un contrat avec un salaisonnier ou un boucher par exemple.

Pour nos membres qui souhaitent se lancer dans la vente directe, on va les accompagner pour définir leur politique de prix. Et on leur fournit tout le matériel de communication pour expliquer aux consommateurs ce qu’ils vont avoir dans leur assiette grâce à cet éleveur : un produit de grande qualité !

Le cycle de vie du cochon

Pour une truie, un cycle dure 115 jours ; après avoir mis bas s’ouvre un cycle de 21 jours, suite à quoi elle aura à nouveau ses chaleurs. Au sein de DIV’ PORCS AURA, nous recommandons une période de 63 jours de repos avant la nouvelle saillie. En milieu industriel, la truie est inséminée artificiellement après ces 21 jours. C’est horrible !

porc plein air Pierre Arcan

Chez nos éleveurs, les porcelets restent 45 jours avec leur mère et d’autres petits avec leurs mères. Cela facilite la surveillance et si certaines truies ont plus de lait que d’autres, elles peuvent ainsi partager. Puis entre le 45ᵉ et le 60ᵉ jour, ils seront placés dans un autre parc en plein air, avec quelques congénères. Ces parcs font en moyenne 3 à 4 hectares – soit 30 000 à 40 000 mètres carrés – avec des bois et des prés. Ils vivent alors à leur rythme et décident quand bon leur semble s’ils veulent venir au point d’eau, aller dans leur cabane, venir manger…

La mort, étape de la vie du cochon

Quand on parle d’élevage, on pense forcément à la mort de l’animal. C’est la première étape que doit passer l’éleveur avant de se lancer : accepter la mort.

Il faut l’accepter pour qu’elle se passe le mieux possible. Ce qui est intéressant lorsque vous abattez l’animal à la ferme, c’est que, dans la minute qui précède, il ne sait pas que vous allez le tuer. Le cochon n’a donc aucun stress. Et c’est véritablement ce qui compte, le fait de supprimer le stress. Quand les animaux vont à l’abattoir, ils se retrouvent dans un endroit inconnu, dans une odeur terrible, entourés d’un tas de bruits, notamment les cris d’autres animaux en stress. Cette fin n’est pas celle que l’éleveur souhaite pour ses bêtes.

Un jour, une vétérinaire m’a dit que ça serait formidable si tous les éleveurs pouvaient abattre leurs animaux directement sur le lieu de l’élevage. Car lorsque vous vous en occupez, la vie s’en va sans cri, parce que vous réalisez l’acte avec le maximum de bienveillance possible.

La relation homme-cochon

Les cochons viennent très facilement vers les humains ; ils ne sont pas du tout craintifs, bien au contraire !

Les visiteurs de notre ferme pensent parfois que nous sommes des magiciens : il suffit de gratter les cochons derrière l’épaule et les voilà qu’il se couchent, pour réclamer plus de caresses !

Il y a donc une relation vraiment sympathique avec le cochon.

Éleveur, un métier difficile mais noble

Être éleveur est un métier très noble qui nécessite d’être rémunéré de manière juste. Ces personnes travaillent généralement de 55 à 60 heures par semaine. Même si, pour la plupart, ils prennent un vrai plaisir à s’occuper des bêtes, est-ce pour autant que l’on doit les sous-payer ? Non, bien sûr !

Il faut accepter le prix de certains produits, parce qu’ils permettent de rémunérer les éleveurs et aux bêtes de vivre une belle vie. Il s’agit sans doute de consommer moins de viande, pour équilibrer le budget.

Une viande plus saine ?

Il y a deux façons de considérer qu’un animal est sain : soit parce qu’on a éliminé toute maladie au fur et à mesure qu’elles apparaissaient – c’est ce sur quoi repose le modèle de l’élevage industriel – soit parce qu’il n’y a jamais eu de maladies, comme dans notre modèle d’élevage. Personnellement, je préfère consommer ce deuxième type de viande !

Par ailleurs, j’ai la conviction – basée sur mon éthique personnelle et non sur des données scientifiques – qu’il est préférable de consommer la viande d’un animal qui a été élevé en pleine nature, avec un accès permanent à l’herbe, relativement libre plutôt que celle d’une bête qui a passé toute sa vie stressée, dans un bâtiment baigné de lumière artificielle et du bruit constant de la ventilation et des autres animaux présents…”


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