Jaël, amnésique : vivre le présent, après avoir tout oublié

27 Sep, 2022 | TEMOIGNAGES

Jaël a une quarantaine d’années. Après une opération, elle se réveille en ayant oublié 40 ans de vie… Événement traumatique s’il en est, qu’elle choisit de dépasser en s’émerveillant de chaque découverte – dont la résilience de l’être humain. Elle raconte.

Souffrir d’amnésie rétrograde

Jaël : “Jai 42 ans. Il y a 11 mois, suite à une intervention neurochirurgicale pour traiter un anévrisme cérébral, je me suis réveillée en ayant oublié la totalité des années précédant l’opération en question…

À l’hôpital, ce matin-là, je ne savais pas qui j’étais, ce à quoi je ressemblais et où je me trouvais. J’ai donc cherché des réponses auprès de ceux qui m’entouraient. L’équipe médicale s’en est inquiétée et a réalisé quelques examens neurologiques supplémentaires. Le verdict est tombé, sans appel : mon amnésie était totale, c’est ce que l’on appelle une amnésie rétrograde.

Mon angoisse monte : qui suis-je donc ? Mon identité est un sujet particulièrement sensible. Et j’ai oublié tout ce qui a trait à ma famille, mon enfant, mon compagnon, mes amis : qui sont ces personnes ? Toute relation est à recréer, avec la nouvelle femme que je suis.

Sortir de l’hôpital et découvrir le monde

De ma chambre d’hôpital parisien, je voyais un objet que je n’arrivais pas à identifier, passer régulièrement sous mes fenêtres. Cela rythmait mes journées et, parfois, je me demandais à quoi cela pouvait bien servir. J’ai découvert plus tard que c’était le métro.

J’ai oublié tout ce qui est lié au transport : voiture, métro, bus… J’ai dû tout réapprendre. En rentrant à mon domicile après l’hôpital, je me souviens encore de ma surprise dans le taxi : comment donc cet engin fonctionnait-il ?

Cette anecdote anodine pour dire qu’à ma sortie d’hôpital, j’ai vécu des expériences très fortes, parfois liées à l’usage d’outils banals du quotidien (téléphone portable, télécommande, frigo…), qui m’ont fait percevoir mon décalage vis-à-vis du monde actuel.

Les souvenirs qui restent

Ce qu’il y a de particulier dans l’amnésie rétrograde, c’est que tout n’est pas forcément oublié. Je me suis renseignée sur la mémoire : en fait, quand on dit “perdre la mémoire”, ça n’est pas une expression parfaitement appropriée car on a plusieurs types de mémoire. Ainsi, ma perte mémoriel a été évaluée à 90 % ; je me suis réveillée en sachant parler (même si j’ai oublié énormément de vocabulaire), lire, comprendre les chiffres, marcher… Au bout de quelques jours, j’ai même découvert que je savais manger avec des couverts ! Pour autant, je ne savais pas les nommer ni comprendre à quoi ils servaient, hors contexte…

Faire le deuil de “l’avant” et accueillir l’élan vital

À travers cette expérience d’amnésie, je me suis rendue compte que l’on me parlait beaucoup de la perte : « perte de mémoire », « perte mémorielle »… Il y a toutes ces choses que l’on n’a plus ; la mémoire est comme vidée, envolée, c’est la page blanche. Beaucoup des mots employés dans ce contexte ont une consonance plutôt négative. De fait, dans mon cas, je n’ai plus mon vécu, mes souvenirs, mes apprentissages, mes goûts, mes ressentis…

Malgré (ou grâce à) cela , je prends petit à petit conscience qu’en chaque être humain, il y a une énergie que l’on sous-estime souvent. Nous avons des capacités incroyables à prendre sur nous, à avancer. J’ai récemment découvert le terme résilience ; je trouve que c’est un joli mot ! Il exprime bien ce que l’homme peut surmonter et transcender.

De mon côté, pendant 3 ou 4 mois suite à ma sortie d’hôpital, j’ai vécu “dans le noir”. Vivre avec mon amnésie me renvoyait mille fois par jour à la perte, à ce que je n’avais plus, à la méconnaissances des personnes censées être proches, des choses censées être évidentes, de ma vie professionnelle censée être pleinement maîtrisée à l’âge que j’avais, etc.

Pour autant, on sent au fond de soi une force qui nous permet d’avancer, de nous dépasser. À un moment donné, il faut l’accepter, cette force, et puis l’assumer. Voilà comment, moi, j’ai fini par accepter de me dire que je ne serai plus celle que j’avais été et que ce n’était pas si grave. Mon entourage me renvoyait cette image d’avant, que, visiblement, il appréciait. Il a donc fallu accepter de faire le deuil de celle que j’étais, même s’il reste certainement des caractéristiques de cette autre personne au fond de moi !

Faire du traumatisme amnésique une source d’émerveillement

J’essaye aujourd’hui de regarder les choses avec l’œil nouveau qui est le mien. Beaucoup de personnes me disent : “Tu vas redécouvrir tes proches, tu vas retourner au travail, tu vas re-t’émerveiller de telle ou telle chose…”. En réalité, le « re » pour un amnésique n’existe pas ! On est dans la découverte de soi, des autres, du monde et cette découverte s’accompagne forcément d’un émerveillement. Je dis forcément parce quand on n’est pas blasé des choses quand on ne les a jamais vues ; on a un regard d’enfant.

Au départ, les médecins ont rapproché mon état à celui d’un enfant de 8 à 10 ans. Si j’ai un certain niveau de connaissance et de réflexion, tout ce que je découvre, c’est donc avec une sorte de candeur enfantine. Je peux m’émerveiller de tout comme d’un rien ! Et ça, c’est une des opportunités que nous offre l’amnésie, je trouve.

Loin de moi l’idée de vouloir enjoliver un état qui est très difficile à vivre. Pour autant, il y a un côté positif, dans cet enchaînement de premières fois que l’on peut exprimer. Cette positivité-là, j’ai voulu l’exprimer via les réseaux sociaux, qui permettent de toucher de nombreuses personnes différentes.

En tant que tel, je ne suis personne – j’ai une vie tout à fait banale – et pourtant, je sais que la partie extraordinaire de mon histoire peut toucher des gens. Les réseaux sociaux sont un excellent canal pour partager mon quotidien, mes doutes, mes questionnements, pour transmettre des messages et faire passer des idées, et donc, aussi, diffuser mes émerveillements et me rendre compte que je ne suis pas la seule à m’émerveiller des choses !

Partager des choses que peut-être les gens ne voient plus, à force d’habitude et enrichir mon regard grâce aux interactions que je peux avoir en ligne. Je découvre le monde qui nous entoure et je me rends compte à quel point c’est beau ! Je viens de vivre presque ma première année – je n’ai pas encore vu la neige – mais quelle chose incroyable que les saisons ! Quel sublime spectacle que le coucher du soleil ! Et pour le coup, pas juste pour faire joli sur Instagram ! Regarder, vraiment, avec ses yeux, se laisser gagner par des émotions (qui, pour moi, sont nouvelles) et voir ce que ça génère en nous !

Comprendre à quel point on est peu de chose, qu’il faut être très humble dans la vie, que ce soit au niveau de la nature ou de la vie tout court, mais à quel point, aussi, en étant peu de chose, on peut avoir un impact important sur ce qui nous entoure.

La jeunesse : autre source de joie

Parmi les choses qui m’ont émerveillée, notamment à travers les réseaux sociaux, c’est le contact que j’ai pu avoir avec la jeune génération.

Pour moi, l’âge n’a aucune valeur puisque je vais bientôt souffler ma première bougie ! On me rattache facilement à une génération dont je n’ai pas les codes et que je ne comprends pas. Or, mes questionnements – qu’ils portent sur la société, sur l’environnement ou sur le rapport aux autres- ont trouvé un bel écho auprès des jeunes.

J’ai été agréablement surprise par cette génération – 15-25 ans – qui se posent de vraies questions. Ils ont envie de bouger les lignes, notamment au sujet de l’environnement ! Il m’est arrivé de trouver plus de compréhension vis-à-vis de ma situation auprès de jeunes que de ceux de ma génération qui sont peut-être déjà tellement construits dans les codes sociaux dans lesquels ils vivent, qu’ils semblent avoir plus de mal à changer de posture et s’ouvrir à d’autres visions du monde. Je ne porte aucun jugement, bien sûr !

Un endroit où il fait bon vivre, aujourd’hui

Concernant la planète, moi, je la reçois dans l’état où elle est aujourd’hui. Et je ne peux que constater les dégâts. Je ne rentre pas dans les débats du type “c’était mieux avant”. Mais quand j’entends des personnes de ma génération s’interroger avec effroi : « Quelle planète laisse-t-on à nos gamins ? », je pense immédiatement : “quelle planète laisse-t-on tout court ?”

C’est aujourd’hui et maintenant que j’ai envie de profiter de cette Terre ! Que puis-je faire pour qu’elle soit aujourd’hui agréable à vivre ? Quels nouveaux chemins emprunter ? Pour cela, les jeunes sont une vraie source de soutien, d’encouragement et d’espoir.

Regarder l’humanité avec bienveillance

Cet accident de vie a complétement chamboulé tout ce que l’on pensait connaître ou croire de moi. De mon côté, j’ai dû réapprendre, avec parfois quelques difficultés (mais aussi de franches rigolades), les interactions avec les autres et le rapport à moi-même.

Deux choses sont, pour moi, très marquantes : le manque de bienveillance entre les êtres humains. Je sais que ce mot a été trop ou mal dit mais, pour moi, la bienveillance est une valeur fondamentale pour bien vivre avec les autres et avec soi-même ; nos actes ont des conséquences beaucoup plus importantes qu’on ne l’imagine sur nous-mêmes et les personnes qui nous entourent.

Je trouve également que l’on manque de gentillesse. Pour moi, la gentillesse, comme la noblesse du cœur, est une vraie qualité qui n’est pas à prendre à la légère ! Être simplement gentil, bienveillant, porter un regard sans jugement sur l’autre, ça change beaucoup, beaucoup, beaucoup de choses !

En même temps, je me suis rendue compte de la capacité incroyable que l’on avait à surmonter les pires événements. J’ai réappris ces derniers mois ce qu’était l’esclavage, la seconde guerre mondiale, les camps de concentration… Quand je lis moi ces histoires, j’ai l’impression que je n’aurai jamais pu surmonter ce qu’ils ont vécu. Or, quand je parle de mon histoire, des réagissent en disant qu’elles n’auraient jamais pu surmonter cela.

On a en nous une force, un courage, des capacités insoupçonnés. Je le pense parce que je le vis – je ne dis pas ça pour faire joli. Pour autant, il faut être lucide, on n’est pas tous des héros du quotidien. Je peux être très lâche face à des choses qui peuvent paraître bénignes et courageuse sur d’autres plans. Mais il faut se faire confiance.

Moi, je sais aujourd’hui que je peux me faire confiance (ce qui n’empêche évidemment pas de nombreuses erreurs potentielles !). Mais le courage que j’ai, je ne le puise pas dans l’amour de mes proches puisque c’est un amour que j’ai du mal à ressentir et à exprimer, ni dans ce qui m’entoure. Je ne peux le puiser qu’en moi-même. Et cette force-là, on l’a tous en nous !

Et parfois, l’autre, par un geste parfois anodin – un sourire, un mot gentil, une belle action – regonflera ce courage qui vous soutient. Ce petit coup de pouce peut changer une vie. Et ça, de ce que j’en comprends, c’est le propre de la nature humaine : on est capable de soulever des montagnes, de réaliser des choses merveilleuses ! Encore faut-il croire en nous et s’émerveiller de ce qui nous entoure.”


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