La menuiserie solidaire : quand l’artisanat devient facteur d’insertion sociale

28 Avr, 2021 | FAMILLE, SOLIDARITES & SOCIETE, TERRITOIRES VIVANTS, TRAVAIL

Dans le cadre du forum Territoires Vivants 2021, dont le fil rouge était l’Eure-et-Loir, Tugdual Derville, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, a interviewé Laurent-Stéphane Tardy, fondateur de la menuiserie solidaire. Un parcours de vie époustouflant.

Laurent-Stéphane Tardy : “La menuiserie solidaire est une histoire humaine qui a commencé il y a une bonne dizaine d’années. Cette histoire a débuté suite à un accident – il faut toujours un déclic dans une histoire humaine – qui m’a laissé 4 mois à l’hôpital avec uniquement la main gauche qui bougeait. Après 4 mois, j’ai réussi à m’en sortir. Ça a été 4 mois de réflexion où je me suis dit qu’il fallait peut-être changer de plan de carrière, d’orientation. 

J’avais des problèmes de mémoire suite à l’accident. Je bloquais sur des mots que j’avais perdu, que je ne comprenais plus. En l’occurrence, je bloquais sur le mot caritatif – j’ai trouvé curieux de bloquer sur ce mot-là et l’ai donc inclus à ma réflexion. 

Et puis, après quelque mois, une image – j’ai vu quelqu’un jeter une palette dans un compacteur, à côté d’un entrepôt – a provoqué le dernier déclic qui m’a lancé dans le fait de travailler dans l’écologie, le recyclage, lié au handicap et à la réinsertion.

Au bout de mois de réflexion, j’ai créé une association, monté une activité et – surtout – prouvé que l’on peut être cloué au lit et capable, au bout de quelques mois ou années, de développer un concept, de s’en sortir. 

Au début, je faisais ça à côté de mon boulot – je continuais mes occupations et travaillais en Europe, Belgique, Espagne… un peu partout. Je dirigeais cette association tout seul, j’étais le seul opérateur. Je fabriquais des petites jardinières dans mon garage. Très rapidement, j’ai été aidé par une personne handicapée. Ensemble, on a démonté pas mal de palettes, du bois de coffrage… Je ne vais pas vous raconter l’histoire en détails parce qu’il faudrait une heure !

Si on va très vite, presque 10 ans après, on est 18 salariés – dont 12 personnes handicapées que j’ai recrutées dans un ESAT. Je suis consultant en stratégie d’entreprise, donc il m’a été facile de monter l’ESAT et de le mettre sur une activité de recyclage. Aujourd’hui, les 12 personnes recyclent 20 m3 de bois par semaine et fabriquent des tables de pique-nique, des carrés potagers, etc. 

À côté de ça, il y a un atelier de création artisanale qui emploie 6 personnes. On a dû déménager parce que l’on était très vite trop à l’étroit dans l’atelier d’origine ! On a acheté un atelier à Dreux, dans l’Eure-et-Loir. C’est un endroit bien placé, pas loin de la région parisienne, de la Normandie. C’est un territoire dynamique. 

On a développé une clientèle de particuliers, de professionnels et de collectivités. Si la menuiserie solidaire a pour objet la menuiserie, la véritable activité est de réinsérer des êtres humains, des personnes handicapées ou en réinsertion professionnelle. Ce ne sont pas des prisonniers, plutôt des gens qui ont du mal dans leur parcours professionnel, des gens qui sont en fin de droit – qui se disent qu’ils ne vont jamais réussir à trouver quoi que ce soit. Or, ils ont juste besoin de retrouver un rythme de travail. 

Je suis assez dynamique, ce qui fait que j’assiste beaucoup les gens sur leurs projets, leur réinsertion. Un menuisier, chez nous, ne reste que quelques mois – normalement, il ne dure pas plus d’un an parce que si c’est le cas, c’est que quelque chose n’a pas fonctionné. On établit un cahier des charges très clair avec les employés, avec une espèce de contrat de réinsertion comprenant des engagements de part et d’autre. 

Surtout, les personnes reprennent une méthode de travail : être ponctuel, assurer un service. Quand mes opérateurs reviennent d’un chantier, la première question que je leur pose n’est pas : ça c’est bien passé ? Mais est-ce que le client est content ? C’est seulement lorsqu’ils me répondent par l’affirmative, que l’on peut aborder les détails du chantier.”

Tugdual Derville : j’ai envie de revenir sur votre histoire : Peut-être est-ce surprenant – ou pas – que ce soit un moment de drame ou de difficulté qui ait fait naître cette initiative. Que s’est-il passé pour que vous basculiez dans un projet si fécond, alors que vous viviez les conséquences d’un accident très inquiétant ?

L-S. T. : “Autant vous dire que les premiers jours, quand je me suis réveillée du coma, le temps de me remettre en route, j’ai été surpris de ma situation. Tout de suite à germé l’idée : si je suis en vie, ça va servir à quelque chose. Je ne suis pas spécialement croyant, je ne suis pas religieux. Mais je me suis dis, il y a eu un truc, je ne suis pas resté en vie pour rien parce que ça n’est pas normal de réchapper à un accident comme j’ai eu – être tamponné par une voiture en scooter. 

Après que j’ai pu remettre en route mon corps en partie reconstruit sur la droite – l’endroit du choc – j’étais déjà animé par le fait qu’il faut que ça serve à quelque chose. 

C’est une réflexion totalement différente des 36 ans précédents où je ne réagissais que pour ma carrière et mes perspectives de vie. L’idée était de rentrer un peu dans le monde du handicap parce que mine de rien, je suis devenu handicapé. Si je suis quelqu’un de très dynamique, avec un potentiel d’entrepreneur connu et reconnu maintenant, autant que ça serve à d’autres. 

Pourquoi une association plutôt qu’une entreprise ? Parce que ça n’est pas un projet à but lucratif. Mon fioul, c’est la satisfaction de voir les gens à l’atelier, les personnes avec lesquelles je travaille plus largement,, ce forum que l’on fait aujourd’hui. Voir que ce que l’on fait sert à quelque chose. Le succès, c’est écouter le discours de Jennifer, une ancienne agent de saisie qui travaillait en call-center, qui est devenue sourde et a donc été dégagée comme une malpropre de sa boîte parce qu’elle ne faisait plus l’affaire. Jennifer n’avait aucune formation et s’est posée de graves questions par rapport à son travail. Aujourd’hui, Jennifer fait une formation de comptable, un métier qu’elle a découvert chez nous et elle pratique son métier dans cinq entreprises différentes.

Ce qui est important quand j’explique ce concept, c’est la conclusion. La menuiserie solidaire passe à une vitesse supérieure puisque l’on va exporter le système eurélien en Normandie, sur une plateforme de presque de 4 000 m² où l’on fera 10 recrutements. 

L’idée est de se dire qu’avec très peu de moyens, on y arrive. Si on a l’idée et que l’on est un minimum organisé : c’est possible !” 

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