La résilience, moteur du succès ?

5 Avr, 2024 | PHILOSOPHIE, TRAVAIL

Pierre d’Elbée, docteur en philosophie, intervient depuis de nombreuses années au sein d’organisations professionnelles et associatives. Il est également l’auteur de plusieurs ouvrages, notamment Affronter les coups du sort, petit traité de résilience aux éditions Artège (2024). Il revient sur l’importance de la résilience en se basant sur un discours de Jensen Huang, PDG de Nvidia.

La douleur est l’auxiliaire de la création.
Léon Bloy

La résilience, clé de la réussite ?

C’est ce qu’affirme tout récemment Jensen Huang devant les étudiants de Stanford : « Les personnes ayant des attentes très élevées ont une très faible résilience. Et malheureusement, la résilience est importante dans le succès. Je ne sais pas comment vous l’apprendre sauf que j’espère que vous rencontrerez la souffrance. Et donc si je pouvais vous le souhaiter — je ne sais pas comment le faire — pour vous tous, étudiants de Stanford — je vous souhaiterais de grandes doses de douleur et de souffrance ! »

Jensen Huang n’est pas n’importe qui : l’homme à la veste en cuir est patron de Nvidia. Originaire de Taïwan, son entreprise de puces graphiques a failli disparaître. Il a dû licencier la moitié de son personnel (1995) pour la sauver. Mais sa résilience l’a conduit à un incroyable succès, Nvidia se hisse aujourd’hui au troisième rang des plus grosses capitalisations mondiales derrière Microsoft et Apple.

De fortes attentes sont-elles un obstacle à la résilience ?

On sait que la culture américaine valorise les vertus de l’échec comme condition sine qua non de succès professionnel, au détriment d’un esprit typiquement français qui privilégie ceux qui réussissent sans échouer.

Dans la Silicon Valley, on vante le « fail fast, learn fast » : échoue vite, apprends vite. Alors qu’en France, on préfère le « fast track » : mets-toi vite sur de bons rails. Mais Jensen Huang semble aller plus loin encore : non seulement l’échec est formateur, mais des attentes fortes empêcheraient une bonne résilience et donc fermeraient la porte au succès.

Qu’est-ce qu’avoir des attentes ?

« L’un de mes grands avantages est que mes attentes sont très faibles » dit-il. Qu’entend Jensen Huang par attentes (« expectations ») ? « La plupart des diplômés de Stanford ont des attentes très élevées, poursuit-il. Et vous méritez d’avoir de grandes attentes parce que vous venez d’une grande école. Vous avez eu beaucoup de succès. Vous étiez le premier de votre classe. De toute évidence, vous avez pu payer les frais de scolarité. Et vous obtenez votre diplôme dans l’une des meilleures institutions de la planète, entouré d’autres jeunes qui sont tout simplement incroyables. Vous avez naturellement des attentes très élevées. »

Il me semble donc que les attentes désignent pour lui les excellents résultats attendus en raison d’une position privilégiée, d’un talent véritable et d’une intelligence supérieure…

Le désir va au-delà des attentes

« You want greatness out of them » : « Vous visez la grandeur. Et la grandeur n’est pas l’intelligence. La grandeur vient du caractère. Et le caractère n’est pas formé par des personnes intelligentes, il est formé par des personnes qui ont souffert ».

Il me paraît significatif que Jensen Huang parle de grandeur plutôt que de succès ou de résultats. La grandeur n’est pas seulement une affaire de quantité et de calcul, mais de désir. Et le désir se forge à l’aune d’un projet dont la valeur est intrinsèquement liée à de la souffrance pour le mettre en œuvre. Jensen Hang affirme non sans un brin d’humour « Aujourd’hui encore, j’utilise l’expression “douleur et souffrance” au sein de notre entreprise avec beaucoup d’enthousiasme — “Bon sang, cela va causer beaucoup de douleur et de souffrance” — et je l’entends d’une manière heureuse parce que vous voulez former, vous voulez affiner, le caractère de votre entreprise ! ».

Pas de désir sans résistance à l’épreuve

Au-delà de la rhétorique provocante de Jensen Hang, dans son opposition frontale à l’hédonisme ambiant, et sa valorisation étonnante de la souffrance que d’aucuns pourraient interpréter en termes de dolorisme, ce type de discours me paraît stimulant : la grandeur, la magnificence d’un projet a largement disparu de nos horizons professionnels au profit d’intérêts financiers ou personnels.

Et pourtant, servir quelque chose de grand est le secret désir d’un grand nombre de professionnels, qui cherchent un « plus » pour leur entreprise, pour leurs clients, et finalement pour eux-mêmes. Le désir devient l’énergie de l’affrontement, car rien de grand ne se fait facilement.

L’échec, la menace de l’anéantissement, la souffrance nous confrontent à nos limites, mais n’est-ce pas en touchant nos limites que nous pouvons les repousser ? Les résultats ne sont que la récompense de cet effort passionné.


Poursuivez votre voyage aux côtés de Pierre d’Elbée avec son dernier article : Le lys du feu : symbole de résilience

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