La Veillée : se mettre à l’écoute de l’extraordinaire

21 Mar, 2023 | ART & COMMUNICATION

La Veillée est un spectacle, parent du stand up, où six invités se voient offrir l’occasion de raconter une histoire personnelle, en 12 minutes. Patrick Baud, co-organisateur avec Damien Maric, de cet événement, en raconte l’origine et les objectifs.

La Veillée : le concept

Patrick Baud : “Sur scène, lors d’une soirée de La Veillée, viennent des personnes qui ont vécu des histoires étonnantes, hors norme, émouvantes… Pour la plupart, ce ne sont pas des professionnels de la prise de parole en public ; en une douzaine de minutes, ces 6 intervenants partagent de façon très authentique, avec leur personnalité et leur rythme propre, anecdotes ponctuelles ou parcours de vie.

L’idée est de partager ces récits – conviviaux, naturels, spontanés – comme si l’on était autour d’un feu. Bruits nocturnes, hululement de chouettes, vent dans les feuilles… L’espace d’une soirée, le théâtre Tristan Bernard (Paris 8) devient cocon rassurant, clairière réconfortante, au cœur d’une vaste et sombre forêt.

Depuis 2015, deux dates sont proposées chaque année dans ce théâtre, en mai et en septembre. Et depuis deux ans maintenant, une troisième édition se tient hors de Paris (Lyon et Avignon).

Sur la chaîne YouTube de La Veillée, il est possible d’écouter les témoignages des éditions passées… Mais rien ne vaut de vivre cette expérience en direct ! Quelque chose de chaleureux, de très humain, se passe.

La Veillée : l’origine

La Veillée est le fruit d’un hasard. J’étais en voyage à Londres et, en fouillant dans le bac d’une librairie, je tombe sur un bouquin intitulé The Moth. Je découvre qu’il s’agit d’un événement qui existe depuis les années 1990 aux États-Unis ; le principe est donc de faire monter sur scène des anonymes pour qu’ils racontent une histoire personnelle.

Ce livre compilait 50 des meilleures histoires de The Moth. En deux jours, je les ai dévorées. Dans l’avion du retour, j’en parle à ma compagne avec enthousiasme. Et je lui avoue que je ne comprends pas que ça n’existe pas encore en France. Ce à quoi elle me répond qu’en effet, ce serait bien que quelqu’un se charge de l’organiser. J’ai décidé de devenir ce quelqu’un !

J’en discute alors bien vite avec Damien Maric, un gars exceptionnel, homme de spectacle, aux multiples casquettes. Il a un coup de cœur immédiat pour le concept dont il pressent tout le potentiel. On s’empare donc du projet : lui va s’occuper de la logistique et moi, de trouver les invités !

Choisir les invités de la Veillée

Rechercher les participants entre chaque édition de La Veillée est une vraie chasse au trésor humaine.

Pour la première édition, j’ai sondé mon environnement étendu. C’est comme cela que j’ai trouvé les 6 premiers invités. Mais il n’y a pas de recette magique pour ces “castings” (qui n’en sont d’ailleurs pas !).

Il arrive que des personnes nous contactent spontanément. Dans 90 % des cas, ce n’est pas concluant. Mais c’est comme cela que nous avons eu Joachim Roncin (à l’origine du slogan Je suis Charlie) qui souhaitait raconter l’impact de ce phénomène mondial sur sa vie.

Pour d’autres, je découvre leur histoire à travers divers média. C’est comme cela, par exemple, que j’ai proposé à Caroline Bongrand, la scénariste du film Eiffel, de raconter son histoire sur scène.

Parfois, c’est au détour d’une conversation ; pendant que la personne parle, je me rends compte que son histoire serait parfaite pour La Veillée. Alors, à la fin de l’échange, je lui demande tout simplement si elle serait partante pour raconter son histoire dans un théâtre !

La Veillée : confiance et bienveillance

La Veillée est souvent comparée aux conférences TEDx. En réalité, c’en est l’antithèse !

Moi-même, j’ai participé à un TEDx il y a quelques années. Ce sont des conférences préparées à la virgule près, présentées en amont pour s’assurer qu’on est bien dans les clous. Le but est d’enseigner : il y a une notion très descendante, verticale, de transmission de savoir.

Rien de cela à La Veillée ! Je demande expressément aux invités de ne rien écrire : il faut qu’ils soient vraiment eux-mêmes. Il faut accepter de bégayer, de se tromper, d’être ému… Les spectateurs viennent avant tout vivre des émotions authentiques, partager des récits spontanés – surtout pas parfaits. Ceux qui racontent leur propre vécu ne peuvent pas se tromper !

Et puis, on ne demande pas aux invités de donner des leçons de vie, mais juste de partager une expérience. Et si dans la salle, des personnes peuvent s’y identifier, s’en émerveiller ou s’en inspirer, c’est super ! Mais ce n’est pas l’objectif premier. L’ objectif est juste de partager des moments de vie, des parcours, des anecdotes.

La Veillée : et si un fil rouge éditorial se dessinait ?

Depuis le début de La Veillée, il n’y a jamais eu de ligne éditoriale consciente. Mais avec le recul, je me suis aperçu qu’une ligne s’était dessinée au fil des éditions : celle de personnes qui ont vécu des histoires difficiles et qui en ont tiré quelque chose de positif.

Parfois, nous recevons des messages de personnes qui ont vécu des expériences très dures et qui veulent les raconter. Sauf que s’il n’y a qu’une épreuve dramatique, misérable et triste, ça ne convient pas ; nous ne souhaitons pas tomber dans le voyeurisme !

Ainsi donc, quand des personnes éprouvées viennent sur la scène, c’est toujours pour raconter comment elles ont pu en tirer quelque chose de positif.

Par exemple, lors d’une édition, nous avons reçu Balak, un dessinateur rescapé des attaques du Bataclan. Il était encore très affecté, mais a accepté de participer à la Veillée parce qu’il était en confiance – il savait qu’il pourrait raconter son histoire sous l’angle qu’il voulait et qu’il n’y aurait aucun sensationnalisme.

De fait, il n’a pas raconté l’horreur des événements ; au contraire, il a témoigné des moments d’humanité pure auxquels il a assisté ce soir-là – au cœur de l’horreur, il a découvert que l’altruisme authentique existait. Et paradoxalement, après cet événement au cours duquel il a assisté au pire dont l’humanité est capable, il a repris foi en elle.
Il se trouve que dans la salle, lors de cette Veillée, deux jeunes personnes avaient également vécu cette attaque du Bataclan ; c’était d’ailleurs la première fois qu’elles osaient sortir depuis les attentats. À la fin de La Veillée, elles sont venues trouver Balak : quand tu as commencé à raconter ton histoire, on a failli sortir. On n’avait vraiment pas envie d’être confronté à nouveau à ça ! Mais finalement, ça nous a fait du bien d’entendre ta version, de savoir qu’il s’est AUSSI passé ça

Ce type de réaction arrive régulièrement. Et si La Veillée peut apporter ce soulagement, si ça peut permettre à certains d’en tirer quelque chose, d’avancer, c’est formidable !

La Veillée : une quête d’authenticité

Oui, au cours de La Veillée, nous recherchons avant tout l’authenticité. Pourquoi ? Nous sommes perpétuellement confrontés au travestissement de ce que sont, vivent, ressentent les gens. Et évidemment, les réseaux sociaux démultiplient considérablement cette mise en scène du quotidien.

À la manière d’un monteur qui va sélectionner des rushes bien précis pour faire passer une émotion ou transmettre un message, nous faisons également un montage de notre vie. On en propose sur les réseaux une version éditée pour correspondre à certains critères en vogue.

Il me semble donc que ce besoin d’authenticité vient répondre à cette trop grande mise en scène, cette sorte de falsification de nos existences.
Les invités de La Veillée se mettent vraiment à nu – pas de maquillage, d’artifice ou autre – juste leur identité la plus pure. D’autant qu’il n’ont rien à vendre, ils ne sont pas en promo. L’histoire qu’ils viennent raconter ne sert à rien d’autre qu’à partager un bout de “vraie vie”, un moment de gratuité. C’est une fin en soi. Le public est libre d’entrer ou non dans leur histoire. Et ça, je trouve que c’est très apaisant, rafraîchissant, réconfortant.”


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