Le café de spécialité : kesako ?

28 Avr, 2021 | CONSOMMATION, NATURE & ENVIRONNEMENT

Depuis le dix-huitième siècle, le café est devenu une boisson incontournable : on en boit pour se réveiller, se concentrer et, parfois aussi, quand même, pour le plaisir d’en savourer les multiples saveurs. Pourtant, il vient de loin. Son coût écologique est lourd. Peut-on effectivement consommer cette matière première en circuit court, de façon responsable et éthique ? Hugo Boiteux, co-fondateur de Cime Café, qui a ouvert boutique le 12 janvier 2021 à Nantes, nous en dit plus.

Hugo Boiteux : « Souvent, on parle “du café” en général. On emploie ce terme générique pour qualifier la boisson noire qui fume dans la tasse que l’on s’apprête à boire. En réalité, il y a DES cafés. C’est comme pour le vin : entre un champagne pétillant et un vin du Pérou, les différences sont énormes et il est difficile de les comparer.

Ainsi, en est-il de l’Arabica et le Robusta, les deux grandes espèces de café existantes. 

Le Robusta est une plante très peu chère car elle pousse facilement dans les pays producteurs. À l’heure actuelle, il n’y a rien d’intéressant gustativement parlant dans le Robusta. Au vu des volumes consommés, cela dit, certains scientifiques étudient la question : peut-être faudrait-il travailler sur ces plants pour qu’ils deviennent plus intéressants en termes d’arôme ? Les caractéristiques du Robusta : apporter de l’amertume et du poids en tasse.

Le café de spécialité, qui est le café qui intéresse Cime Café, se fait exclusivement sur l’espèce Arabica. On trouve les plus beaux Arabica à plus de 600 mètres d’altitude. Pour l’heure, cette espèce recense 150 variétés à travers le monde. Et tous les ans, il y a des découvertes de nouvelles variétés. Le Yemen et l’Ethiopie sont les pays d’origine de l’Arabica : la péninsule arabique, donc, d’où le nom de cette espèce de café.

En fonction du terroir, de la variété, de l’altitude et du process de séchage du café, on va obtenir des notes aromatiques complètement différentes. L’analogie avec le vin est toujours révélatrice : les molécules aromatiques sont présentes par milliers dans le café ; il y en a une centaine dans le vin. La complexité de l’Arabica est donc extrême. Par conséquent, si l’on respecte la variété choisie sans la brûler et qu’on lui enlève ses défauts, on va sentir des cafés aux notes aromatiques variées, avec des notes d’agrume ou de bergamote voire des notes florales, de jasmin, pour les cafés éthiopiens, par exemple, un goût de pêche pour un Geisha du Panama, un goût prononcé en chocolat pour les cafés d’Amérique du sud…

Il y a une pluralité d’arômes très riche.

Dans le monde du café, on trouve tout et son contraire. Chez Cime café, nous consommons les cafés en fonction des saisons : à chaque tasse, on a des différences. Pour la même variété, issue de la même région, à la même altitude, avec deux process de séchage différents, on ne va pas découvrir nécessairement les mêmes arômes. Et justement, ce que l’on souhaite, c’est que nos clients nous parlent de leurs goûts, du terroir qui flatte le mieux leur palais et du travail des producteurs qui font ce café ! Le but de Cime café est d’amener le dégustateur à la même expertise que pour le vin : en Bourgogne, on n’aimera pas de la même manière un meursault qu’un Nuits-Saint-Georges. C’est pareil pour le café ! Il permet de découvrir un territoire vivant, un savoir-faire spécifique, des saveurs à n’en plus finir.

L’avantage, en France, c’est que l’on a déjà un fort intérêt pour la dégustation : cela peut aider à découvrir les qualités intrinsèques, objectifs, de tel ou tel café !

Parlons maintenant torréfaction. C’est tout un art. Il faut éviter de brûler le café. D’autant qu’en termes de santé, tout ce qui est carbonisé est plutôt mauvais pour le corps – cela apporte des acides difficiles à digérer.

Or, pour les Arabica de mauvaise qualité, c’est la manière dont je vais brûler mon café qui va lui donner une identité. Pour les cafés industriels, c’est cette étape qui va fixer le goût final et élaborer l’identité d’une marque. Les variétés viennent souvent de plusieurs endroits différents, ça n’est donc pas le café lui-même qui va pouvoir permettre d’assurer une saveur spécifique.

Historiquement, c’est comme cela qu’on a commencé à travailler le café : pour masquer les nombreux défauts des variétés récoltées, on l’a brûlé. Et on a gardé cette tradition. Pourtant, aujourd’hui, on a une science de la cuisson du café. De la même manière que l’on cuit une tarte aux pommes et qu’on ne la brûle pas, on devrait toujours torréfier le café et non le brûler. Brûler un café, ça revient à tuer le produit. Chez Cime café, on a une courbe de torréfaction qui permet de visualiser les étapes par lesquelles les grains vont passer. Chez nous, une torréfaction dure en moyenne 10 minutes alors que chez un industriel, ce sera plutôt de l’ordre de 3 minutes. Ces derniers font passer les grains de la température ambiante à 200 degrés en quelques secondes : les étapes sont “brûlées”, la réaction de Maillard n’a pas le temps de se produire, le temps de développement n’est pas bon, ça « crâme » toutes les aromatiques intéressantes…

Nous, ce qui nous intéresse, c’est que chaque étape de la cuisson soit respectée et révèle la saveur de l’Arabica. La première période, la plus longue, est la phase de séchage du grain (il y a environ 15 % d’eau qui sort et donc 15 % du poids final qui part). Puis on passe à l’étape de la réaction de Maillard, étape essentielle dans la transformation des sucres. Et, dernière étape, un temps de développement. Ce dernier sert à la caramélisation de ces sucres. En fonction de ce temps de développement, je vais pouvoir insister plutôt sur la rondeur, l’acidité, les aromatiques… du produit final. Selon la variété d’Arabica, le temps de chaque étape doit être revu et adapté.

Les échanges mondiaux de café représentent entre 10 et 15 milliards de dollars selon les années ; plus de 2,25 milliards de tasses de café sont consommées dans le monde chaque jour : dire si le marché du café a du poids aujourd’hui ! Le système de ce marché mondial est assez simple. Imaginons que je sois exportateur : je connais la valeur du café en Colombie. J’y achète donc mon café, que je vais ensuite revendre à un importateur. Ce dernier va l’expédier en Chine. Finalement, là-bas, l’importateur ne va pas réussir à le valoriser comme il le souhaiterait. Il va donc le revendre, soit plus cher, soit moins cher, en fonction des cours du moment. Le café va donc repartir, etc. C’est un jeu assez malsain parce que l’on perd complètement la valeur du produit initial. Ce sont les coûts du transport qui finissent par faire le prix du café. D’autant qu’on tire les prix au maximum vers le bas à chaque fois qu’il y a une transaction. Ce qui n’incite pas les producteurs à se poser la question de la qualité de leur produit.

Ces cafés vont être consommés vieux – en moyenne, un Arabica va être consommé dans les deux ans, et sans aucune considération de la destination ou du travail des hommes…

Chez Cime café, on travaille avec des importateurs spécialisés : dans leurs conteneurs, il n’y aura que du café – aucun autre produit qui pourrait potentiellement détériorer le café n’est introduit. Certains importateurs réussissent même à conserver une hygrométrie constante sur la durée du voyage. Et on essaye d’aller au plus court pour que le café soit consommé dans les meilleurs délais. En général, les trajets se font par bateau, du pays producteur à l’Europe, sans autre intermédiaire. Sur certains micro-lots – 15 à 20 kg – les trajets se font en avion. Mais là, c’est vraiment pour « la crème de la crème », afin de les avoir le plus frais possible.

Par ailleurs, nos prix sont fixés par le producteur, en fonction de ses coûts réels. C’est comme cela qu’il peut nous arriver d’avoir des prix différents pour le même café. Typiquement, au Honduras, la population vient d’essuyer deux ouragans coup sur coup. Notre producteur risque donc de perdre 30 % de sa production, ce qui va se répercuter sur ses tarifs, qui seront donc 30 % plus chers, pour la même qualité !

C’est grâce à ce lien direct aux producteurs que, chez Cime Café, nous proposons des cafés d’exception. Nous choisissons uniquement des Arabica qui ont des notations internationales de 84 points sur 100. Ces notations sont effectuées par des Q-graders. Il s’agit d’une certification créée par le Coffee Quality Institute et la Specialty Coffee Association pour standardiser le palais des personnes capables de noter les cafés. Tous les cafés qui existent sont notés de 0 à 100 points et “gradés” pour avoir une description aromatique et une idée précise de leur qualité. Tous les cafés notés au-dessus de 80 sont considérés comme des cafés de spécialité. En France, nous comptons une petite quinzaine de Q-Graders. Il se trouve que Gregory Sarafian, mon collègue au Cime-Café, est l’un d’entre eux. Il nous permet de dénicher des pépites.

Nous sommes très attachés à l’histoire derrière les produits que nous vendons. Par exemple, en ce moment, nous vendons le café de la ferme La Linda, en Bolivie. La Bolivie, c’est un pays qui pourrait faire des cafés formidables. Malheureusement, c’est beaucoup plus rentable là-bas de produire de la coca. Il se trouve que Pedro Rodriguez, propriétaire de la ferme La Linda, a travaillé sur la qualité de son café et l’a fait reconnaître. Cela lui permet de nous le vendre en direct et donc, d’être justement rémunéré. Il réussit donc à en vivre, contrairement aux autres producteurs de café de la région, qui produisent donc illégalement, en parallèle, de la coca. L’exemple de Monsieur Rodriguez commence à impacter sa région : il essaye, petit à petit, d’amener les autres producteurs à produire eux aussi du café de qualité. Ce genre d’histoires donne beaucoup de sens à notre travail.

Par ailleurs, nos cafés sont tous respectueux de l’environnement. Si nos producteurs ne sont pas tous estampillés « Bio », c’est parce qu’ils sont parfois trop petits pour se payer un label. Mais nous privilégions les cafés produits en agroforesterie, dans des conditions de récoltes non mécanisables. 

Un dernier mot sur l’équipe de Cime Café ? Nous sommes trois associés. Ester et Gregory Sarafian sont mari et femme. Ensemble, ils avaient monté un coffee shop associatif à Strasbourg, c’est comme ça qu’ils sont tombés dans l’univers du café ! Plus tard, Gregory a travaillé à l’Arbre à café, un torréfacteur de café de spécialité, qui a la particularité de travailler en direct avec les producteurs. C’est là que j’ai rencontré Greg. Nous avons travaillé ensemble dans cette belle enseigne, pionnière du café de spécialité en France, puis, nous nous sommes lancés à notre compte. Voilà le début d’une aventure qui promet d’être longue et belle ! Amis Nantais et d’ailleurs, nous avons hâte de vous rencontrer autour de mille et une saveurs ! »


Site internet : www.cime-cafe.fr
Compte Instagram : https://www.instagram.com/cime.cafe/?hl=fr

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