Le cerveau divisé

7 Fév, 2020 | SCIENCES

Gilles le Cardinal est professeur émérite en Sciences de l’Information et de la Communication à l’Université de Technologie de Compiègne (UTC). Il propose ci-dessous un résumé de The Master and his Emissary: The Divided Brain and the Making of the Western World (Le cerveau divisé et la constitution du monde occidental) de Iain Mcgilchrist,  psychiatre, écrivain et ancien érudit littéraire à Oxford.

Iain Mcgilchrist : « En dépit des stupéfiantes améliorations du notre monde matériel, les gens sont statistiquement moins heureux aujourd’hui qu’il y a 50 ans (depuis que nous avons commencé employer les outils pour le mesurer). Nous connaissons et pouvons réaliser tant de choses et nous investissons certainement beaucoup d’énergie à contrôler notre destin. Mais si nous nous autorisions à l’admettre, nous pourrions dire que nous avons l’impression d’être destinés à quelque chose de plus grand, plus grand la téléréalité, Facebook et le pèlerinage annuel vers le soleil.

Si on raconte un tas de choses sur le cerveau et sa capacité d’expliquer ceci et cela, il serait pourtant illogique de supposer que nos cerveaux sont suffisamment bien construits pour comprendre et nous faire prendre conscience de tout ce qu’il y a dans l’univers.

Il y a la dégradation de ce que nous appelons benoîtement « l’environnement », mais qui n’est rien d’autre que le monde vivant. Il y a la disparition de communautés complexes, soudées, qui vivent en harmonie avec la nature et qu’il a fallu au moins des siècles, des millénaires, pour former. À la place, se répand une façon de vivre occidentale, souvent esthétiquement stérile, menée par des intérêts commerciaux et éthiquement en faillite, vouée en principe à la poursuite du plaisir et du bonheur, mais produisant en fait de l’anxiété et une insatisfaction générale. Et s’affaiblissent, voire sont démolies d’anciennes traditions ; la perte de tout ce qui est unique, puisque tout est devenu abstrait, généralisé, catégorisé, mécanisé, représenté et rendusimplement virtuel.

Pourquoi un cerveau et deux hémisphères différents ?

Si nous regardons le cerveau posé à même la table de dissection du médecin pathologiste, la première chose que nous remarquons est que, en dépit des millions d’années d’évolution, le cerveau reste profondément divisé. C’est étrange car tout le but du cerveau, croyons-nous, est de faire des connexions ; comment expliquer cela ? La logique de l’évolution par sélection naturelle n’aurait jamais permis de sacrifier les gains apparents d’une interconnexion beaucoup plus importante entre les deux hémisphères, s’il n’avait pas un avantage à garder, en même temps, certaines choses séparées.

J’ai passé du temps à réunir, étudier et réfléchir sur toutes les recherches que je pouvais trouver concernant la différence entre les deux hémisphères du cerveau. Ce n’est pas une tâche facile. Le premier problème était un problème de préjugés : l’hémisphère gauche, avons-nous appris, est opérationnel et linguistique, alors que l’hémisphère droit est rose et plucheux, émotionnel, créatif, flou et porté à peindre des tableaux. C’est pourquoi – nous disait-on – nous étions souvent confus sur la manière de comprendre le monde et d’y agir. Mais l’excitation liée à cette explication simpliste est retombée quand nous avons vu que c’était bien plus complexe que cela. Au fur et à mesure que la recherche progressait, il devint évident que les deux hémisphères contribuent au langage, à l’imagerie spatiale, que les deux étaient concernés par la raison, que les deux étaient impliqués dans l’émotion.

Le cerveau est non seulement divisé mais aussi profondément asymétrique. Quand l’un ou l’autre hémisphère est lésé, que ce soit par une blessure, une tumeur ou un coup, il y a des différences entre ce qui arrive aux patients et à son monde, en fonction du côté de la lésion.

Il y a en réalité deux modèles possibles : soit voir un hémisphère comme une partie d’une machine, soit le voir comme une partie d’une personne. Si nous posons ces questions : « comment chaque hémisphère s’engage avec le monde ? Avec quelle sorte de monde chaque hémisphère communique-t-il ? », nous découvrons alors un modèle universel qui donne naissance à un tableau pleinement cohérent.

Nous sommes aujourd’hui confrontés au paradoxe suivant : alors que les physiciens comprennent que la matière ne peut être séparée de la conscience et que nous vivons dans un univers animé, dans les sciences de la vie, nous sommes encore apparemment bloqués dans un univers inanimé. La façon dont nous prêtons attention au monde conditionne ce que nous y trouvons. Nous « faisons » le monde dans lequel nous vivons en portant sur ce monde une certaine forme d’attention, en ayant vers lui une certaine disposition. Le processus est comme les mains du dessin d’Escher qui se dessine l’une l’autre, quelque chose qui naît en conjonction avec quelque chose d’autre, chacune contribuant à faire advenir l’autre (processus transductif pour Simondon et récursif pour Edgar Morin). Ce que nous découvrons va conditionner ce que nous découvrirons à l’avenir. Des recherches sérieuses démontrent que nous sommes absolument aveuglés devant ce qui nous semble impossible à voir.

Les oiseaux et les animaux – car eux aussi ont des cerveaux clivés – doivent résoudre un problème à chaque instant de leur vie pour utiliser le monde, pour le manipuler selon leurs besoins propres, ils doivent fixer une attention ciblée sur ce qu’ils ont déjà identifié comme ayant une importance pour eux. Un moineau doit, par exemple, choisir cette petite graine au milieu de cailloux, cette petite branchette qui convient pour construire son nid. Mais, s’il ne fait attention qu’à cela, il terminera bientôt sa vie dans le ventre d’un autre affamé, parce qu’il doit en même temps traiter une autre attention au monde – une vigilance large, ouverte, constante, sans savoir d’avance qu’il va rencontrer, prédateur ou comparse, ennemi ou ami. Comment, en même temps, diriger vers le monde ces deux formes d’attention si divergentes ? La solution semble avoir été la séparation des deux hémisphères du cerveau. Chacune de ces masses neuronales est suffisante en elle-même et par elle-même pour servir la conscience. Chacune peut donc être présente au monde mais d’une façon différente.

L’hémisphère gauche

La raison d’être de l’hémisphère gauche est de réduire les choses jusqu’à une certitude ; mais c’est aussi illusoire puisque la certitude est une illusion, même si elle est, comme je l’ai dit « utile ».

Une conséquence importante de cette attention ciblée est qu’elle rend tout explicite. Tout comme une blague perd son sel quand on doit l’expliquer, les métaphores et les symboles perdent leur force quand on les explique. La métaphore n’est pas simplement un élément de décor, posé par-dessus l’affaire sérieuse qu’est le langage, pour nous divertir : toute connaissance, peut-être spécialement la connaissance philosophique et scientifique, est, au fond, de nature métaphorique. C’est par les métaphores que nous comprenons toutes choses. Une autre manière de réfléchir à la différence (entre le cerveau droit et gauche) est de voir le monde de l’hémisphère gauche comme tendant vers l’immobilisme, et le droit vers le mouvement et la fluidité.

Le fonctionnement de l’hémisphère gauche consiste à évaluer des milliers de points ou de morceaux d’informations et à essayer de parvenir à une conclusion, afin de disposer d’une vision globale. Cela a des conséquences profondes sur la façon dont il voit le monde en opposition avec le fonctionnement de l’hémisphère droit. Notre hémisphère gauche traite l’information de manière linéaire et séquentielle, utilisant la seule méthode qu’il connaît.

Cette méthode atomisée de compréhension et la résistance qu’elle manifeste à l’idée de la fluidité et à l’évolution de la réalité, servent ensemble à expliquer l’affinité de l’hémisphère gauche pour ce qui est mécanique ou inanimé. L’hémisphère gauche seul décide pour les outils et les machines – rappelez-vous que le but initial de l’hémisphère gauche est de nous permettre de manipuler le monde, pas de le comprendre. Dans le passé, nous nous représentions naturellement le monde selon des métaphores organiques : l’arbre, la rivière, la famille. Aujourd’hui, nous repensons tout à la façon de l’hémisphère gauche, mécaniquement. Redisons-le, personne ne pourra prétendre que cela correspond mieux à la réalité ; c’est juste un raccourci commode, qui nous permet de représenter très bien certains aspects, pour des besoins pratiques, mais qui en exclut d’autres, radicalement.

Le monde du cerveau gauche n’intervient que quand ce dont il s’agit est familier, connu. Il fonctionne par abstraction, en généralisant. Quand les choses sont présentes dans leur singularité, avec toutes leurs qualités individuelles incarnées, elles sont traitées par l’hémisphère droit ; quand elles deviennent des quantités générales, abstraites, elles sont traitées par l’hémisphère gauche. La tendance de l’hémisphère gauche est de réduire le différent en semblable.

Le monde de l’hémisphère gauche construit seulement une représentation, comme une carte très utile mais incomplète, parce que presque toute l’information sur le pays concerné est absente. Pour certains buts, moins vaut plus. Si je voyage d’une ville à une autre, je n’ai pas besoin de connaître toutes les maisons le long du chemin, ni ce que les gens aiment manger pour le dîner et comment ils traitent leur chien, ni quelles plantes ils ont dans leur jardin. Cela est vital pour comprendre le monde réel, le terrain, mais pas pour maîtriser le territoire. Cela ne sert à rien pour faire un trajet en voiture.

Nous expérimentons notre vécu d’une manière particulière : non pas l’expérience elle-même, brute, mais une version représentée, contenant maintenant des entités statiques, séparables, cernées, essentiellement fragmentées et regroupées en catégories qui serviront pour faire des prédictions. Ce genre d’attention isole, immobilise en chaque chose l’explicite, en la mettant sous les projecteurs de l’attention. Ce faisant, elle rend les choses inertes, mécaniques, semblables. Mais cela nous permet aussi, pour la première fois, de connaître et par conséquent d’apprendre et de fabriquer des choses ; cela nous donne du pouvoir. L’hémisphère gauche ne peut cependant mener à comprendre ce à quoi nous avons affaire. Il ne sait rien de tout ce que cela signifie.

Certaines personnes m’ont soupçonné de décrier subtilement la raison et d’exalter l’émotion. Mais je vous rappelle que les deux hémisphères sont impliqués à la fois dans la raison et dans l’émotion. L’hémisphère gauche est particulièrement adapté à la tâche de donner expression à des émotions sociales volontaires ; l’un des registres émotionnels le plus clairement latéralisé est celui de la colère, qui renvoie à l’hémisphère gauche.

Il est vrai que la rationalité, le traitement schématique de procédures algorithmiques à la façon d’une machine, se fait mieux dans l’hémisphère gauche. Nous ne comprenons pas un poème comme un médecin comprend un patient, et cela est également différent de la façon dont un comptable comprend un bilan chiffré. Si seulement le savoir académique dans les lettres et dans les sciences humaines comprenaient cela ! Si seulement les directeurs d’hôpitaux et les présidents d’université le comprenaient ! Le plus curieux de l’histoire de l’hémisphère gauche est encore à venir. Il s’agit de comprendre comment un système de signes auto consistants, comme le monde de l’hémisphère gauche, peut parvenir à paraître plus réel que le monde extérieur lui-même.

Un premier élément vient du quatrième siècle avant J.-C., juste au moment où la culture grecque va commencer à porter son déclin. Là, pour la première fois dans la civilisation occidentale, l’emprise de l’hémisphère gauche sur le monde domine. De l’hémisphère gauche provient la codification des lois, la création de cartes, et en général la systématisation de la connaissance. Peu à peu, avec la naissance de la loi, de la logique de la non-contradiction – qui limitait notre compréhension des vérités implicites et pas nécessairement compatibles – la façon de voir le monde caractéristique de l’hémisphère gauche commence à s’imposer. Le monde idéal, théorique, se met à triompher sur le monde de l’expérience.

L’hémisphère gauche, captivé par les systèmes qu’il a lui-même suscité, fait passer la cohérence interne avant ce qui se passe en fait dans le monde réel. Dans le monde contemporain où, je le crains, nous sommes esclaves de la façon de penser de l’hémisphère gauche, ce problème – le fait que la représentation soit devenue plus important que la réalité qu’elle est censé représenter – est endémique. Les concepts sans les intuitions sont vides, les intuitions sans les concepts sont aveugles.  

L’hémisphère gauche dit : « qu’est-ce qui se passe ? Ne peux-tu pas te décider ? ». Le choix doit être  « ou bien / ou bien », «  blanc ou noir », jamais une vie avec tout l’éventail de couleurs.

Il y a une sorte de folie à suivre servilement les procédures et les règles, à s’imaginer que la vie est une sorte de logique mécanique. Or, les procédures sont mieux servies par l’hémisphère gauche. Encore une fois, c’est l’hémisphère gauche qui fournit nos rapides et vilaines réactions au monde, des approximations grossières et faciles qui nous aident dans la vie courante, mais qui ne suffiront pas quand la situation implique une nouvelle information, quelque chose qui ne se retrouve pas déjà dans son système formalisé. Et d’après ses propres termes, ces systèmes sont fermés. Cela nous fait croire que le monde est prévisible parce qu’en certaines circonstances limitées, il semble l’être.

L’hémisphère gauche ne connaît pas ses propres limites. Il ne sait pas ce qu’il ne sait pas. L’hémisphère gauche n’est pas en contact avec le monde. Il n’est pas raisonnable. Il n’est pas doué pour comprendre le monde. Il est doué pour seulement une chose : manipuler le monde. Sa vision est partielle, sous-tendue par des représentations, par le virtuel. Il néglige la nature incarnée des êtres humains. Il réduit le vivant à ce qui est mécanique. Il donne la priorité toujours à la procédure, pas à son sens. Il cherche la certitude là où il n’y en a pas.

De nos jours, dans le monde de la recherche, nous devons pouvoir identifier à l’avance ce que nous nous attendons à trouver, et personne ne nous soutiendra dans un projet s’il ne semble pas avoir une chance de faire une découverte « positive », ce qui veut dire en réalité que cela doit beaucoup ressembler ce que nous connaissons déjà. Nous ne sommes pas prêts à faire confiance, mais nous sentons que nous devons tout contrôler minutieusement. Si j’ai raison, nous vivons en Occident dans une culture dominée par l’emprise du monde de l’hémisphère gauche.

Comment cela s’est-il produit ? Sûrement, direz-vous, c’est parce que l’hémisphère gauche a mieux réussi que toutes les autres alternatives… cela dépend de ce que l’on entend par réussir… C’est, je le répète, très bien pour utiliser le monde, comme si c’était une masse de ressources, très bien pour manipuler l’environnement, pour qu’il se conforme à nos plans. Mais ne faut-il pas se poser la question : « Est-ce que nos plans sont nécessairement sages ? ». Je pense que le succès de notre culture est dû à plusieurs choses. Elle nous rend puissants et le pouvoir est très séducteur. En effet, l’hémisphère gauche offre des explications simples, avec des termes convaincants, parce que ce qui ne rentre pas dans ce cadre, est déclaré dénué de sens. L’hémisphère gauche est aussi, comme je le suggère d’emblée, le Berlusconi du cerveau, un poids lourds politiques qui contrôle les médias. Nous construisons un monde autour de nous, image du monde qui se fait dans l’hémisphère gauche. Faire appel au monde naturel, à l’histoire d’une culture, à la spiritualité, toutes les voies qui nous faisaient sortir du « palais des glaces », tout cela a été amputé, dévalué, traité avec ironie. Et quand nous regardons par la fenêtre, c’est le monde que nous avons créé dans notre cerveau que nous voyons, un monde bétonné tout autour de nous.

Les valeurs du cerveau gauche sont celles de l’utilité et du plaisir. Mais le sens ne peut venir de ce projet linéaire, pas plus que l’on ne peut poursuivre ainsi le bonheur. Avec la vue de l’hémisphère gauche, nous ne découvrirons jamais le sens de chose, car il ne peut comprendre. Il n’a aucun moyen de sortir du système des signes. Il ne comprend pas le pouvoir de la métaphore, qui seul peut faire advenir un sens. Il n’est pas en rapport direct avec le réel. Ce n’est pas son objet, ce n’est pas ce qu’il apprit à faire pour nous aider. C’est là finalement une réponse possible à la question : « pourquoi, alors que nous savons de plus en plus comment manipuler le monde, avons-nous perdu toute idée de la signification de notre monde ? ». Le monde de l’hémisphère gauche est un monde réflexif qui se reflète à l’intérieur de nous-mêmes, mais non un monde incarné à l’extérieur. Il ne s’occupe pas de regarder par la fenêtre le monde à l’extérieur.

L’hémisphère droit

L’hémisphère droit manifeste une forme de tension vigilante à l’égard de tous ce qui est, de tout ce qui vit, sans idées préconçues. Son attention n’est pas au service de la manipulation, mais au service du contact, de la relation. C’est, après tout, une autre raison pour laquelle nous tendons la main, pour créer un lien avec quelqu’un, pour partager son sort. Le cerveau droit tend vers le mouvement et la fluidité. Le fonctionnement de l’hémisphère droit voit les choses comme un tout, jamais comme des particules isolées, indépendantes d’un contexte. L’hémisphère droit semble être davantage impliqué dans l’expérience nouvelle des événements nouveaux, des choses, des idées, des mots, des techniques, de la musique, ou n’importe quoi, tant qu’ils sont tout frais, et pour ainsi dire présents à l’esprit.

Le monde de l’hémisphère droit nous présente les choses. La qualité fondamentale du monde de l’hémisphère droit est qu’il est relationnel. Pour commencer par la relation avec le monde en général, c’est comme dans la musique. La musique n’existe pas dans une note particulière, qui en elle-même n’a pas une signification. Je serais tenté de dire que la musique existe davantage dans les espaces entre les notes que dans les notes elles-mêmes, dans « l’entre-deux », dans le changement de hauteur qui crée la mélodie. Ce n’est pas ou bien les espaces ou bien les notes, mais c’est dans les espaces et dans les notes, pris ensemble. C’est ce que je signifie par « l’entre-deux ». C’est aussi ce dont, correctement compris, est fait le monde des hommes. Nous ne sommes ni des atomes, des synthèses, mais des composées, avec de riches propriétés qui évoluent en permanence, jamais imaginés, dans un seul cœur humain. L’expérience est toujours en mouvement, toujours en train de se ramifier de manière imprévisible. On sera toujours surpris par expérience, puisque rien ne se répète, rien ne peut être connu parfaitement. Pour se détacher de l’immédiateté, sortir de sa fluidité constante, nous devons trouver un moyen d’immobiliser l’expérience dans son élan.

Le cerveau doit donc prêter attention au monde de deux façons complètement différentes et, ce faisant, amener à l’existence deux mondes différents. Dans le cerveau droit, nous expérimentons le monde vivant, complexe, incarné de l’individu.

Les expressions plus profondes et plus complexes comme l’émotion ainsi que la compréhension des visages, sont mieux traitées par l’hémisphère droit. Dans les mathématiques en général, beaucoup dépend de l’hémisphère droit : la plupart de ces grandes découvertes ont été perçues comme un réseau complexe de relations, et seulement plus tard, souvent beaucoup plus tard, traduit soigneusement en une série des propositions linéaires. La logique déductive dépend de l’hémisphère droit. La raison est, après tout, un concept complexe. Certaines sortes de rationalité peuvent être déraisonnables. Il existe d’autres sortes de raisons que la raison procédurale, y compris la raison qui vous indique les limites de la raison, cela dépend de l’hémisphère droit. Il y a une sorte de raisonnement, et un rayon du raisonnement, qui est souvent non seulement irrationnel, mais l’un des signes de la folie.

Deux hémisphères, deux présences au monde qui coopèrent

Aristote a souligné qu’il y a différentes formes de raisonnement, selon différentes formes de connaissances, et différents modes de compréhension selon les différents domaines de la vie. L’hémisphère droit a donné naissance au théâtre tragique par lequel nous voyons les événements avec une lucidité accrue, mais pas d’une manière détachée, sans vie ; nous devenons ainsi capables d’empathie avec le sort de l’autre. Il y avait, dans tous ces développements, un sens aigu de ce qui devait rester implicite, compréhension de l’union si importante des contraires et de l’humour.

Mais le monde de l’idéal, le monde théorique, a commencé à triompher sur le monde de l’expérience. Le raisonnement de ceux qui ont passé leur vie à prêter judicieusement attention à leurs intuitions est meilleur que le raisonnement de celui qui ne l’a jamais fait ; et les intuitions de quelqu’un qui a passé sa vie à écouter la raison sont meilleures que celles de quelqu’un qui ne l’a pas fait. Là encore, nous nous heurtons à une différence caractéristique entre les deux hémisphères : le cerveau droit est parfaitement heureux avec la logique du « et/et », avec l’apport combiné des deux hémisphères, il voit en fait combien cela est nécessaire pour comprendre le monde.

Il y a dans chaque hémisphère quelque chose d’essentiel qui contribue à notre expérience du monde. Le soi-disant hémisphère mineur, l’hémisphère non dominant, est en fait celui qui sait, ce qui est encore plus important, celui qui comprend mieux. C’est l’hémisphère droit qui est le plus attentif à la réalité, aux faits. Il est aussi un élément important pour un langage clair. La pensée commence et se termine par l’hémisphère droit, en passant par des étapes nécessaires dans l’hémisphère gauche. C’est typique de la façon dont les hémisphères coopèrent mutuellement. L’origine et la fin se trouvent dans le monde de l’hémisphère droit mais celui-ci est grandement enrichi par ce que l’hémisphère gauche peut déballer en cours de route. C’est comme apprendre un morceau de musique : d’abord on est incité à le jouer en entier, puis on le divise en petits morceaux et on répète certains passages, on les analyse en détails, avant la représentation où tout doit être intégré.

Certaines personnes m’ont soupçonné de décrier subtilement la raison et d’exalter l’émotion. En fait les deux hémisphères sont impliqués dans la raison et dans l’émotion mais différemment. Si l’hémisphère gauche est meilleur pour traiter certaines procédures qui impliquent la manipulation de chiffres, l’hémisphère droit sait mieux en tirer l’interprétation. Et pourtant la logique déductive est dans l’hémisphère droit. Dans le monde contemporain, où je le crains nous sommes esclave de l’hémisphère gauche, le fait que ce qui est écrit est devenu plus important que la réalité qu’elle représente, est endémique. Or nous avons un besoin fondamental des deux : suivre, sans esprit critique, une intuition, peut nous égarer, de même, suivre la logique sans esprit critique peut nous égarer tout autant.

Il y a une différence dans le type de connaissances acquise par le « Logos » et une autre forme qui se révèle par le « Mythos ». Le monde n’est pas comme les modèles qui proviennent de l’hémisphère gauche, même si ces modèles peuvent nous être utiles. Mais l’hémisphère droit est indispensable quand il arrive quelque chose d’original et d’imprévisible.

Si nous nous en tenons à l’hémisphère gauche, nous ne découvrirons jamais le sens des choses, car il ne peut comprendre, même s’il a l’exclusivité du langage. Il ne comprend pas le pouvoir de la métaphore, qui seul peut faire advenir le sens.

Redonnons le pouvoir au cerveau droit et sachons faire coopérer les deux hémisphères qui doivent garder chacun leurs spécificités et leur compétences complémentaires. »

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