L’eau, source de vie, précieux commun

4 Déc, 2023 | CONSOMMATION, ENVIRONNEMENT

Somhack Limphakdy est enseignante-chercheuse en philosophie du droit. Elle se préoccupe – entre autres – de la théorie des communs et plus spécifiquement de la question de la renouvelabilité de la ressource en eau. Elle répond à nos questions sur l’hydrologie, l’état de l’eau en France et l’importance de la gestion de cette ressource.

Du droit à l’hydrologie : rencontrez Somhack Limphakdy

Somhack Limphakdy : “Je suis philosophe du droit et j’ai beaucoup travaillé sur la question des Communs – comment le droit peut être une outil et un levier de préservation, voire de restauration des Communs. Plus spécifiquement, je me suis préoccupée de la question de la renouvelabilité de la ressource en eau.

À l’origine, je suis pénaliste. J’ai travaillé sur le Tribunal pénal international (TPIY) qui s’est occupé de la situation de l’ex-Yougoslavie où s’est tenu le dernier génocide du XXe siècle sur le sol européen. Mon prisme d’analyse est le suivant : comment faire pour prévenir les conflits et les guerres ?

En Occident, nous travaillons généralement sur le curatif – beaucoup plus que sur le préventif. Je suis d’origine asiatique : la question de la prévention – notamment en termes de santé – est centrale dans cette culture depuis plusieurs millénaires !

C’est en travaillant sur ce sujet du TPIY que la question de l’eau est rapidement apparue. Elle s’avère vite incontournable vu qu’elle innerve tous les pans de la vie humaine : hygiène, alimentation (agriculture, transformation) mais aussi énergie, aménagement du territoire, transport…

Hydrologie : la science dédiée à la gestion de l’eau

L’hydrologie est une science complexe qui s’intéresse au(x) cycle(s) de l’eau, c’est-à-dire aux échanges entre l’atmosphère, la surface terrestre et son sous-sol. Les hydrologues sont des ingénieurs qui permettent de garantir une arrivée d’eau potable sur un territoire et de traiter les eaux usées avant restitution dans le milieu naturel. L’hydrologie est communément utilisée sur les questions d’aménagement de territoire.

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Focus sur la gestion de l’eau en France

Les hydrologues pensent en bassins versants – la surface qui reçoit les eaux qui circulent vers un même cours d’eau ou vers une même nappe d’eau souterraine ; ils conçoivent donc la gestion de l’eau depuis la source jusqu’à son embouchure.

En France, il y a six grands fleuves qui se pensent en interconnexion. Nous avons donc six agences de l’eau qui ont pour missions d’aider collectivités, industriels, agriculteurs, associations de pêche, de protection de la nature et de consommateurs dans le financement, l’accompagnement et la valorisation de leurs projets et initiatives pour agir sur la santé, le cadre de vie, la préservation de la ressource en eau et la biodiversité.

Il y a également des comités de bassin où siègent plusieurs parties prenantes, dont des particuliers.

Les problématiques liées à la gestion de l’eau varient selon les territoires : cela dépend de leur géographie. En montagne par exemple, il y a généralement un fort taux de précipitation ; en été, la fonte des neiges éternelles et des glaciers restitue de l’eau ; c’est un terrain sur lequel il y a donc de nombreux ruissellements. En plaine, en revanche, il y a des espaces – comme le long du Rhin où l’on trouve l’une des plus grandes nappes phréatiques de France et d’Europe – où l’eau est accessible plus directement de façon affleurante à la surface du sol. On ne gère donc pas cette ressource de la même façon en fonction du territoire sur laquelle on habite.

L’accès à l’eau est indispensable, encore faut-il que sa qualité soit préservée

La qualité de l’eau est une dimension fondamentale. Évidemment, on parle beaucoup de sécheresse – ou d’inondation – parce que les dernières années ont mis en exergue la tension autour de la quantité d’eau disponible et de sa disponibilité dans le temps.

Mais la qualité de l’eau n’est pas moins importante : elle a un impact considérable sur l’environnement et la santé humaine. Nous avons de plus en plus de problèmes liés à des polluants – les perturbateurs endocriniens – qui peuvent provoquer des cancers et des maladies incurables. Et qui pire est, certains de ces produits sont éternels : nous sommes dans l’incapacité de les traiter (tels que les polychlorures qui sont présents aujourd’hui dans l’eau potable). Sans compter les pluies acides qui abîment nos bâtis ou les écosystèmes naturels.

Pour une bonne gestion de l'eau, il faut savoir comment elle peut être polluée. Infographie illustrant les sources de pollution des eaux souterraines : pesticides, déchets d'origine animale, enfouissement de déchets, fuite de cuve souterraine...
Infographie : Adriana Vargas/AIEA

Rapide historique de la gestion de l’eau sur notre territoire

Pendant longtemps, nous avions des régies strictement publiques, historiquement gérées par des municipalités. Et puis, des “géants” de l’eau ont émergé, encadrés par trois lois majeures, celles de 1964, 1992, et 2006.

Contrairement aux régies publiques, il a pu arriver aux régies privées de tirer profit de leur activité. En fonction du sérieux de leur gestion ou de la qualité de l’eau à la source, les Français ne sont pas égaux en termes d’accessibilité de l’eau ; le prix peut ainsi varier d’un facteur allant de 1 à 7 !

De fait, ces régies privées ne favorisent pas toujours une gestion adéquate : en cas de fuite, la ressource est dilapidée sans gêne, les régies faisant payer aux usagers ce gaspillage lié à leur mauvaise gestion des canalisations. Mécanisme économique clairement contre-productif…

Voilà pourquoi beaucoup de mairies sont revenues sur la délégation à un acteur privé de la gestion de cette ressource vitale qu’est l’eau, ce qui est une excellente nouvelle.

Le(s) cycle(s) de l’eau

Le cycle de l’eau est généralement enseigné à l’école. La macrostructure du cycle hydrologique est la suivante : évaporation, condensation, précipitations et ruissellement (sous-terrain et dans les fleuves). Mais il existe d’autres microcycles. Par exemple, le microcycle artificiel qui nous fait prélever l’eau dans la nappe phréatique, que nous restituons, une fois l’eau usée passée par des stations d’épuration.

Les systèmes naturels créent également des microcycles. Ainsi, par exemple, les forêts sont en capacité d'”appeler” la pluie et donc de maintenir une partie de l’eau plus longtemps sur un territoire, grâce à ce que l’on appelle les “rivières volantes“.

Infographie : Adriana Vargas/AIEA

L’eau, cette ressource rare et précieuse

Seulement 2 % de l’eau disponible sur Terre est de l’eau douce. Tout le reste de l’eau disponible n’est pas directement consommable par les humains. L’eau douce inclue l’eau courante, celle des lacs et des rivières, des nappes phréatiques, des neiges éternelles, de la banquise… Au final, l’eau accessible à l’homme ne représente que 10 à 15 % de ces 2,5 % d’eau douce.

Ces chiffres permettent de comprendre à quel point cette ressource est précieuse et rare…

Les communs : source d’inspiration pour bien gérer l’eau

Les travaux d’Elinor Ostrom, politologue et économiste américaine qui a reçu un prix Nobel en 2009 pour sa réflexion sur les communs, sont une belle source d’inspiration. Elle définit les communs comme un dispositif pensé simultanément sur un triptyque : la ressource, la communauté et les parties prenantes qui en bénéficient et les règles et modalités de gouvernance autour de cette ressource.

Ce dispositif permet donc de prendre soin des personnes tout en prenant en compte l’impact environnemental et le renouvellement de la ressource. Ce fonctionnement est particulièrement intéressant car il tient compte des intérêts de chaque partie prenante selon son activité – habitants, personnes qui vivent de cette ressource, industriels, agriculteurs, collectivités territoriales, État…

gestion de l'eau : quels sont les cycles de traitement de l'eau ?
Source : Ville de Nîmes avec le cabinet de conseil Mayane

Comment se saisir de la question de l’eau ?

Il est parfois difficile de savoir ce que l’on peut faire, concrètement, pour préserver la ressource en haut, à une échelle individuelle.

Il y a la réponse évidente qui consiste à éviter le gaspillage.

Mais d’autres possibilités s’offrent aux particuliers : en France, les associations protectrices de l’environnement sont déjà parties prenantes des comités de bassin, mais il manque encore de citoyens pour s’y investir et veiller de près à cette précieuse ressource. Nous sommes trop peu informés et ne connaissons pas tous les dispositifs existants ; c’est pourtant une étape essentielle. Renseignez-vous auprès de votre Agence de l’Eau locale pour mieux comprendre la complexité de ces enjeux.

Il ne faut pas hésiter une seconde à participer à la reconstruction écologique de notre monde : la tâche est immense ! Et mettre en place des règles d’usage appropriées servira à construire les conditions de la paix sur le moyen et long terme…

Engageons-nous et participons à la création d’un futur désirable !”


Découvrez la version podcast : L’eau source de vie, précieux commun – comment préserver cette ressource ? Somhack Limphakdy

Pour aller plus loin sur la question :

Comment les scientifiques évaluent-ils la pollution et la durabilité des eaux souterraines ? | AIEA (iaea.org)

Le mystère des rivières volantes dAmazonie ARTE – Vidéo Dailymotion

L’agriculture dans le cycle de l’eau | Eaufrance

LA FORÊT ET L’EAU POTABLE – Les sentiers de l’eau (sentiersdeleau.ch)

Le schéma du cycle de l’eau – La Terre du futur (terre-du-futur.fr)

Qu’est ce que l’assainissement collectif ? ~ Communauté de communes duPays de Saint-Fulgent – Les Essarts (ccfulgent-essarts.fr)

La production d’électricité dans le cycle de l’eau | Eaufrance

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