Les Gens que l’on appelle les Français – N°5

7 Nov, 2016 | Non classé

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Par Anne Battestini. « Les Gens que l’on appelle les Français » est une étude née d’une série de questionnements sur la recherche de ce qui unit les Français aujourd’hui : les valeurs, les images, les histoires qu’ils partagent…

Des questions telles que :
1. De qui parle-t-on et à qui parle-t-on quand aujourd’hui on évoque les Français ?
2. Comment se construisent-ils ?
3. Quelles sont les représentations auxquelles ils restent attachées et qui donnent sens à leur mode de vie ?

En effet, les classements par sexe, âge, classe sociale ne rendent pas toujours compte de ce qui construit la collectivité identitaire nommée « Les Français » et comment les individus eux-mêmes construisent leur identité culturelle et sociale.
L’intérêt est donc ici de redonner des clés de compréhension de la société actuelle. En sillonnant divers lieux de France (en termes de région, structure de foyer, âge, profession…) pour repérer les invariants de ce qui constitue une forme de cohésion sociale et culturelle, au travers d’entretiens et d’un décodage sémiologique, cette analyse aborde des thématiques comme la manière dont la classe moyenne se représente culturellement, la manière dont ils conçoivent la structure sociale, leur rapport à l’argent, au travail, à la consommation…

 

N° 5. Ce que les 24-35 ans apportent comme enseignements sur l’époque

L’étude de la génération des 24-35 ans est riche d’enseignements sur l’évolution de la société. En effet, les 24-35 ans agissent de façon plus détachée par rapport au travail et à l’ascension sociale. Leurs comportements stigmatisent les changements de repères et les adaptations nécessaires par rapport aux modèles des générations précédentes.

Première génération « désirée », dans le sens où les naissances étaient plus facilement « contrôlables », les 24-35 ans ont une histoire générationnelle marquée à la fois par l’ouverture et la limitation des possibles.

Ouverture par :

  • L’abondance des biens de consommation et la démocratisation des loisirs, de la culture et des voyages
  • L’ouverture au monde et à la connaissance : la télévision, le développement des nouvelles technologies…
  • La revendication marquée d’une liberté propre et de la possibilité d’être soi, de communiquer, de s’affirmer

Mais limitation, car la crise économique a induit un sentiment de restriction par rapport aux envies et plaisirs de la consommation que l’on ne veut pas perdre.

L’identité générationnelle des 24-35 ans est marquée par une rupture avec les schémas traditionnels sans pour autant avoir de réel modèle fédérateur. En cause, une rapidité d’évolution et des mutations sociales, économiques et culturelles qui bouleverse les repères de la famille, du travail, de l’ascension sociale, des rapports humains. Couplée à cette rapidité, ces jeunes adultes ont, plus que leurs aînés au même âge, une grande conscience de la diversité et de la grandeur du monde (à l’international mais aussi dans les diversités culturelles). Une conscience de la diversité qui suscite à la fois de la curiosité et de la crainte (conflits, précarité, …)

 

Ils peinent par ailleurs à trouver un modèle rassurant et pérenne.

Les modèles parentaux sont surannés : ils ont conscience de ne pouvoir évoluer au même rythme que leurs parents, ne pas pouvoir accéder à la réussite sociale (crise) mais aussi d’avoir plus d’envies pour consommer et profiter (éducation aux loisirs et à la consommation). Le couple est vu comme une association, un partage, où chacun préserve son identité et s’inspire de l’autre pour l’enrichissement mutuel.

Aussi, ils se rattachent à des repères stables qu’ils se choisissent : le lieu de vie, les amis, le conjoint, les enfants… ils ont la volonté de construire leurs propres repères tout en préservant leur autonomie.

Leur autonomie en tant qu’individu qui a été en partie développée par une conscience de soi plus importante que par le passé.

 

C’est une génération de l’instant. Une génération qui a le sentiment de ne pas avoir de vision sur l’avenir mais qui ne veut pas faire l’économie des plaisirs de consommation dans lesquels elle a grandi et qui a conditionné son mode de vie. Elle vit l’instant présent.

« Ma génération est plus avancée, pas sur tous les niveaux. Sur certaines choses de la vie, la consommation, les loisirs, elle consomme plus que la génération de mes parents. On est beaucoup dans l’excès. On est habitué à consommer. On pourrait moins consommer mais on a été baigné dans ce truc. »

« Une génération zapping…. Les couples se séparent très vite alors que les générations d’avant, un couple c’était passer des épreuves ensemble, évoluer ensemble ; aujourd’hui, les gens changent souvent, ils ne pensent qu’au moment présent, ils ne se projettent pas. Je ne suis pas comme ça moi. Je cherche des marques qui correspondent à mon style et pas à la mode. »

 

Une génération qui revendique le changement mais qui cherche sa place et ses repères. Dans cette tranche de vie, une césure s’opère aux alentours des 30 ans. Elle marque une étape de vie importante comme une volonté d’affirmer sa personnalité et ses choix.

« On sait s’adapter. On sait juger les bienfaits du progrès puisqu’on a connu avant l’expansion des nouvelles technologies. »

Ils sont différents de leurs aînés car plusieurs choses ont changé. Une réalité économique différente : des revenus différents, des consommations différentes, des besoins différents, des offres différentes…. Des réalités de vie non comparables à des schémas existants, passés ou présents : un avenir à construire.

Ils prônent la liberté individuelle mais cherchent des ancrages stables : les héritages familiaux et les liens amicaux sont privilégiés dans une société devenue incertaine où le futur semble obscur. Malgré (ou à cause?) des nouvelles technologies, les contacts sont facilités mais les relations humaines sont devenues plus exigeantes et plus difficiles.

Ils sont philosophes : le présent est le seul repère auquel ils peuvent s’accrocher.

« Avant le coût de la vie était différent, les prêts étaient plus faciles mais ils ne voyageaient pas. Nous dès que l’on a un euro de côté on se fait un voyage, le Maroc. Mes parents, ils voyagent maintenant. Nous, on se fait plaisir. »

« Le prix d’une maison est trop élevé par rapport à avant et aux revenus. »

« On n’a pas les mêmes directions. Mes parents ont voyagé à la retraite. »

« On peut faire beaucoup plus d’activités que nos parents. On peut faire des sports qui sont plus abordables comme le ski, on peut voyager pour moins. »

« On a un noyau d’amis, donc on essaie de passer des we ensemble. Les parents et les grands parents se connaissent, ça fait une amitié-famille »

« C’est compliqué, il faut prouver plus de choses à l’autre pour pouvoir être avec…On est très exigeants, cela renvoie beaucoup aux images que l’on voit… on est dépendant des images. »

 

Cet effet de génération est transversal, il ne prend pas en compte les attitudes individuelles. Il témoigne surtout d’un changement de société où la conscience individuelle est plus prégnante. Cela ne signifie pas pour autant que cette génération est moins ou plus engagée collectivement. Au contraire, aujourd’hui les moyens de connaissance, de découverte de l’autre sont développés par les technologies. En même temps l’individu se sent souvent désorienté, dans ce vaste territoire qui évoque naturellement sa grandeur et sa petitesse. Multitude, solitude, il cherche sa place.

 

Anne BATTESTINI
Docteur en Sciences du Langage, Anne BATTESTINI a été enseignante-chercheure à (Université de Paris III et Paris XII) et directrice conseil au sein d’instituts d’études (Sorgem, A+A Healthcare, Ipsos Media). En 2010, elle a créé une offre d’études et de conseils indépendante : Iconics.biz.
Directement auprès d’annonceurs ou en partenariat avec des instituts d’études, régies publicitaires et agences media, elle conçoit et réalise des investigations qui cherchent à déceler ce qui créé aujourd’hui du sens et révèlent les freins et les leviers à l’adhésion d’un produit, d’un service, d’une marque.
Elle a depuis toujours à cœur de replacer l’humain au centre des problématiques. Ce qu’il ressent, ce qu’il pense, comment il se comporte, comment il se créé des quêtes, comment il se relie aux autres… et de quelles manières se construit son identité personnelle, sociale et culturelle.

En lire plus :

1 – Modèle de vie et légendes personnelles : entre pessimisme collectif et optimisme individuel

2 – sous le signe du lien, entre complexité individuelle et mixité sociale

3 – Le social et le besoin de solitude

4 – La société française sous l’œil des Français, les grands écarts

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