Lettre à ma fille aide-soignante

1 Avr, 2020 | TEMOIGNAGES

Témoignage poignant de Marie-Dominique Trébuchet, paru dans le courrier des lecteurs de La Croix du 28/03/20.

Pour beaucoup tu étais invisible.

Invisible  ? C’est par ce mot que le philosophe Marc Crépon nous alerte : la société fait violence à ceux qu’elle ignore, elle les écrase, et cela est intolérable. Il fallait en effet avoir traversé l’épreuve de la maladie, de l’accident, pour découvrir au creux d’un lit l’aide précieuse qu’alors tu savais apporter… Fragile, malade, celui qui découvrait, incrédule, sa vulnérabilité apprenait aussi qu’aux soins du médecin et de l’infirmière venaient s’ajouter les tiens, indispensables.

Au plus près de l’autre souffrant, tu laves son corps, tu caresses, masses le pied engourdi, soulages, tu souris, installes, veilles au drap qui se plisse, à l’oreiller qui tombe, tu vides le bassin, écoutes la plainte, subis le reproche, souris encore, nourris, guettes la fièvre.

Habituellement, on t’oublie bien vite. La santé recouvrée, tu disparais à nouveau derrière les écrans de l’efficacité et du marché qui occupent nos vies. Tu disparais dans les trains et autres RER qui t’emmènent loin de la grande ville où les loyers sont trop chers, où d’autres se pressent, s’occupent et vivent. Que dit une société d’elle-même quand de ses métropoles sont exclus ceux et celles qui la font vivre et en prennent soin ? Habituellement nous nous accommodons de cette situation… et ne nous indignons pas de l’injustice.

Et toi, tu accompagnes, mais le temps manque, les lits sont comptés, les toilettes enchaînées, tu souffres. Mais tu accompagnes, sans céder, jusqu’au bout, ceux qui te sont confiés. Si jeune confrontée au corps souffrant et à la mort, si jeune affrontée à notre humanité, dans les larmes et le sang, quand d’autres étudient longuement, sans soupçonner un instant, ils sont jeunes et insouciants, que si jeune tu portes l’humanité dans ton regard aimant.

Vous oubliera-t-on ? ou bien l’épreuve est telle qu’enfin nous vous reconnaîtrons et qu’ainsi vous vivrez au milieu de ceux qui vous doivent tant et qui sauront le dire dans un sursaut d’humanité ? Peut-être alors, ce serait juste reconnaissance, vous appellera-t-on simplement soignants et vous deviendrez ce que vous êtes : soignants à part entière.

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