L’Homme et l’étang – Alain Marié, pisciculteur

2 Avr, 2024 | AGRICULTURE

Délégué National Étangs de France, Alain Marié est “tombé dans la pisciculture” depuis sa tendre enfance. Il raconte son émerveillement face à l’étang – ce biotope qui a besoin de l’Homme pour perdurer – mais également la façon dont on doit en prendre soin et les enjeux auxquels il fait actuellement face.

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Alain Marié en bref

Alain Marié est pisciculteur depuis une vingtaine d’années et consultant en ce domaine. Il évolue dans le milieu stagnustre depuis son enfance, notamment grâce à son père qui lui a transmis ce goût de la nature. Sa passion pour l’étang – et la pêche en particulier – l’ont conduit à devenir Président d’un certain nombre de structures du domaine piscicole en France, en particulier, celui de sa région natale : le Val de Loire.

Entre autres attributions, Alain Marié est président de la section aquacole du Groupement de défense sanitaire en région Centre-Val de Loire et coprésident du CAP filière piscicole VAL en région Centre-Val de Loire.

Qu’est-ce qu’un étang ?

Alain Marié, pisciculteur : “Un étang est un milieu naturel anthropisé. Contrairement au lac qui est d’origine naturelle, il nécessite une action humaine forte et ne peut voir le jour sans cette dernière. Par ailleurs, un étang s’étend sur des superficies beaucoup plus restreintes qu’un lac, de quelques centaines de mètres carrés jusqu’à 600 hectares maximum.

Les premiers étangs ont été creusés au Moyen-Âge, par les moines qui souhaitaient assurer leur approvisionnement en poissons durant le Carême.

Avec le développement du machinisme dans les années 1970, beaucoup d’étangs ont été créés pour l’agrément ; ils ont alors perdu leur valeur de production. Cet usage – la pisciculture – a tendance à retrouver ses lettres de noblesse aujourd’hui.

En termes d’entretien, à l’inverse du lac qui parvient à se maintenir naturellement, l’étang est un milieu anthropisé et nécessite donc une intervention humaine pour le rendre pérenne et fonctionnel. De fait, au bout de quelques années de non-entretien, l’étang se bouche, le milieu se referme et devient progressivement marécageux et insalubre. Il suffit de quelques décennies pour le perdre complètement et le voir remplacé par des saulaies sans valeur environnementale ou de production.

Je dois dire que, pour moi, un étang est d’abord un lieu de production. On y met du poisson que l’on récolte avec des rendement très faibles ; on est sur une production de l’ordre de 20-30 grammes par mètre cube. C’est un bel investissement, à mon sens, sur le manger local avec la possibilité de produire des protéines animales à zéro gaz à effet de serre, ou presque.

Création d’un étang : émergence d’un biotope unique

Suite à la création de l’étang, une végétation herbacée se développe largement : joncs, roseaux… Puis des arbustes poussent en grande densité – des aulnes glutineux et certaines espèces de saules. Attention : les saules ne contribuent pas au maintien de l’étang et ont même tendance à boucher le milieu et à en diminuer la biodiversité.

Car de la biodiversité, il peut y en avoir ! Des études scientifiques ont prouvé que les étangs entretenus et exploités présentent la biodiversité végétale la plus riche au mètre carré en France.

La végétation s’organise en fonction de son emplacement ; dans l’eau, immergée, on trouve notamment des nénuphars (archétype de la végétation immergée !), en bord d’étang – dans un espaces qu’on appelle la ripisylve, à cheval entre l’eau et la terre – des roseaux, des typha et des joncs.

Évoquons aussi les organismes planctoniques, qui nourrissent les poissons. Il faut distinguer le phytoplancton, végétal et le zooplancton, animal qui sont à la base de la chaîne alimentaire des milieux stagnustres.

Entretien d’un étang

L’étang demande de l’entretien pour éviter sa disparition ou sa transformation en un lieu malsain.

Il faut le vidanger régulièrement – tous les ans ou tous les deux voire trois ans maximum. La manipulation est la suivante : on vide l’eau, on récupère le poisson que l’on vend soit à un professionnel du négoce piscicole, soit à une association de pêche, un restaurateur, un atelier de transformation ou même à des particuliers.
Si l’on a deux étangs sur son terrain, on peut tout à fait transvaser les poissons d’un étang à l’autre.

On laisse ensuite l’étang à sec pendant un certain temps (quelques semaines). On conseille un à sec total pendant une année entière tous les cinq et dix ans.

Dans la région de la Dombes, ils font ce que l’on appelle l’évolage : quatre ans de production de poissons et un an d’agriculture. Quand l’étang est à sec, on surveille les infrastructures et les digues, on taille les arbres qui poussent sur le côté et qui sont contre-productifs et si besoin, on cure l’étang pour enlever les sédiments – que l’on régale dans les parcelles alentours – pour faire un vide sanitaire, éliminer virus et bactéries qui sont dans la vase, etc.

Mise en eau de l’étang

Nous distinguons trois types d’étangs : en barrage, en dérivation et de ruissellements.

Les premiers, dits en barrage, croisent la route de cours d’eau ; ils se remplissent donc assez rapidement. Il en est de même pour les étangs en dérivation. En revanche, au vu des conditions climatiques actuelles, les étangs qui sont alimentés seulement par la pluviométrie – les étangs dits de ruissellement – ont parfois quelques difficultés à se remplir ; cela peut prendre plusieurs mois voire plusieurs années. Au contraire, en 2019, certains étangs étaient complètement vides en septembre et grâce à la forte pluviométrie de novembre-décembre, ils étaient remplis à nouveau à Noël.

On se rend compte toutefois que ce type d’étang a été bien pensé par nos ancêtres, qui les ont adaptés aux bassins versants.

Une fois que l’étang est en eau à nouveau, on y replace des poissons – soit ceux qui ont été stockés dans un étang voisin, soit ceux que l’on rachète à un professionnel pour repartir sur une à trois années de production. Concernant le dérèglement climatique, même si la hausse des températures ne semble pas avoir d’impact direct sur la production, on peut néanmoins noter que certaines espèces – comme le brochet – ne supportent pas des températures trop élevées.

Les enjeux contemporains de l’étang

Les principales problématiques actuelles au niveau des étangs gravitent autour de la prédation aviaire. Il y a notamment un fort enjeu lié au cormoran, une espèce marine protégée par la directive « Oiseaux » de 1979.

Historiquement, les pays scandinaves récoltaient les œufs sur les nids de cormorans pour les consommer. Cette pratique fut immédiatement abolie dès que l’espèce devient protégée. En conséquence, la population française de cormorans, qui comptait quelques 2000 couples en 1980 a explosé : nous dénombrons presque 150 000 oiseaux sédentaires ou hivernants aujourd’hui. Or, cet oiseau consomme en moyenne 500 grammes de poisson par jour. La population des cormorans européenne consomme donc 1000 tonnes de poisson par jour… une quantité évidemment insoutenable pour la pisciculture !

De fait, la production piscicole en étang avoisinait les 12 000 tonnes de poissons en 1999 ; elle compte désormais à peine plus de 3000 tonnes. En 22 ans, les trois-quarts de la production ont été perdus. Là où elle était excédentaire et exportatrice à la fin des années 90, la France est devenue importatrice et déficitaire

La plupart des étangs sont habituellement gérés par des propriétaires de petites surfaces, avec un intérêt économique assez faible. Alors, quand les cormorans arrivent et avalent les trois quarts de la production piscicole de l’étang, le propriétaire sait d’avance qu’il n’y aura plus rien à pêcher derrière.

L’exemple de ce gestionnaire d’étang, du côté de Moulins, est parlant. Il avait procédé à un empoissonnement très complet et très équilibré de son étang. Deux ans auparavant, sa production avait apporté un peu plus d’une tonne de poissons. Et puis, il eut l’agréable surprise de voir une trentaine de cormorans s’installer sur l’île, au milieu de l’étang. Il se réjouissait de leur beauté. Mais le jour de la pêche venu, il ne sorti dans ses filets qu’une cinquantaine de kilos de petits poissons. Passer d’une tonne à 50 kilos, fut un véritable choc, annonciateur de futurs insuccès.

étangs cormoran
Source de l’image : https://www.republicain-lorrain.fr/edition-de-sarrebourg-chateau-salins/2019/03/15/biologie-du-grand-cormoran

Le Salon des étangs : du 19 au 21 avril 2024

Ce milieu vous fascine vous aussi ? Vous voulez en savoir plus sur le fonctionnement des étangs ? Le salon des étangs est organisé en Indre-et-Loire, à proximité de Tours, à la grange de Meslay, du 19 au 21 avril 2024 !

Ce salon réunit quelques 85 exposants et proposera un village gastronomique, du matériel de pêche, du matériel d’entretien pour les étangs, ainsi que des démonstrations de matériel.

En parallèle, un cycle d’une vingtaine de conférences sera proposé sur des sujets divers dont la santé des poissons, les réglementations autour des étangs, etc. Petits et grand sont les bienvenus !

Le mot de la fin

Un étang est avant tout un lieu de tranquillité, d’observation et de beauté. On aura la surprise de découvrir un oiseau au plumage enchanteur, une carpe qui jaillit hors de l’eau, un cerf qui brame non loin. C’est un milieu extraordinaire, qui mérite l’attention, l’entretien et le regard de l’homme : la relation homme-étang est inexplicable, il faut la vivre pour la comprendre et s’en émerveiller.”


Avez-vous déjà entendu parler de la convention d’Aarhus ? C’est un outil superpuissant pour la société civile en ce qui concerne les problématiques environnementales. En savoir plus.

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