L’homme, l’arbre et la forêt #ReplayWebinar

8 Mar, 2024 | ENVIRONNEMENT

Si la forêt est pour les premiers hommes un refuge et une source de vie, avec la civilisation, elle devient un lieu de fantasmes et de peurs, un monde à conquérir pour sa richesse vitale en bois. Depuis quand coupons-nous les arbres et comment en sommes-nous arrivés à abattre en un siècle et demi la moitié des forêts du monde ? Quel est le sort de celles qui restent, primaires, sauvages ou domestiques ? Peut on encore les sauver et comment ?

Nous en avons discuté avec Dominique Roques auteur du “Le parfum des forêts : l’homme et l’arbre, un lien millénaire” (éd. Grasset, 2023), laissez-vous transporter dans les forêts du monde !

S’intéresser à la forêt, une action indispensable et vitale

Dominique Roques, consultant en parfum naturel : “Je suis bien conscient que le sujet des forêts est vaste, immense… Et que ça n’est pas qu’un sujet facile : chacun a sa propre sensibilité, son propre vécu.

S’intéresser à la forêt me semble évident. Pourquoi ? Parce que les forêts, c’est la Terre. Elles constituent encore aujourd’hui 30 % de la surface des terres émergées. Cela représente 3000 milliards d’arbres – pour 8 milliards d’êtres humains ! Ainsi, quand on parle de nous, de l’avenir de nos territoires, de nos modes de vie, au fond, la forêt n’est jamais loin. Et le devenir de la forêt – ce que nous en faisons – est une préoccupation majeure et immédiate.

Histoire de la relation homme-forêt

Au fond, il y a eu trois grandes étapes dans cette affaire de la relation des hommes avec les forêts.

La première étape est très lointaine. Cela remonte à l’époque de nos ancêtres chasseurs-cueilleurs. Pour eux, c’était la forêt abri, la forêt ressource, la forêt nourricière mais aussi la forêt dangereuse, intacte, présente depuis 370 millions d’années. Pendant des centaines de milliers d’années, les hommes primitifs sont donc à l’abri dans la forêt et cherchent comment s’en accommoder et y vivre.

Dominique Roques Forêt Arbres

Et puis, il y a une bascule avec l’émergence de la civilisation. Faisons un saut à -3000 avant JC date à laquelle il se passe quelque chose de tout à fait décisif : on invente la capacité de faire des métaux de plus en plus performants et, en particulier, on invente le bronze.

À partir du moment où l’homme a été capable de forger du bronze, il a pu fabriquer des haches tout à fait performantes. Le texte le plus ancien de l’histoire de l’humanité est l’épopée de Gilgamesh ; on l’a retrouvé sur des tablettes d’argile en Mésopotamie. Dans cette épopée, on retrouve notamment le mythe du déluge et la quête de l’immortalité ; mais l’une des grandes histoires est le départ du roi au mont Liban pour y affronter la nature sauvage ; il s’y attaque au gardien de la forêt des Cèdres et le tue. Cela passe aujourd’hui inaperçu. Or, c’est fantastique car c’est le point de départ de notre civilisation !

L’homme pose alors un choix : non à la nature sauvage. La nature, je dois me l’approprier. Gilgamesh s’approprie la forêt, il coupe les cèdres et c’est le départ de l’histoire de l’homme bûcheron, qui va durer jusqu’en 1850. Gilgamesh, premier bûcheron du monde, invente le passage de l’arbre vivant à l’arbre mort. Au fond, il invente le bois, sans lequel il n’y aurait pas eu de civilisation.

Dernière étape en date de cette relation de l’homme à la forêt : la révolution de 1850 ; l’homme a tellement progressé en termes de technologie qu’il arrive à faire entrer des machines dans la forêt.

Cet événement se produit pour la première fois dans la forêt des séquoias en Californie, à l’occasion de la ruée vers l’or. Tout d’un coup, on a un besoin de bois phénoménal. Et ça tombe bien, si j’ose dire, puisque les séquoias sont les plus gros et les plus grands arbres du monde…

C’est donc probablement à la plus belle forêt du monde que les bûcherons américains vont s’attaquer. Ils vont progressivement y faire entrer des locomotives, des treuils à vapeur, etc. La machine au cœur de la nature… C’est ce qui va ouvrir les 150 ans de véritable déforestation de la planète puisque en un siècle et demi, on aura coupé à l’aide de machines, la moitié des forêts du monde.

Et le parfum, dans tout ça ?

Avec le parfum, on arrive au sujet de notre relation intime avec la forêt. Car la relation des hommes avec les arbres n’est pas qu’une relation de violence, de destruction.

Les arbres, les forêts, sentent le parfum. C’est tout à fait remarquable et fascinant ! À toutes les étapes, il y a du parfum ; il y a du parfum dans les résines, dans les gommes, dans les baumes ; quand on coupe un arbre, c’est très odorant ; quand on carbonise le bois, qu’on le brûle et qu’on en fait du charbon de bois, là encore, cela produit des substances utilisées dans les parfums, notamment pour créer des notes de cuir.

Le parfum est né des arbres. La naissance du parfum, c’est des hommes qui, se baladant en forêt, y découvrent des odeurs prodigieuses : cèdre, genévrier, cyprès. Et, pour d’autres civilisations hors Méditerranée, ce sera la découverte du santal pour les Indiens et du oud pour toutes les civilisations d’Asie.

N’est-ce pas phénoménal de voir qu’au fil des millénaires, la forêt a été source d’odeurs qui continuent à être utilisées aujourd’hui dans les parfums les plus actuels ?

Les premiers parfums sont issus des bûchers. L’homme sait déjà choisir ce qu’il fera brûler : tout ce qui produit une odeur fantastique. Le roi Salomon, quant à lui, au moment où il fait construire le palais rêvé par son père David choisit le cèdre pour le bâtir. Pourquoi ? Parce que le cèdre est un bois merveilleux de construction et qu’il sent incroyablement bon !

Barque solaire de Khéops

Quand on a découvert la tombe de Khéops au XIXᵉ siècle, on y a découvert une barque en pièces détachées absolument fabuleuse. Cette barque était construite à 90 % en cèdre. 4000 ans après la mort de Khéops, le cèdre sentait toujours !

Je crois donc que les parfumeurs – même s’ils n’ont pas une immense culture au sujet des parfums antiques – ressentent que quand ils travaillent aujourd’hui avec des essences de sciure de cèdre de l’Atlas, avec des baumes du benjoin, avec de l’encens (là aussi à l’origine de la civilisation), ils font perdurer un commun de l’humanité.

Arbres genévrier
Source de l’image : https://jardin-secrets.com/genevrier-commun.html

Cultiver une nouvelle relation à la forêt

Je crois qu’il faut que chacun se fasse sa propre histoire avec les arbres et la forêt.

Concernant les enfants, il me semble qu’il serait bon qu’ils aient à planter un arbre dans leur vie, idéalement au moment de l’école primaire. Par ailleurs, avec les étés que l’on commence à connaître, il faudrait faire expérimenter les bénéfices de l’arbre aux enfants, en leur faisant une demi-heure de cours au soleil et une demi-heure de cours à l’ombre, par exemple. Cela leur ferait prendre conscience de l’incroyable chance que l’on a de bénéficier de l’ombre des arbres ; l’ombre d’un arbre, c’est complètement magique !

Ce qui est capital, c’est de réussir à couper le bon arbre, au bon endroit, au bon moment et ça, c’est très difficile. C’est une espèce de quête. Quand on jette un regard en arrière, on s’aperçoit que globalement, on n’en a pas encore été capable, à l’échelle de la planète. Nous ne sommes pas assez raisonnables. Peut-on réussir à redéfinir une relation différente entre l’homme et l’arbre ? En arrêtant d’exploiter les forêts comme des mines ?

Un mot qui me paraît très important, c’est la réconciliation. On a besoin de trouver la formule de la réconciliation entre l’homme et l’arbre.”


Découvrez un autre ouvrage de Dominique Roques ici : Plongée aux sources des parfums du monde

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