Qu’est-ce que l’homme ? Question philosophique par excellence, car elle rejoint ce qui nous touche le plus directement : nous-mêmes.
Un certain modernisme tend à penser que l’homme est ce qu’il choisit d’être : ainsi de Sartre qui déclare que l’homme est un «projet», ou de Nietzsche qui voit dans l’homme une volonté de puissance. Ces concepts, profondément pensés et réfléchis, méritent d’être compris, creusés et demandent du temps.
Pourtant ils mettent (volontairement) de côté un fait longtemps acquis. Ce que nous sommes précède à la fois ce que nous en connaissons et la façon que nous avons d’exister.
DEUX DÉFINITIONS DIFFÉRENTES DE L’HOMME
Ce sont deux conceptions diamétralement opposées : d’un coté nous pensons l’homme dans sa liberté, comme maître et auteur de sa propre vie. Ses actes créent son être. De l’autre, on s’appuie sur ce mot de Thomas d’Aquin, s’appuyant lui-même sur Aristote : « La vérité est conformité de notre intelligence à la réalité. »
« Aujourd’hui, dans notre société, cette opposition se retrouve partout et fait la joie de l’opinion publique, trop rapidement satisfaite d’une telle simplicité »
Deux maîtres mots qui donnent deux définitions différentes de l’homme : d’un côté nous avons le primat de la liberté humaine. Affranchissement des doctrines religieuses et philosophiques extérieures au sujet, exaltation de la liberté individuelle, primat de la conscience sur l’ordre moral.
De l’autre, primat de la vérité, acceptation de valeurs qui transcendent notre appétit humain, humilité devant la vie, la mort, le corps et, de manière générale, devant ce qui est donné.
Aujourd’hui, dans notre société, cette opposition se retrouve partout et fait la joie de l’opinion publique, trop rapidement satisfaite d’une telle simplicité. Ainsi de l’opposition entre « pro-life » et « pro-choice » aux Etats-Unis, du débat entre pro-mariage gay et anti-mariage gay en France, etc.
Vérité et liberté s’opposent-ils donc autant? Est-il possible d’accepter une vérité révélée, sans pour autant perdre sa liberté ? Est-il possible pour un homme, privé de tout lien avec une quelconque transcendance, de pouvoir approcher la vérité par lui-même ?
Tant que les hommes ne sauront répondre à cette question, les débats resteront des oppositions politiques. Qu’elles soient violentes ou non, elles peineront à faire avancer la société. Désirer en effet fonder la société de manière juste sans en passer par une réelle interrogation sur nous-mêmes ne restera alors que du vent.
Il faut aujourd’hui repenser ensemble ces catégories qui divisent l’homme, ne sachant plus que penser. Sans quoi l’homme ne sera jamais que l’ombre de lui-même. Sans quoi notre liberté ne saurait nous conduire à un vrai bonheur social et personnel. Sans quoi la vérité ne saurait être à nos yeux qu’un tyran à abattre.
LIBERTE ET VERITE
Le mot d’écologie humaine signifie implicitement que l’homme est un donné à respecter. Qu’on ne peut pas faire ce que l’on veut de nous-mêmes. En alignant une vision de l’homme sur le concept d’écologie, elle en fait non pas un objet mais une réalité qui ne dépend pas que de notre ego. Aussi terrible soit cette pensée pour ce dernier, elle nous permet cependant de nous libérer d’un drame profond. Cette opposition de la liberté à la vérité cache en effet un autre drame.
Liberté absolue, l’ego est une réalité solitaire. Désirant ce que je veux être, je ne peux occulter cette nécessité quasi ontologique dans le cœur de l’homme : il n’est pas bon que l’homme soit seul. « Que voulons-nous être? » et « que sommes-nous ? » sont une seule et même question.
Il n’est pas bon que l’homme soit seul est une réponse quasi instinctive, dont nous ne pouvons nous passer sans dépérir.
Le vivre ensemble implique la liberté de chacun. Mais il implique aussi la vérité de chacun avec lui-même et avec les autres. Le mensonge, contraire de la vérité, est aussi l’ennemi de la liberté. Le mensonge dans une relation détruit la liberté de chacune des parties. Au delà des règles, c’est le principe même du vivre ensemble qui exige de lier la liberté à la vérité.
En ce sens, vérité révélée et liberté personnelle sont les deux poumons de notre âme. À l’image d’une relation amoureuse où vont de pair la révélation soudaine que l’autre est bon pour moi et la décision libre de me confier à lui, la relation que nous entretenons avec nos pairs se construit en s’appuyant sur ces deux poumons. Par extension, le regard que nous portons sur le corps humain, sur la terre, sur le travail, sur la valeur de nos actes, a besoin de vérité et de liberté.
Ainsi peut être dépassée, du moins en principe, l’opposition entre la liberté humaine et la vérité humaine.
« Les questions éthiques qui divisent les français sur des questions politiques fondamentales ne peuvent se résoudre par la force mais par la recherche de la vérité. »
Mais il nous faut aller plus loin. Une telle analogie avec la relation amoureuse a pour principal intérêt de réconcilier liberté personnelle et vérité dans le seul domaine politique. Ce qui se joue est la propre unité de l’homme avec lui-même. Nous ne pouvons être libres sans accepter ce que nous sommes. La contradiction entre acceptation et liberté n’est qu’apparente. Elle se résout, toujours à l’image de la relation amoureuse, dans le choix. Choisir l’autre c’est l’accepter librement. Si souvent autre à moi-même, je deviens ce que je suis en m’acceptant librement. Et je ne peux accepter librement ce que je suis qu’en découvrant, dévoilant qui je suis.
Les questions éthiques qui divisent les français sur des questions politiques fondamentales ne peuvent se résoudre par la force mais par la recherche de la vérité. L’idéologie existentialiste de l’homme comme liberté absolue semble alors n’être qu’une façon de se voiler la face, pour mieux s’illusionner d’une fausse liberté.
Le concept de vérité ne m’est pas clair dans cet article.
Entre vérité telle qu’elle est définie par Aristote, “la vérité”, “vérité humaine”, “vérité révélée”, “la vérité de chacun avec lui-même”, je ne fais pas la part des choses.
Peux-tu préciser ces concepts?
@Geoffroy B.
Il vaudrait en fait mieux parler du “vrai”, la “vérité” étant un concept abstrait.
Le sujet de cet article porte sur l’homme et son rapport au monde. Ici vérité renvoie donc au vrai. L’attribution du caractère “humain” renvoie à la dimension éthique de ma réflexion. Trop rapidement, dans les affrontements entre liberté et vérité, nous plaçons la vérité sur un piédestal. Elle est la matrice de nos décisions et la mort de nos libertés, car elle nous commande. Cette vision tyrannique de la vérité, je n’y adhère pas. Ce que nous appelons alors vérité n’est qu’un discours coercitif, qu’on peut retrouver dans les textes religieux, philosophiques, ou politiques souvent. Mais être dans le vrai ce n’est pas être un mouton. La vérité n’est pas l’affaire de grands prêtres ou de chefs d’état. Elle est une affaire humaine. Elle est l’affaire de chacun et de moi-même.
C’est de là que je parle de “vérité humaine” ou de “vérité de chacun avec soi-même”, expressions qui n’excluent pas le fait que le vrai ne dépend pas que de notre petit esprit.
D’une certaine manière, la même raison préside à mon expression de “vérité révélée”. Parler ici de révélation c’est souligner l’idée que le vrai se trouve dans une rencontre de notre intelligence avec la réalité. Comme dans une rencontre amoureuse, l’autre se révèle à nous…Et nous n’avons que peu à réfléchir pour être “vraiment” touchés.
J’espere que cela est éclairant.
Je crois qu’il vous faut choisir ce que vous appelez “vérité”. Si l’on suit Aristote “conformité de notre intelligence à la réalité”, alors cette vérité, même inaccessible, est unique et universelle – pour autant qu’on admette que la “réalité” le soit.
A l’inverse une “vérité révélée” n’est une vérité qu’aux yeux de celui qui l’a reçue comme “révélée” : elle est différente de celle de son voisin, et généralement toutes deux sont contradictoires entre elles et avec la “réalité” telle qu’elle est perçue et partagée par tous.
Une “vérité révélée” est un bagage culturel propre à un groupe donné, sinon on l’appelle “vérité” tout court. Il serait donc plus adéquat d’employer un autre terme.
@Yogi J’entends bien la distinction que vous soulignez entre vérité (Aristote) et vérité révélée (qui renverrait plus à une notion de foi. et sans doute ai-je mal exprimé mon propos.
Je pense la notion de vérité à la suite d’Aristote, dans son rapport avec l’experience. Je ne pense pas le terme de vérité dans une acception moderne de vérité absolue, universelle et unique. Il ne s’agit pas tant de la vérité que du vrai, si vous préférez, ce dernier s’appliquant toujours à une réalité particulière, ou à un discours sur la réalité.
Pour ce qui est donc de la notion de vérité révélée, telle que je l’emploie dans l’article, il s’agit d’une analogie, empreinte de l’experience amoureuse. Le but de cette analogie n’est pas tant de définir la vérité que d’éclairer la relation que nous avons avec elle.
Après cinq siècles de pensée moderne, qui ont suivie la révolution cartésienne, il ne va pas de soi de dire que le vrai se trouve dans la réalité. L’esprit moderne s’est accommodé à prendre le doute comme point de départ de la réflexion. C’est là que devient éclairante l’analogie soulignée plus haut. Il y a dans le rapport de l’intelligence à la réalité quelque chose de semblable à ce qui se passe entre deux amants. L’un et l’autre se laissent approcher, s’offrent mutuellement. Et lorsque les liens viennent à se briser, il est souvent difficile de les retisser. Il en est de même pour l’intelligence. On ne peut avoir accès à la vérité de ce qui est en remettant sans cesse en cause ce qui nous apparait, ce qui se révèle. De là, je me permets de penser qu’Aristote lui-même inclut dans sa vision du vrai une notion de “révélation”, ce mot une fois dépouillé de toute sa connotation religieuse.
Pour reprendre alors vos propres mots, il s’agit bien de “révélation” lorsque vous parlez de “cette « réalité » telle qu’elle est perçue et partagée par tous”. L’intelligence ne connait le vrai de la réalité qu’en acceptant de se laisser guider par elle, à travers l’expérience.
Bien entendu, je reconnais humblement que ces notions ne se suffisent pas d’un texte pour mettre tout le monde d’accord. N’hesitez pas à me relancer.
Même en se référant à la définition d’Aristote (« La vérité est conformité de notre intelligence à la réalité. »), je ne vois ni universalité ni unicité dans cette vérité.
En effet, je pense qu’il y a plusieurs formes d’intelligence (cf théorie des intelligences multiples)
Une intelligence peut arriver à la conclusion que le libre-arbitre est la condition sine qua non du bonheur, une autre peut affirmer que le libre arbitre est source d’inégalité, de souffrance et doit donc être restreint.
Pour moi, la vérité est ce qui est. La vérité universelle correspond alors à la réalité.
Dire qu’un poumon est vérité signifierait qu’on ait en nous une connaissance absolue de la réalité.
Je parlerais plutôt d’un poumon “pulsion” et d’un poumon “raison”. Les deux peuvent être en accord (j’ai faim, il est raisonnable de manger) ou pas (j’ai envie de chocolat, mais je sais que c’est mauvais pour ma santé).
On ne choisit pas irrévocablement entre les deux. Les deux poumons jouent de concert dans nos prises de décision.
S’appuyer toujours sur le même poumon peut s’avérer très nocif.
Si la raison conduit à penser que l’homme est nuisible à la nature, aux autres êtres vivants, il pensera au suicide. Mais son poumon pulsion pourra l’empêcher de faire cet acte.
A chacun de trouver son équilibre pour vivre heureux sans porter préjudice au bonheur d’autrui.
La question de l’intelligence, de savoir ce qu’elle est une une grande question. En référence à la notion d’intelligences multiples, je me demande si Howard Gardner parle de diffèrences “spécifiques” entre les intelligences, ou bien simplement de diffèrences d’exercices d’une même faculté intelligible que tous possèdent. La question n’est pas moindre et pourrait être discutée longuement. A mon sens, l’intelligence n’est pas d’abord à définir par la façon dont elle s’exerce. L’exercice de l’intelligence est plutot ce qu’on appelle le raisonnement, l’analyse, la synthèse et toutes sortes d’opérations intellectuelles. Mais toutes ces opérations appellent à une autre opération plus fondamentales de l’intelligence humaine qui est de pouvoir dire ” Ceci est “. Le jugement d’existence (cf les ouvrages de Suzanne Mansion sur cette notion chez Aristote mais aussi MD Philippe et ses nombreux ouvrages sur le sujet) est ce qui fonde le rapport de l’intelligence à la réalité, et par conséquent fonde la vérité de nos propos. Par exemple, il est faux de dire ou “je suis noir” alors que je suis blanc. Ou encore plus simplement “je ne suis pas” alors que je suis et j’existe.
Je vous rejoins sur le fait de dire que la vérité est ce qui est. Cela rejoint Saint Thomas et les penseurs scolastiques qui attribuent à la réalité plusieurs caractères qu’on nomme transcendataux, dont le vrai fait partie. Cependant la vérité est aussi dans nos dires lorsqu’ils correspondent à la réalité. Dire que la vérité est un poumon de notre âme, ce n’est pas l’enfermer dans notre petit moi, de manière absolue. c’est au contraire en faire une fin en soi pour notre intelligence, redonner à notre intelligence cette impulsion qui la pousse à sortir d’elle-même et de ses conceptions pour chercher le vrai.Ce qui est proprement l’inverse d’une philosophie qui tendrait à croire que la connaissance absolue de la réalité réside en nous, dans une sortie de holisme intellectuel digne de Berkeley.
Pour la suite de votre réponse, je crois que les mots choisis ne sont pas adéquats. Entendez-vous par “pulsion” ce qu’on nomme “volonté” ou “appétit”? Le terme “pulsion” me semble trop connecté psychologiquement. Et le terme “raison” est particulier. Il renvoie au raisonnement mais peut aussi porter une teneur morale. Sur la base de l’exemple que vous donnez, il semble renvoyer à une faculté de calcul logique (l’homme est nuisible à la nature, donc détruisons-le) qui n’est qu’une opération parmi tant d’autres que peut effectuer l’intelligence humaine pour prendre une décision. Il faudrait préciser.
La pulsion relève plutot d’un domaine irrationnel qui nous échappe. Ce qui le distingue vraiment de la volonté, qui inclut une conscience claire et libre de nos actes et de leurs conséquences, en lien avec l’intelligence que nous avons du monde qui nous entoure.
Sur la question du bonheur c’est une vraie question morale. N’avons-nous qu’une responsabilité “négative” sur le bonheur des autres, dans le sens ou notre seul devoir est de ne pas les gêner? N’avons-nous pas aussi une responsabilité “positive”, dans le sens ou il est bon de prendre soin d’autrui et de chercher à l’édifier, et réciproquement? C’est bien le sens de tout engagement politique social. A partir du moment ou il y a relation, il y a responsabilité (cf le Petit Prince de Saint Exupery, non dénué d’intérét)
Par pulsion, j’entends la pulsion telle qu’elle est définie par Freud : “une poussée constante et motrice qui vise à une satisfaction et est le moyen initial de cette satisfaction.”
Pour me ramener à son vocabulaire, j’aurais pu appeler ce poumon le Ça, réservoir des pulsions.
L’autre poumon serait alors le Surmoi et serait le siège de ce que vous appelez Responsabilité morale, ce qu’il convient de faire, conception du Bien et du Mal, le Vrai.
Je ne maîtrise pas ces notions, mais elles me semblent plus adéquates que les poumons Vérité et Liberté.
« Recherche de Liberté » et « Recherche de la Vérité » m’apparaissent comme deux motivations distinctes. La première relève plus du Ça, la seconde du Surmoi. La recherche de Vérité ne me semble pas commune à tous les hommes. Je n’en ferais donc pas une chose intrinsèque à la nature humaine.
@ Geoffroy B. : Pour préciser je dirais que la “recherche” de Vérité n’est peut-être pas commune à tous les hommes, mais le “besoin” de Vérité, de sens, d’une histoire qui explique le monde, oui.
Soit alors on s’arrête à la première histoire qui nous est racontée avec autorité, soit on cherche, on compare, on confronte au réel, on entre dans une démarche critique active. Cela en effet tout le monde n’en a pas envie.
@Grégoire : Voici une citation de Schopenhauer concernant la volonté : “l’homme peut certes faire ce qu’il veut mais il ne peut pas vouloir ce qu’il veut”.
La volonté est comme synthèse de la raison et de la pulsion. Je veux faire ceci parce que j’en ressens le besoin et que ce n’est en contradiction ni avec mes valeurs, ni avec mes moyens.
@Yogi : Non, tous n’ont pas ce besoin de Vérité, de sens. Les nihilistes en particulier, voire les épicuriens. J’ai aussi des contre-exemples parmi mes proches.
@ Grégoire Jalenques :
J’avoue que j’ai bien du mal à comprendre ce que vous appelez “Vérité” qui ne soit pas son acceptation actuelle de “vérité absolue, universelle et unique”.
Une vérité basée sur “l’expérience” de chacun ? Mais nous ne percevons la réalité du monde qu’à travers le filtre de notre pensée et de nos émotions, et cet instrument est extrêmement apte, voire même farouchement résolu si son propre équilibre est en jeu, à nous induire en erreur.
Depuis la divergence des récits des témoins d’un même événement, jusqu’aux phénomènes hallucinatoires, nous constatons tous les jours autour de nous et en nous à quel point nos pensées et nos sens sont influencés, et notre perception du monde biaisée, malléable, peu fiable.
Toute croyance ou conviction qui ne trouve son appui qu’à l’intérieur de nous-mêmes (ie dans le discours que nous nous tenons et qui constitue notre “expérience” individuelle), est directement soumise à ces effets de distorsion et d’auto-aveuglement. A l’intérieur de nous-mêmes nous ne rencontrons que nous-mêmes, nos peurs et nos espoirs, remodelés et projetés sur la “nature ultime du monde” tel que nous souhaitons qu’il soit.
A l’inverse, la démarche scientifique vise à s’abstraire du biais apporté par chacun d’entre nous pour identifier, à “l’intersection” en quelque sorte de toutes nos expériences individuelles, ce qui peut constituer la réalité tangible d’un monde extérieur. L’expérience matérielle, mesurée, reproductible, me semble la seule façon de prétendre atteindre une “vérité” autre que la projection de nos propres obsessions individuelles.
Je vous entends bien, Yogi, sur votre conception de la façon la meilleure de s’approcher de la vérité. Seulement je crois n’être pas d’accord avec vous Malgré la révolution copernicienne introduite par le doute cartésien et qui a propulsé toute la science moderne, dont vous définissez bien les principes de base, je tends à penser que l’on peut toucher la réalité dans son être propre, en se fondant sur nos sens et sur notre capacité intellectuelle à accueillir le monde tel qu’il est. Bien sur, notre expérience est particulière et non universelle, dans le sens de son extension (c’est-à-dire que nous ne saisissons pas toute l’étendue de la réalité d’un coup, à cause des limites inhérentes à nos sens, à notre corps). Pourtant je pense que l’on peut saisir la réalité dans le sens de son existence, de son être. Je suis éducateur spécialisé et travaille avec des personnes atteintes de handicap mental. Pour le coup, je vous assure de ma totale compréhension de la fracture, de la discontinuité que peut connaitre le lien entre ce que nous pensons et ce qui est. Mais je pense que cette fracture touche d’abord notre perception (je pense à l’autisme), c’est à dire la façon dont nous appréhendons et synthétisons le monde. Mais il faut prendre en compte que la première opération de l’intelligence, sur laquelle s’appuie toute vérité, est d’abord de reconnaitre que “ceci est”. Avant même de l’analyse, d’en faire un objet construit. Je pense que la science moderne nous a permis et va encore nous permettre de mieux décrypter le réel. Mais elle ne le rend pas plus réel pour autant.
Donc, pour vous répondre, je pense que se cantonner dans la recherche du quantifiable, du matériel, du malléable, par peur de se tromper, ne permet pas d’acceder à la vérité d’une chose. L’analyse scientifique n’est qu’un moyen de toucher du doigt ce qu’est la réalité. Que dire de l’émerveillement artistique, de la prière (moyennant la foi), des sensations?
En relisant votre réponse, je pense donc que vous avez mal saisi ce que j’entends par “experience”. Je l’entends non pas dans un sens moderne de subjectivité ( “j’ai fait une merveilleuse experience” ou “mes experiences m’ont beaucoup appris”) mais dans un sens que l’on peut retrouver chez Aristote (cf MD Philippe). Je veux parler d’une experience objective, sensorielle. Je touche mon clavier d’ordinateur et les lettres apparaissent. Je peux le dire car je le vois. Ma vue ne me trompe pas. Il ne s’agit pas d’une experience subjective mais objective. Pourtant nul procédé scientifique à l’oeuvre qui garantissent que ce que je dis n’est pas qu’illusion. Seulement il y a dans la recherche de la vérité une part d’adhèsion à laquelle nous ne pouvons pas échapper. L’exemple de maladies telles que la paranoïa ou la psychose, sont des exemples de refus pathologiques de l’existence ou l’inexistence d’une chose. Mais ce sont des pathologies.
Enfin un dernier point. Bien que je considère l’experience comme première source de réalité, je vous rejoins cependant sur la necessaire confrontation des hommes entre eux. Car, il est vrai, nos sens sont défaillants et limités. Pourtant ils sont ce que nous avons pour connaitre.
Il me semble pourtant que vos exemples confortent ma position. Que dire de l’émerveillement artistique, de la prière, des sensations, demandez-vous ? Qu’elles me sont propres, qu’elles sont produites et interprétées par mon psychisme, qu’elles reflètent ma personnalité à un moment donné, tout comme mes rêves ou mes fantasmes. Elles ne reflètent en rien une vérité qui serait “universelle” et donc candidate à être “réelle” et externe à moi même. Elles parlent de moi, pas du monde.
Ma vue peut parfaitement me tromper : si je suis le seul à voir des lettres apparaître quand je touche mon clavier d’ordinateur, c’est bien moi qui suis en cause. L’objectivité n’existe qu’à l’intersection des expériences de chacun. Il est bien là le procédé scientifique que vous recherchiez : la reproductibilité de l’expérience. Tous les hommes de toutes les religions voient les lettres apparaître. On peut les prendre en photo. Chacun peut les prédire. Le consensus voudra qu’elles ne soient pas qu’une illusion.
Rien de tel avec mon émerveillement artistique ou ma prière.
@Yogi L’idée que mes sens puissent me tromper, c’est cela qui est produit par mon psychisme. Que parfois je distingue mal une couleur ou que mon nez me fasse me tromper sur une odeur, je ne le conteste pas. Mais de là à prendre comme principe absolu que mes sens ne sont pas fiables, c’est un pur produit de mon intelligence, qui pourrait tout aussi bien, en déduire que mes sens sont parfois faillibles, et parfois non. C’est là la force de l’experience. Repétée, elle nous permet de vérifier la réalité d’une chose. Baser sa recherche intellectuel sur le principe que les sens me trompent est une erreure philosophique à mes yeux. Car enfin toutes nos informations nous proviennent de l’experience. Si alors tous nos sens nous trompent, il faut accorder à Berkeley qu’être c’est être perçu. La réalité d’une chose ne provient que de notre perception et finalement la seule réalité c’est notre perception. Il n’y a rien en dehors de nous que ce que nous percevons. Nous pourrions également tous nous tromper ensemble, à l’instar du Néo des frères Wachowski. Il n’en est rien. Enfants, nous apprenons à marcher avant de penser et la solidité du sol sous nos pieds n’est pas une illusion. Mon corps n’est d’ailleurs pas non plus une illusion, en atteste tout à la fois mon vécu intérieur psycho-affectif mais de manière encore plus élémentaire sa présence réelle. Tout ce qui vient après comme approfondissement de la connaissance que j’en ai dépend de sa réalité vécue et experimentée.
@ Grégoire Jalenques : Vous le dites très bien : “C’est là la force de l’expérience. Répétée, elle nous permet de vérifier la réalité d’une chose”, mais il faut ajouter : répétée également par autrui.
Ainsi le sorcier Kwai’o, qui tous les matins fait l’expérience répétée que son incantation fait bien lever le soleil, est conforté dans sa conviction et dans son expérience. Il est fondé à dire que son expérience quotidienne ne laisse place à aucun doute : il fait lever le soleil.
Penser que votre propre perception et votre propre expérience vaudrait mieux que celle des autres me paraît relever au choix, excusez-moi, d’un orgueil ou d’un aveuglement coupables.
Votre “vérité révélée” à vous n’est pas celle du musulman et n’est pas celle du sorcier Kwai’o. Elle n’est donc pas universelle. Elle n’est donc pas une vérité.
Concernant la vérité révélée, telle que vous l’entendez (vérité religieuse et ce n’est pas ce à quoi je faisais allusion dans mon article), nous entrons dans le domaine de la foi et du mystère. Domaine qui échappe à la rationnalité pure et réclame à un moment donné un saut dans la foi. D’un point de vue rationnel, on peut dire: est-ce vrai? Peut-être. Peut-être pas. Mais dire comme vous le faites que ce n’est pas une verité. Au fond, vous ne savez pas, tout comme moi. La raison ne peut invalider une révélation, car elle ne se situe pas dans le même ordre. Elle peut tout au moins en contester la cohérence logique.
Enfin, vous m’accusez d’orgueil. Car vous avez cru entendre que la verité ne dépend que de moi et que je n’ai nul besoin des autres. Je n’ai pas dit cela. Conforter son experience avec celle des autres est un bon moyen de progresser dans la connaissance. Ce que je défends est qu’au départ de toute connaissance personnelle se trouve l’experience, par le biais des sens.
Humblement, je dois vous demander de m’oter un doute. Pensez-vous donc que l’experience ne soit qu’un chemin biaisé vers la vérité? Que l’experience sensible ne vale rien?
L’exemple du sorcier Kwaio est intéressant. Mais on pourrait aisément lui rappeler que le soleil se levait avant qu’il l’invoque. A moins qu’une telle croyance lui soit transmise de père en fils. Ce qui pose la question de l’influence de la culture sur la connaissance. Mais c’est une autre question.
@ Grégoire Jalenques :
Oui pardon la “vérité révélée” à laquelle vous faites allusion est plus intime et plus personnelle, comme le laisse penser l’analogie que vous faites avec l’expérience amoureuse. A ce titre elle est directement soumise aux divers biais cognitifs https://fr.wikipedia.org/wiki/Biais_cognitif , phénomènes bien documentés et observés, qui empêchent de donner crédit à l’expérience d’un seul individu, aussi bien intentionné soit-il.
D’ailleurs si vous confrontez votre expérience amoureuse à celle d’autrui, vous constaterez que tout le monde n’est pas amoureux des mêmes personnes. Cette “vérité révélée” là vous est donc parfaitement singulière ; elle parle de vous et non du monde.
L’expérience de chacun n’est donc qu’un indice de la vérité, qui ne vaut “rien” (rien d’universel, rien en dehors de l’individu concerné), si elle n’est pas corroborée par autrui et par “l’expérience” (au sens scientifique cette fois) au delà des frontières de culture et de préjugés.
A ce titre on notera que l’influence de la culture sur la connaissance est en fait au coeur de la question, puisqu’elle est l’un des composants du filtre que je vais interposer entre mon expérience et l’interprétation que je vais en donner.
Ainsi, vous semblez sous-estimer les théologiens Kwai’o et l’ingéniosité qu’ils déploient pour faire coller l’expérience et “le réel” avec leurs théories. De même que les théologiens chrétiens ont bâti des théories (tout aussi incohérentes que celles du sorcier Kwai’o d’ailleurs) pour tenter d’expliquer comment un Dieu créateur omniscient et bon pouvait avoir créé un monde où existe le Mal, de même le sorcier Kwai’o a toute une série d’explications prêtes pour justifier le fait que le soleil se lève même lorsqu’il était trop saoul pour prier.
Mais ainsi va la force de la culture, et l’extrême fragilité du témoignage individuel : même confronté à “l’évidence”, ni le sorcier Kwai’o ni le théologien chrétien ne révisera son système de croyance.
Le Mal? Pourquoi mettre une majuscule? Le Mal n’est pas un être mais la qualité d’une action. Grande question théologique.
Bah, le fait d’estimer que le Mal soit un être ou pas dépend de votre doctrine / vérité particulière, et nombre de catholiques bon teint croient à l’existence du Malin. Et s’ils le ressentent ainsi au plus profond d’eux-mêmes, qui êtes vous donc pour affirmer qu’il n’existerait pas ? 😉
Quoiqu’il en soit je désignais par là le concept théologique, qui se décline en de multiples manifestations, lesquelles s’avèrent incompatibles avec un Créateur omniscient et bon. Grande question théologique en effet, mais un sujet à part entière.
En fait je soulevais ce point car le Mal, même dans la théologie catholique et la personne du Diable, n’est pas un être. Le Diable est appelé le Mauvais car il a fait le choix dans l’éternité de mal agir. Mais, dun point de vue théologique, on ne peut pas dire que le Diable est le mal. D’un point de vue chrétien, le diable a été crée bon, comme tout ce qu’a crée Dieu. Et d’un point de vue théologique (les théologiens explorant un mystère révélé dans la foi), le fait que des hommes agissent mal ne pourvent en aucune manière l’impossibilité dun Dieu bon. C’est toute la question de la grâce et du libre arbitre, débattue par de nombreux penseurs (Saint Bernard de Clairvaux notamment).
A ce propos, me revient cette parole de Nietzsche, intéressante dans notre discussion: “Seul ce qui est personnel est éternellement irréfutable”.
A ce titre, le fait de dénier à tout discours l’universalité de la vérité pose un autre problème. Elle donne à la vérité un caractère totalitaire. Nous n’aurions pas le choix de reconnaitre ou nier la vérité lorsqu’elle nous apparait. Seulement que faire alors de notre liberté d’adhésion? Que vaut la vérité si elle fait de nous des esclaves?
La vérité ne s’impose pas, elle se dévoile. Et en ce sens, je vous rejoins, la vérité n’est pas un donné brut. Elle se dévoile aux yeux de l’intelligence tout autant avec l’expérience personnelle qu’avec la confrontation à d’autres points de vue. mais je crois néanmoins que , pour une personne singulière, la première expérience de vérité dépende de lui-même.
Car, l’expérience le montre, on ne saurait convaincre quelqu’un d’une vérité universelle s’il persistait à croire à son contraire. A mon sens, on pourrait convaincre un sorcier kwaio qu’il se trompe, sur la relation de cause à effet entre ses prières et le soleil. Mais je doute davantage de la capacité de n’importe qui de convaincre un chrétien soutenant sa proximité avec le Christ que tout cela n’est qu’artifice, l’histoire spirituelle d’une amitié avec Dieu sortant du cadre scientifique d’une simple relation de cause à effet.
Quant aux facteurs environnementaux jouant sur la perception, c’est à mon sens une erreur de leur donner pleins pouvoirs sur le rapport de l’homme singulier au monde qui l’entoure.
Notons tout d’abord que omniscience divine et libre arbitre humain paraissent foncièrement incompatibles : il ne peut y avoir de “libre arbitre” face à un créateur omniscient qui connaît le moindre acte de chacune de ses créatures avant même que celles-ci n’existent et avant même de les avoir créées. Il n’y a pas plus de liberté pour l’homme face à Dieu que pour l’horloge face à l’horloger, puisque Dieu choisit les actions de ses créatures en même temps qu’il les crée. Ni Bernard de Clairvaux ni aucun théologien à ma connaissance n’a pu lever cette contradiction fondamentale du dogme.
Quant au caractère “totalitaire” de la vérité, il n’est ni plus ni moins que le caractère “totalitaire” du réel, auquel la vérité est supposée être conforme. La question “que vaut la vérité si elle fait de nous des esclaves ?” est identique à “que vaut la réalité si elle fait de nous des esclaves ?”, et j’ai du mal à en percevoir le sens.
Mais je suis d’accord avec vous qu’il ne paraît guère possible de convaincre un chrétien soutenant sa proximité avec le Christ que tout cela n’est qu’artifice. Tout au plus puis-je espérer lui faire comprendre que la proximité comparable que le musulman entretient avec Allah, que le chaman a avec l’âme des arbres, et Raël avec les Elohims, ne sont ni plus ni moins légitimes que la sienne.
Et si Dieu avait créé une machine quantique, ne pourrait-on pas dire qu’il est omniscient sur celle-ci tout en lui laissant des degrés de liberté? Il a beau tout savoir sur les lois quantiques et mécaniques, sur ses matériaux, il peut laisser de la manœuvre à son oeuvre.
D’autre part, libre-arbitre et illusion de liberté ne se confondent-ils pas?
Est-il inimaginable de créer un être libre, de tout savoir sur lui, sur ses modes de fonctionnement, son métabolisme, et même de connaître à l’avance ses futurs choix, actions, décisions?
“laisser de la manœuvre” mène à l’imprévisible, ce qui paraît exclu aux yeux d’un Dieu omniscient. Nulle imprévisibilité et nulle surprise, donc nulle marge de manoeuvre et nulle “liberté” ne sont possibles pour son oeuvre aux yeux d’un Dieu omniscient.
Et je ne comprends pas bien ce que l’on pourrait appeler “libre-arbitre” pour un être dont les futurs choix, actions, décisions sont définis et connus avant même sa venue au monde. Il n’est que l’acteur fidèle qui suit le scénario pré-écrit.
1. Etre omniscient, à mon sens, ce n’est pas prévoir l’imprévisible (ce qui serait absurde), c’est savoir ce qui est imprévisible, ce qui ne l’est pas, c’est connaître toutes les lois, les principes, les constituants de sa création.
Le créateur d’une calculette est omniscient concernant sa machine, c’est à dire qu’il connait tout sur tout sur sa calculatrice. Même s’il ne sait pas ses tables de multiplication, il sait parfaitement comment elle fonctionne
Si je créé ex-nihilo un jeu de hasard, ne peut-on pas dire que je le connais de manière approfondie? Que je suis omniscient à son sujet, même si je ne connais pas le résultat?
2. Par exemple, un enfant a le choix entre un plat de pâtes et une barquette de frites. Sa maman le connait très bien et sait pertinemment quel va être son choix.
L’enfant n’en reste pas moins libre.
@ Geoffroy B:
Etre omniscient c’est par définition tout savoir de l’avenir, ce qui inclut évidemment de prévoir l’imprévisible, sinon on ne connaît rien. Quel événement serait donc selon vous imprévisible aux yeux de Dieu ? Comment pourrait-il avoir la moindre connaissance de ce qui se passe au delà du premier événement “imprévisible” ?
Quant à la comparaison avec la liberté de l’enfant, elle est particulièrement trompeuse. Dieu ne crée pas seulement l’homme, il conçoit et crée également lui-même la moindre des actions et des décisions de chaque homme, puisqu’il perçoit et connaît celles-ci dès “le cinquième jour”, avant même que les personnes concernées ne soient créées. Ces actes sont donc bien le fruit de la volonté de Dieu puisqu’ils sont déjà présents à son esprit avant que nous ne soyons créés pour les accomplir.
On peut percevoir et connaître nos actions sans pour autant décider à notre place.
Imagine que Dieu ait une machine à voyager dans le temps, plus une machine télépathique. Il est un observateur omniscient, il est hors du temps, il voit aussi bien le passé que le futur.
De même que les astrophysiciens peuvent voir le passé en voyant loin, Dieu peut voir le futur.
Aussi, déterminisme et libre-arbitre ne sont pas forcément incompatibles (cf wikipedia.org/wiki/Compatibilism)
@ Geoffroy:
Je pense en effet que déterminisme et libre-arbitre sont compatibles, notamment depuis que Poincaré a démontré avec le problème des trois corps que “déterministe” ne signifie pas “prévisible”. Ainsi des lois parfaitement déterministes comme la loi de la gravité peuvent donner lieu à des systèmes parfaitement imprévisibles, comme le système solaire par exemple dont on ne sait pas s’il est stable à long terme ou pas. Non pas qu’on l’ignore par incapacité de calcul, mais parce qu’il est intrinsèquement impossible de le savoir. Mais je ne vois pas bien le rapport entre ces questions et le problème de l’omniscience de Dieu.
Pour en revenir à ce sujet, n’oublions pas que Dieu est créateur et omniscient. Avant même de créer le monde, il en connaît l’ensemble des événements qui vont s’y dérouler, dans leurs moindres détails, y compris ceux issus des décisions des hommes.
Si l’on suppose que Dieu lui-même a son libre-arbitre, c’est à dire que rien ni personne ne le force à créer ce monde là plutôt qu’un autre, c’est donc bien que Dieu lui-même a choisi l’ensemble des événements qui vont s’y dérouler, dans leurs moindres détails, y compris les décisions des hommes.
Il ne peut donc pas y avoir de libre-arbitre autre que celui de son créateur, dans un monde créé par un créateur omniscient.
pour moi, libre-arbitre consiste à faire ce qu’on veut. Même si Dieu a décidé ce que je veux, je me considère libre. En tout cas, je ne pense pas que Dieu ait pris en compte ma volonté pour créer le monde. Il s’est sûrement dit “bon ok, il y a de la petite canaille dans cet univers, pas mal d’injustices, mais je ne pouvais pas faire mieux. Pas de bien sans mal. Je veux du mal et du bien plutôt que rien. Ce monde est parfait, basta!”
Bon, assez philosophé pour moi 🙂
voici une petite vidéo pour inciter à l’altruisme, qu’il y ait un Dieu ou non, qu’il soit omniscient ou imaginaire :
http://www.ted.com/talks/lang/fr/peter_singer_the_why_and_how_of_effective_altruism.html
@Geoffroy B. La citation de Schopenhauer me semble obscure. Je ne peux pas vouloir ce que je veux? Quel est donc ce sophisme?
Vouloir est une opération assez simple à comprendre pourtant, n’en déplaise à ceux qui aiment couper les cheveux en quatre. La volonté s’enracine dans la reconnaissance d’un bien pour moi. Vouloir c’est tendre vers un bien et, sur la base de ce vouloir, agir en vue de ce bien. Je vous invite à relire l’Ethique à Nicomaque d’Aristote, ouvrage qui a explicité de manière on ne peut plus clair ce qu’est la volonté humaine.
Et sur la base de ce même penseur, j’oserais surenchérir à la remarque que vous faites à Yogi. “Tout acte tend vers un bien”. Or donc, la recherche de sens semble être un bien pour la majorité des hommes. Concernant les épicuriens ou nihilistes, je vous invite à creuser davantage leur philosophie qui n’est pas une absence de sens mais une construction particulière du sens du monde, qui fait bien office de réponse à une recherche de sens. Quant à vos amis, je ne les connais pas. Mais, ayant également des amis qui ne se posent pas autant de questions que moi, je ne saurais les affliger d’un tel jugement, les condamnant à être ou des idiots ou des ignares. Pour ma part, je reconnais cependant que certains n’ont pas cette fibre de réfléchir et de lire des bouquins. Est-ce pour autant que leur vie intellectuelle est dépourvue de questions et de réponses? J’en doute.
Je veux manger du chocolat, je veux boire une bière, je veux fumer, je veux me gratter, je veux un sac de luxe, je veux aller me battre au front, je veux me suicider, je veux tout savoir,…
Ces actes tendent-ils vers un bien pour moi?
Notre volonté n’est-elle pas conditionnée par notre expérience, nos neurones, nos gènes, nos hormones, notre éducation?
Quand a la vérité (=ce qui est), pensez-vous qu’elle soit accessible? Que la science puisse y mener? Qu’elle soit connue par quelques uns? Qu’elle apporte le bonheur?
Bonjour Geoffroy B
Oui, tous ces actes tendent vers un bien. On peut d’ailleurs definir assez facilement. Manger du chocolat est agréable, boire une bière peut détendre ou permettre de s’évader. On se gratte pour se soulager d’une piquure ou un demangaison, meme si cela ne fait qu’empirer la chose. Même le suicide peut apparaitre comme un bien quand la vie nous est insupportable.
Oui, bien sur, je peux être d’accord avec toi, la volonté est conditionnée par tout un vécu psychologique ainsi que par notre environnement. Mais malgré tout, même si mon estomac grouille, que quelqu’un m’encourage ou me pousse et que ce chocolat a l’air delicieux, j’ai tout de même le choix.
Des situations limites peuvent nécessiter une discussion comme par exemple des personnes dépossédées de leur volonté par l’addiction, l’emprisonnement. Cependant, il existe des situations limites dont certaines personnes se sont sorties, grâce à un environnement propice bien entendu mais aussi grâce à leur volonté. Je pense notamment à l’histoire Tim Guénard, dont je vous conseille la biographie, “Plus fort que la haine”.
Je pense que notre intelligence peut dire d’une chose qu’elle est vraie. Par exemple, dire que ce stylo que je tiens dans la main est, cela est une verité. L’intelligence a en elle la capacité de juger de la vérité ou pas d’une chose, comme elle a la capacité de se tromper. Mais dire que quelque chose est, oui, nous le pouvons. La phénoménologie tend à considérer que nous n’avons accès qu’aux phénomènes, qu’à ce qui nous apparait des choses et non pas leur être véritable. A mon sens, lorsque nous disons de quelque chose qu’elle est, sur la base de notre experience, nous touchons intellectuellement l’être de cette chose. Aristote nommait cela le jugement d’existence. Une bonne étude de Suzanne Mansion, “le jugement d’existence chez Aristote”, est à lire.
Quant à la question de savoir si la science moderne peut nous faire mieux toucher la vérité d’une chose, dans tout ce qu’elle est, oui, je pense que les moyens mis en oeuvre, tant dans l’investigation microscopique nous permet de mieux percer la matière d’une chose. Mais pour quantité d’objets de notre monde, la science moderne (quantifiable) ne peut pas tout dire. Ainsi des sciences humaines, politiques, ou encore de la philosophie.
La vérité, je peux dire que certains la connaissent plus que d’autres, mais au fond, il est dur d’émettre un tel jugement. Ce que nous pouvons dire, en revanche, c’est que la vérité est un bien pour l’intelligence. Un bien réel, contrairement à certains biens apparents. L’intelligence humaine a pour fin la vérité. Le désir de comprendre, de percer, de saisir, qui nous fait lire des bouquins, réfléchir et converser est une manifestation de cette cause finale. Et progresser dans la vérité, oui, rend plus heureux. Je parle de mon expérience personnelle. Nous pouvons vivre sans chercher la vérité. Mais l’ayant cherché, et la touchant du doigt parfois, je sais le bonheur que j’en retire.
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Maintenant la vérité n’appartient qu’à celui qui la trouve. Pour paraphraser Jésus, celui qui la trouve est comme celui qui a trouvé une perle dans un champ. Il va vendre tout ce qu’il possède pour acheter le champ.
La vérité n’appartient pas vraiment à celui qui la trouve, le dire ainsi n’est pas exact. La vérité est une fin pour l’intelligence qui comble ce pour quoi elle est faite. Ce qui nous appartient est le bonheur ainsi atteint.
Quant à la notion d’universalité. Universelle ne signifie pas acceptée par tous. Mais fondée en raison. Quant à la vérité, sa première justification n’est pas l’universalité. mais l’adéquation du jugement à la réalité, ce qu’on vérifie dans l’experience.
@Yogi
Vous dites: “Il n’y a pas plus de liberté pour l’homme face à Dieu que pour l’horloge face à l’horloger, puisque Dieu choisit les actions de ses créatures en même temps qu’il les crée.”
Vous réduisez d’un coup de cuillère à pot une question théologique complexe auquel moi-même je ne saurais répondre en trois phrases. Je peux seulement donner quelques éléments qui pourraient éviter de si grossières pensées (pardonnez-moi de l’expression).
Au niveau des mots, quelques précisions: pour bien entrer dans le sujet, je vous conseille d’éviter les concepts raccourcis tels que omniscience divine ni même dogme. Bien sur ces mots ont un sens. Mais dans le cas précis, ils embrouillent le propos.
De fait, nous pouvons constater que l’homme est libre. Il a la capacité de choisir ou de renoncer qui nécéssite cette liberté.
Mais d’un autre coté, j’ai (si vous me permettez de parler en mon nom) l’intime conviction nourrie non d’élucubrations mais d’une experience et d’un chemin spirituel réel, que Dieu existe, qu’il est mon créateur. Et cette foi en ce Dieu qui me connait mieux que moi-même, je la partage avec l’Eglise catholique, mes frères protestants et orthodoxes, et dans une moindre mesure, les musulmans et les juifs. Et même les hindous, pourrait-on dire, bien que leur monothéisme, (leur foi en Un Dieu créateur) soit moins claire que la notre.
D’un coté je suis libre, de l’autre je suis conscient qu’il y a un Dieu au dessus de ma tête et qui tient mon existence dans sa main. Il y a donc, non pas une contradiction du dogme de l’omniscience divine mais un mystère. Si vous vous contentez de penser ces difficultés intellectuelles en terme de dogme, vous passez à coté de l’essentiel. La théologie ne se définit pas tant comme la volonté de faire coincider intellectuellement des apories apparentes que de tenter, humblement, avec son intelligence et le secours de la grâce, d’éclairer un mystère qui se donne à nous, afin non de le comprendre parfaitement mais d’en mieux vivre, au même titre que le mystère de la Sainte Trinité (Trois en un), de l’Eucharistie (le pain devient le corps de Jésus) ou la Ressurection (un homme revient d’entre les morts et ne meurt plus).
Pourquois dis-je tout cela? Pour une raison simple qui, j’espere, Yogi, vous sera éclairante. Incarnation, Resurrection, Trinité, Eucharistie, Toute Puissance de Dieu et liberté humaine. Tout cela dépasse d’une certaine façon notre intelligence ce qui ne signifie pas bien au contraire, que nous devons vivre idiots. Mais nous ne pouvons pas nous approcher de ce mystère avec l’assurance qu’en peu de temps nous allons soit en comprendre tout les tenants soit prouver definitivement que cela n’est qu’incohérence.
Vous dites qu’aucun théologien n’a pu lever cette contradiction. Alors continuez le chemin ou abandonnez. Pour ma part, connaissant la richesse et la joie qu’il y a à croire, je vous encouragerai à vous tourner vers Dieu, et, en toute liberté, lui demander sa Lumière.
Ayant dit tout cela, je me permets alors, pour ne pas feindre, d’entrer dans l’échange autour de cette question omniscience / liberté. Le fait est que Dieu est, dans la foi de l’Eglise, le père tout puissant. Mais l’attribut qui définit le plus proprement Dieu n’est pas la toute puissance. Dieu est amour. Dieu se révèle en Jésus comme Dieu aimant les hommes et tout ce qui existe, complétant et assumant l’héritage de l’Ancien Testament. Aussi bien, penser la toute puissance de Dieu en dehors de cet attribut fondamental (En Dieu, être et aimer sont une seule et même chose) conduit à des erreurs de compréhension de la foi chrétienne. De la même façon, penser l’omniscience de Dieu, en dehors de l’attribut Amour, conduit à trouver inconciliable le rapport entre cette omniscience et la liberté de l’homme. Pourtant dans le cadre de l’amour, cela semble conciliable. On peut en prendre pour preuve une experience toute humaine (qui peut même nous éclairer sur le rapport entre l’homme et Dieu, sans tomber dans une foi anthropomorphique). Un père sait que son enfant va se tromper en faisant un jeu de construction, il pourrait même le faire à sa place pour lui éviter tout erreur. Pourtant au nom de la liberté de l’enfant et de sa croissance, il va le laisser se tromper. Parce qu’il l’aime. Et l’on aime pas un esclave comme l’on aime un fils. Aimer son enfant c’est le laisser libre alors que d’une certaine manière, nous sommes ( du moins au début) dans une sorte de toute puissance. Il est de même pour Dieu et l’homme. Dieu sait tout (psaume 139) mais d’abord Dieu est bon.
N’hesitez pas à continuer cet échange
@ Grégoire Jalenques
Merci pour votre réponse, qui appelle plusieurs remarques.
> “De fait, nous pouvons constater que l’homme est libre. Il a la capacité de choisir ou de renoncer qui nécessite cette liberté.”
Non. De fait, nous n’en savons rien. Le temps s’écoulant linéairement, une même situation ne se reproduit jamais deux fois à l’identique, et il est donc impossible de savoir si les “décisions” que nous prenons, selon nous librement, pourraient être différentes ou si elles sont en fait parfaitement automatiques et déterminées. Nous avons bien évidemment l’intime conviction de notre liberté, puisque nous nous percevons comme des êtres autonomes, mais il nous faut bien reconnaître qu’il s’agit d’un postulat de notre part et qu’intrinsèquement nous n’en savons rien. Je vous conseille d’être prudent dans vos raccourcis tels que “nous pouvons constater que …”, et d’affûter un peu vos outils intellectuels (pardonnez-moi de l’expression).
> “j’ai (si vous me permettez de parler en mon nom) l’intime conviction nourrie non d’élucubrations mais d’une expérience et d’un chemin spirituel réel, que Dieu existe, qu’il est mon créateur.”
Je regrette d’avoir à souligner que cet argument n’a aucune valeur, nos croyances intimes étant le nid de tous les biais cognitifs possibles et imaginables. A l’intérieur de nous-mêmes nous ne rencontrons que nous-mêmes, nos peurs et nos espoirs, remodelés et projetés sur la “nature du monde” tel que nous souhaitons qu’il soit. L’introspection est un outil de connaissance de soi, et non de la réalité du monde.
Une approche faisant appel à la “foi intime” n’a aucune validité pour connaître le réel, puisque depuis la divergence des récits des témoins d’un même événement, jusqu’aux phénomènes hallucinatoires, nous constatons tous les jours autour de nous et en nous à quel point nos pensées et nos sens sont influencés, et notre perception du monde biaisée, malléable, peu fiable.
La croyance religieuse ne basant sa Vérité que sur une conviction trouvée “à l’intérieur de soi”, est directement soumise à ces effets de distorsion et d’auto-aveuglement, et n’en est même que le pur produit.
Tant que vous penserez que ce que vous ressentez reflète nécessairement une réalité concrète, tant que vous ne ferez pas la différence entre ce qui se passe à l’intérieur de votre boîte crânienne et la réalité du monde extérieur, vous passerez à côté de l’essentiel et persévèrerez dans l’illusion.
D’ailleurs le monothéisme n’est qu’une option parmi d’autres parmi tous les systèmes de croyances existant ou ayant existé, et vous reconnaîtrez que les tenants de ces autres croyances ont / avaient des convictions intimes et des expériences tout aussi “solides” que les vôtres pour corroborer leur propre vision du monde.
> “Il y a donc, non pas une contradiction du dogme de l’omniscience divine mais un mystère.”
Ce “mystère” n’en est pas un, il est le terme sous lequel on cache les incohérences et les lacunes de la religion. Il n’a pas à être éclairé : il est purement artificiel et n’a pas d’existence en dehors de la religion qui l’a créée et dont il signale les failles les plus béantes.
> “Un père sait que son enfant va se tromper en faisant un jeu de construction, il pourrait même le faire à sa place pour lui éviter tout erreur. Pourtant au nom de la liberté de l’enfant et de sa croissance, il va le laisser se tromper”
Je pense que vous réalisez à quel point cette comparaison est erronée : Dieu n’est pas un géniteur ou un éducateur, il est le créateur omniscient de l’univers. Il ne crée pas que l’enfant, il crée ses actes et son futur. Avant même que l’enfant n’existe, Dieu conçoit les erreurs que celui-ci fera, les crimes qu’il commettra, et les injustices qu’il subira.
Dieu omniscient conçoit et façonne lui-même la Shoah, les catastrophes humanitaires et les génocides, puisque toutes ces choses sont présentes à son esprit dès “le cinquième jour”, c’est à dire avant même qu’aucune des personnes qui les commettront et les subiront ne soient encore existantes pour les assumer. Et Dieu choisit alors délibérément de créer les hommes afin qu’ils accomplissent tout cela. Si telle n’était pas sa volonté, il pourrait agir autrement, n’est-ce pas ? Ou bien Dieu n’est-il pas libre ?
Pour ma part, je vous encourage à pousser un peu plus loin votre réflexion, et notamment à étayer vos connaissances en sociologie et en psychologie afin de comprendre pourquoi vous voyez les absurdités que recélaient les croyances aztèques ou égyptiennes, sans parvenir à voir les contradictions tout aussi flagrantes qui caractérisent les croyances chrétiennes.
Enfin, je suis conscient de la tournure parfois lapidaire de mes affirmations, que j’ai ainsi rédigées pour refléter les vôtres. Je vous invite en effet à méditer sur l’arrogance et la fatuité extrêmes que vous affichez en affirmant “je suis conscient qu’il y a un Dieu au dessus de ma tête et qui tient mon existence dans sa main”, alors que vous savez pertinemment qu’il n’existe strictement aucune preuve de ce que vous avancez, pas plus que de toutes les autres croyances qui ont pu agiter l’humanité.
N’hésitez pas à continuer cet échange.
Cher Yogi,
J’ai bien lu votre réponse. Effectivement, je n’aurai jamais fini d’étayer mes connaissances en psychologie et en sociologie. J’entends bien toute la profondeur de votre recherche. Nul doute qu’elle a tout son prix, tout comme la mienne. Nous pouvons bien entendu continuer à discuter, bien, que rendu à ce point la de nos échanges, je doute que nous puissions vraiment avoir un débat constructif et un échange plus riche qu’un simple échange d’arguments.
Aussi, j’aurais presque envie de vous proposer un débat en direct, autour d’un verre. Cependant ma vie étant déja bien remplie, je ne pense pas avoir le temps.
Il y a tout de même un point notamment sur lequel je crois que vous faites erreur. Il s’agit de l’appréciation que vous faites de la foi. L’erreur est toute simple et n’est absolument pas condamnable mais elle mérite d’être pointée. De la même façon que vous m’avez renvoyé à moi-même, avec une bonté et une volonté de m’éclairer très claire, je vous renvoie à votre appréciation erronée.
Vous dites, à propos de l’expression de ma foi.
“Je regrette d’avoir à souligner que cet argument n’a aucune valeur, nos croyances intimes étant le nid de tous les biais cognitifs possibles et imaginables. A l’intérieur de nous-mêmes nous ne rencontrons que nous-mêmes, nos peurs et nos espoirs, remodelés et projetés sur la « nature du monde » tel que nous souhaitons qu’il soit. L’introspection est un outil de connaissance de soi, et non de la réalité du monde.”
Je dois vous redire alors que je crois en Dieu, qu’il est bien réel, bien vivant et que sa bonté envers moi ne fait aucun doute. Fondé sur une relation vécue avec lui dans la prière, dans un coeur à coeur, nourrie par les Evangiles et les sacrements (baptème, confession, eucharistie), ma foi n’est pas une introspection me donnant un sens à vivre. Elle est simplement le fruit de ma relation avec le Christ. Aussi obscure que cette pensée puisse vous paraitre, je vous invite toutefois à ne pas vous contenter de la lire à travers un prisme psychologique ou sociologique. Je ne vous invite d’ailleurs même pas à chercher à la comprendre. Si vous désirez comprendre ce qui se vit dans le coeur d’un croyant, vous ne saurez trouver la réponse dans des livres.
Je ne suis pas outré de la réduction que vous faites de ma foi à des phénomènes psychologiques ou simplement humains, car votre démarche est bien naturelle. Mais je vous invite à ne pas juger ou analyser quelque chose qui dépasse la simple introspection, et ce pour trois raisons très simples:
D’un point de vue éthique, réduire la foi d’une personne, ce qui fonde sa vie à un phénomène psychologique, c’est, comme vous dites vous même, ” passer à coté de l’essentiel”.
D’un point de vue politique et social, votre positionnement pourrait presque être une violence. Que cela vous paraisse étrange ou saugrenu est une chose, que vous tentiez alors de rendre tout cela strictement rationnel (dans le sens d’un rationnalisme idéologique), c’est autre chose. Et le fait que je crois en Jésus Ressuscité, qu’il soit réellement vivant, que je puisse lui parler et qu’il me réponde n’est pas strictement contradictoire avec le fait d’une veritable recherche philosophique et scientifique sur un plan strictement humain.
Jésus n’est pas une illusion de la pensée. Je ne le dis pas pour vous convaincre mais simplement pour vous le dire, faites-en ce que vous voulez. De fait, vous parlez à plusieurs moments de preuves, me rétorquant que je n’ai aucune preuve de l’existence de Jésus. C’est vrai, je n’en ai aucune, qui soit scientifiquement valable. Pourtant, je vous en assure, Jésus est bien vivant, vous pouvez me croire. Ou pas. Car vous êtes libre.
Mais le débat va ici trop loin et vire dans l’échange, profond mais peut-être déplacé, de convictions qui dépassent la teneur de ce site. Je voulais simplement tenter de vous éclairer sur votre erreur de jugement.
Vous remarquerez mon allusion à la liberté. Si je décide maintenant de clore ce message, ce n’est personne d’autre qui le fera à ma place, pas même Dieu tout puissant.
Concernant cette grande question de la liberté, je m’étonne de votre vision théologique. La théologie chrétienne de la création, fondée sur le livre de la Genèse, répond quand même de manière fabuleuse à cette question de la liberté humaine. De très bons livres sont écrits sur le sujet.
Quant à mon style, qui parait plein d’arrogance et de fatuité, je vous prie de m’en excuser.
A très bientot
Grégoire
@ Grégoire Jalenques
Merci pour votre message fort cordial. Sans vouloir prolonger outre mesure cet échange – qui risque en effet d’être peu fructueux – j’aimerais apporter deux ou trois brefs commentaires.
Vous dites :
“Je dois vous redire alors que je crois en Dieu, qu’il est bien réel, bien vivant et que sa bonté envers moi ne fait aucun doute.”
Curieusement, cette phrase m’évoque la citation suivante du pape François, extraite de sa récente interview : “Si quelqu’un dit qu’il a rencontré Dieu avec une totale certitude et qu’il n’y a aucune marge d’incertitude, c’est que quelque chose ne va pas. C’est pour moi une clé importante. Si quelqu’un a la réponse à toutes les questions, c’est la preuve que Dieu n’est pas avec lui, que c’est un faux prophète qui utilise la religion à son profit.”
Vous dites :
“Jésus n’est pas une illusion de la pensée. Je ne le dis pas pour vous convaincre mais simplement pour vous le dire, faites-en ce que vous voulez.”
Disons que ce même argument a déjà été apporté avec la même absolue conviction à propos de Râ, Toutatis, Zeus, Quetzalcoatl, Shiva, Ta’aroa, Allah et quelques dizaines de milliers d’autres. Alors comme vous dites, “que dois-je en faire ?”
Vous dites :
“Si je décide maintenant de clore ce message, ce n’est personne d’autre qui le fera à ma place, pas même Dieu tout puissant.”
Pourtant Dieu, dès le 5e jour de la Génèse, je veux dire par là avant même qu’il n’ait créé l’humanité en général, et vous et moi en particulier, savait déjà que vous alliez clore ici ce message. Ou sinon, c’est qu’il n’est pas omniscient.
Votre acte existait déjà dans l’esprit de Dieu, et pourtant vous n’aviez pas pu prendre vous même cette décision puisque vous n’existiez pas encore. Dieu était alors seul présent. Cette décision ne peut donc provenir que de lui.
Mieux encore, Dieu aurait pu décider de créer un monde dans lequel vous ne fermiez pas ce message. Mais non. Dieu a choisi de créer ce monde particulier dans lequel vous fermez votre message. Il a choisi votre action avant de vous créer. Vous ne faites qu’exécuter son plan.
Je crois que vous mesurez bien mal ce que signifie le concept de “créateur omniscient”, lequel fait justement que la théologie chrétienne une très très mauvaise réponse à la question de la liberté humaine en l’excluant de fait.
Cher Yogi,
Merci de vos réponses.
En effet, cette interview est intéréssante. Mais je n’ai pas dit avoir la réponse à toutes les questions. Voyez-vous, croire, dans le sens ou je dis que je crois, n’est pas tout savoir. Je crois en Jésus, c’est-à-dire, que je m’appuie sur lui chaque jour, que je suis sur de sa présence à mes cotés, même si je ne le vois pas. Et, du fait de cette foi, je cherche à être à son écoute, à le suivre. Car effectivement ma vie est pleine d’incertitudes. Mais Jésus (Evangile de Saint Jean, au chapitre 12) dit cette parole: “Je suis la lumière du monde. Qui ne me suit ne marchera pas dans les tènebres”. Je le crois et cela n’a rien à voir avec un quelconque dogmatisme plein d’orgueil.
Vous rejetez mon argument que “Jésus n’est pas une illusion de la pensée”. En fait ce n’est pas un argument, ça le serait si je voulais vous convaincre. Mon but n’est pas de vous convaincre mais de vous aider à mieux comprendre ce qu’est la foi. Mes propos vous aident-ils ou vous embrouillent-ils?
Quant à la question de l’omniscience et de la liberté, je vois que c’est une question qui vous travaille. Non, en fait, je vois que votre idée est assez claire sur le sujet. Pour moi ce n’est pas aussi clair. J’avoue aussi que je n’y vois pas très clair sur ce que vous pensez réellement. Pensez-vous alors qu’il n’y ait pas de liberté pour l’homme, que nous ne sommes que des marionnettes? Cela semble compliqué à défendre. Pensez-vous donc alors que Dieu n’est qu’une invention et que n’existe que l’homme? Que dites-vous alors à ceux qui ont la foi, étant donné que vous ne pouvez pas leur prouver qu’ils se trompent? En effet, il est possible que Dieu existe. Le rapport omniscience / liberté est donc non pas une preuve de l’incohérence de la théologie. Tout au plus est-elle une aporie, un obstacle pour la pensée.
cordialement
Gregoire
@ Grégoire :
Oui vos propos m’éclairent sur ce qu’est la foi, ou tout du moins sur la façon dont elle se manifeste chez vous. Par exemple lorsque vous dites “je suis sur de sa présence à mes cotés, même si je ne le vois pas. […] qu’il soit réellement vivant, que je puisse lui parler et qu’il me réponde” : ces mêmes propos, s’ils étaient tenus au sujet de Napoléon, des extraterrestres ou du Dieu Léopard attireraient sur vous l’attention du corps médical, mais sont apparemment acceptés comme normaux dans votre milieu. Voilà qui ne manque pas de m’effarer.
Je pense en effet que Dieu n’est qu’une invention, le Dieu chrétien tout comme les autres dizaines de milliers de dieux que vous même d’ailleurs considérez comme des mythes, au grand dam de leurs croyants respectifs. Pourquoi votre version personnelle de la divinité existerait-elle et non les autres, voilà un autre insondable mystère de la foi.
De fait si, il est tout à fait possible de prouver aux croyants qu’ils se trompent, mais il n’est pas possible de leur faire admettre dès lors qu’ils renomment “mystère” chaque preuve qui leur est apportée. Le problème n’est pas dans la preuve mais dans la barrière psychologique qui lui est opposée. Il semble que la foi s’empare de l’homme et tue sa raison.
“Il est possible que Dieu existe”, mais comme le montre le rapport omniscience / liberté, il ne peut être à la fois Créateur, Bon et Omniscient. S’il en faut vraiment un, le Dieu Léopard paraît donc une hypothèse beaucoup plus solide que le Dieu chrétien.