Méthaniseur : un exemple d’installation à Compiègne

6 Mai, 2022 | ÉNERGIE, TERRITOIRES VIVANTS

Grégoire Lhotte est exploitant agricole dans le Compiégnois et président de FertiOise (méthaniseur). Il nous explique ce qu’est concrètement la méthanisation et son impact à l’échelle locale.

Installer un méthaniseur dans sa région

Grégoire Lhotte gère une exploitation agricole typique de sa région, avec pour cultures principales : blé, betteraves et pommes de terre. Depuis toujours, il travaille via un procédé d’assolement : une alternance de cultures sur un même terrain qui permet de conserver la fertilité du sol. Cette fertilité du sol était également alimenté par une activité d’élevage. Mais, dans les années 1980, cette activité a été supprimé sur la ferme. Quelle autre source de matière organique trouver pour donner une dynamique positive à la terre ?

En 2011, le marché de la méthanisation se libéralise et offre notamment la possibilité d’injecter le gaz produit par des méthaniseurs privés dans les réseaux de distribution publics. Les premiers projets de méthanisation – dont celui de Grégoire Lhotte – naissent en 2013.

L’installation d’un méthaniseur localement se fait en concertation avec les élus locaux et les services de l’agglomération. Après un accueil favorable du projet à proximité de l’agglomération, il y a un soudain revirement de la part des élus, qui choisissent de répondre aux demandes d’un promoteur immobilier qui voit d’un mauvais œil l’apparition d’un méthaniseur près de ses futures constructions. Est alors demandé à Grégoire Lhotte de trouver un autre site pour s’installer…

Il lui faudra deux longues années pour réussir à faire aboutir son projet. Aujourd’hui, le site de méthanisation s’étends sur 3 hectares (30 000 m2) dont 1 hectare d’espace de stockage pour l’ensilage. Le site traite chaque jour une centaine de tonnes de matière.

FertiOise - méthaniseur à Compiègne

Produire du gaz à base de fermentation végétale

La méthanisation est un processus de fermentation de végétaux qui, via des bactéries, transforme la matière en biogaz. Ces végétaux sont souvent issus de cultures intermédiaires – des cultures produites entre deux cultures principales, qui n’arrivent pas au bout du cycle de mûrissement. Par exemple, on récolte le blé en été et on ne sème des betteraves qu’au mois de mars de l’année suivante : reste donc 8 mois pendant lesquels les terres ne produisent pas, laps de temps dont on va se servir pour faire pousser une culture intermédiaire. Le méthaniseur se nourrit également de déchets agricoles et de produits agricoles non conformes à la distribution. Le biogaz obtenu est ensuite travaillé et épuré pour produire du méthane ; c’est ce gaz qui est aujourd’hui distribué pour le chauffage, la cuisine, les usines, etc. 

La méthanisation se produit dans de grosses cuves où la matière est introduite sans air. Là, la matière est brassée et chauffée. Il y a donc fermentation anaerobie. Le gaz remonte à travers cette matière et arrive dans ce qu’on appelle le ciel gazeux (au-dessus de la matière), stocké sous de grandes bâches.

Ce gaz – composé de méthane, CO2, vapeur d’eau, ammoniaque et hydrogène sulfuré – subit alors 5 étapes de traitement afin de le faire correspondre aux standards de GRDF.

  • Étape 1 : séparer l’hydrogène sulfuré, en envoyant de l’oxygène (produit sur le site) dans le ciel gazeux. Cela permet de nourrir des bactéries aérobies qui vont venir cristalliser le souffre. Ce dernier tombe alors dans la matière et sera évacué avec le digestat.
  • Étape 2 : refroidir le gaz en le faisant descendre dans le sous-sol, à deux mètres de profondeur. Il passe de 40 à 10 degrés. La condensation de la vapeur d’eau va être récupérée pour permettre l’épandage du digestat.
  • Étape 3 : le gaz restant traverse des filtres de charbon actif qui vont capter les résidus d’ammoniaque et d’hydrogènes sulfurés. Il ne restera alors que du CO2 et du méthane (CH4).
  • Étape 4 : le gaz est comprimé et passe sous pression à travers des membranes pour séparer le CO2 du CH4 et obtenir du biométhane.
  • Étape 5 : ce gaz est contrôlé par GRDF qui le distribue au consommateur s’il est jugé conforme ou le renvoie dans le méthaniseur pour retraitement si nécessaire.
Site FertiOise, méthaniseur de Grégoire Lhotte

Récupérer de la matière végétale auprès d’agriculteurs locaux

Ce méthaniseur est avant tout une unité agro-industrielle, qui transforme des volumes conséquents. Ainsi, peu de synergies existent avec les habitants du territoire. La matière végétale qu’il est capable de recevoir doit correspondre à des critères spécifiques. 

Grégoire Lhotte travaille donc majoritairement avec les agriculteurs voisins, une quinzaine aujourd’hui, ceux qui ont la possibilité d’intégrer des cultures intermédiaires à leurs cycles de production. Pour que le coût du transport de la matière n’excède pas les bénéfices de l’opération, il est préférable de la faire provenir d’un rayon de 15 km autour du méthaniseur. Pour FertiOise, ce rayon est même inférieur à 5 km : les agriculteurs qui y contribuent sont rémunérés.

FertiOise travaille également avec la commune, en récupérant les tontes des espaces verts sur des périodes précises (le printemps principalement). Ces matières sont complexes à traiter pour des raisons techniques.

Fabriquer son propre engrais

Telle était la genèse de ce projet qui est reprise dans le nom de FertiOise. Avant de produire du gaz, l’objectif était de trouver une source de matière organique fiable et de qualité pour fertiliser les terres de la ferme. Grâce aux digestats, issus de la fermentation de la matière qui passe dans le méthaniseur, la consommation d’engrais chimique de synthèse a été réduite de 60 %. La totalité des éléments nécessaires à la croissance des plantes sont présents dans le digestat, notamment les oligo-éléments qui participent à l’équilibre des sols. Cette économie circulaire permet de réduire le bilan carbone avec moins de coût énergétique pour fabriquer l’engrais, de transport, et un retour direct sur les terres par un réseau d’épandage. 

Autonomiser et dynamiser la ville

La consommation de gaz de la ville de Compiègne fluctue en fonction des saisons. 

En période estivale, la ville de Compiègne consomme à peu près de 750 normo mètres cubes / heure. Le méthaniseur FertiOise en produisant environ 450 normo mètres cubes / heure, cela couvre environ 60 % des besoins des Compiégnois. 

En hiver, les besoins sont plus importants ; le méthaniseur peut alors répondre à 15 % des besoins de la ville.

Ce projet est un projet de territoire à plusieurs titres. Tout d’abord via l’entraide agricole évoqué plus tôt. Mais également par la création d’emplois : 2 nouveaux salariés, en l’occurrence, sur l’exploitation de Grégoire Lhotte. Par ailleurs, 3 personnes d’une entreprise extérieure participent aux travaux en période d’ensilage.

Grégoire Lhotte : « C’est important d’insérer ce projet dans le territoire. Il ne peut être implanté qu’en concertation avec les élus locaux. Des points de frictions peuvent naître, par méconnaissance du projet, souvent. Il faut alors expliquer et communiquer avec les potentiels opposants. J’ai récemment accueilli un groupe qui voulait implanter un méthaniseur dans leur région et qui était en pleine confrontation avec certains habitants. Nous avons donc reçu tout le monde sur notre site pour leur expliquer de quoi il s’agissait. 

Comme toute activité qui se développe, c’est toujours mieux chez les autres ! Et pourtant, c’est une activité importante qu’il faut démystifier. 

En France, on dit souvent qu’on n’a pas de pétrole, mais qu’on a des idées. Là, on a une idée qui fonctionne, alors, lançons-nous ! »

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