Gérard Langlois Meurinne, psychiatre, psychothérapeute et membre du CEH propose régulièrement la « chronique du Mycelium », réflexion axée sur l’écologie humaine.
“Depuis quelque temps j’étais habité par cette question a priori paradoxale. Je tardais pourtant à l’aborder, souhaitant le faire « de l’intérieur », à partir de ma propre expérience. Et la vie m’a fait un drôle de cadeau : dérapage et chute face contre terre … Une claque magistrale ! Résultat immédiat : une douleur intense et de belles tuméfactions mais rien de cassé. Ainsi ma vulnérabilité s’était invitée sans crier gare en me mettant presque k.o.. J’étais finalement plus vulnérable que je ne le pensais et, en trois secondes, j’étais passé du stade de vulnérable (celui qui peut être blessé) à celui de vrai blessé (léger).
Je peux enfin aborder ma question : ma propre vulnérabilité est-elle une chance ? Très franchement, j’ai d’abord éprouvé de la malchance : une vive douleur physique et la sensation bête de me fracasser, sans compter la frustration d’interrompre le sport que je pratiquais avec mes amis.
Et puis, très vite, j’ai ressenti comme une chance, celle d’avoir évité le pire : cela aurait pu être plus grave, merci la vie ! Et, plus positivement, la chance d’être secouru par mes compagnons attentionnés. Enfin est venue la sensation la plus forte : j’ai éprouvé le bonheur tout simple de me sentir vivant ! J’ai alors eu envie d’écrire : sais-tu mon ami que quand tu as mal, cela veut dire que tu es vivant ! Souviens-toi aussi : quand tu as soif et que tu bois ou quand ta tristesse se dissipe, alors ta vie s’éclaire et te sourit.
L’homme, un roseau pensant ?
Peut-on généraliser cette expérience à toute notre « condition humaine » ? D’abord un petit détour : dans ma dernière chronique j’évoquais les propos de Thierry Magnin, ce scientifique et théologien qui parle si bien de l’évolutivité du vivant. À la question « pourquoi évoluons-nous ? », Thierry Magnin offre une réponse simple et éclairante : il rapproche évolutivité et fragilité ou vulnérabilité humaine. Cette fragilité, inhérente à notre vie que nous le voulions ou pas, nous amène à évoluer… sans pour autant que nous ne cessions jamais d’être vulnérables : il est étonnant de voir que notre « vouloir vivre » nous pousse à aller chercher en nous des forces latentes et parfois insoupçonnées pour surmonter les épreuves, pour nous reconstruire et pour recommencer à créer. Ainsi nous changeons, nous avançons… : à notre échelle, c’est cela évoluer.
Notre condition humaine est bien difficile à définir : car elle rime avec beauté, amour, don de soi et créativité mais aussi avec fragilité, contingence, incomplétude et dépendance ! Blaise Pascal a cherché à exprimer en une seule image ce mélange de grandeur / dignité et de fragilité/vulnérabilité : L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature ; mais c’est un roseau pensant… Une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, parce qu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui, l’univers n’en sait rien. Toute notre dignité consiste donc en la pensée.
Pour ma part, je médite cette proposition en me permettant d’écrire « roseau conscient » plutôt que « roseau pensant ». En effet la conscience humaine, dans les deux sens que nous lui prêtons, est pour moi au cœur de l’extraordinaire dignité de notre condition humaine et de notre libre arbitre.
Vulnérabilité, quand tu nous tiens
La petite expérience que je vous ai contée évoque une vulnérabilité physique. Mais bien entendu, notre vulnérabilité touche toutes les dimensions de notre personne : nous sommes en effet vulnérables affectivement, intellectuellement et spirituellement. Nous pouvons nous tromper, nous pouvons souffrir et faire souffrir !
Mais il faut le redire : c’est notre vulnérabilité, associée à notre évolutivité, qui produit quelque chose d’admirable. Nous pouvons reconnaître nos erreurs, nous pouvons pardonner et être pardonnés. Sans vulnérabilité, pas d’interdépendance entre nous, avec les contraintes mais aussi les miracles qu’elle suscite ! Sans incomplétude pas d’attrait pour l’autre sexe, ni pour l’autre tout court ! Sans finitude, pas d’intérêt d’avoir des descendants, sans interdépendance, pas de solidarité… et ainsi de suite.
Revenons à nos propres vies
Je me suis alors demandé : très concrètement qu’est-ce que ma vulnérabilité m’apporte ? Voici, en vrac, quelques réponses, qui sont, je le sens, encore incomplètes. Je reconnais en effet que je suis devant une expérience que je n’ai pas vécue et déchiffrée jusqu’au bout :
- j’éprouve plus le besoin et le goût des autres,
- je m’émerveille devant leurs dons et leurs ressources,
- ma vulnérabilité peut me faire vivre de l’humilité qui me grandit,
- vulnérable, je peux mieux comprendre et aider les autres,
- ma vulnérabilité m’amène à aller chercher en moi des forces insoupçonnées : c’est une des plus grandes joies qui soit,
- être vulnérable fait de ma vie une aventure de tous les jours,
- ma vulnérabilité m’aide à éprouver de la compassion devant ceux qui souffrent : ils deviennent alors comme mes frères en humanité,
- pouvoir grandir malgré ma vulnérabilité me donne confiance dans les étonnantes forces cachées des autres et de toute l’humanité.
- ma vulnérabilité m’aide à éprouver de la compassion devant ceux qui souffrent : ils deviennent alors comme mes frères en humanité,
- être vulnérable fait de ma vie une aventure de tous les jours,
- ma vulnérabilité m’amène à aller chercher en moi des forces insoupçonnées : c’est une des plus grandes joies qui soit,
- je m’émerveille devant leurs dons et leurs ressources,
Et vous ?
Et vous, quelle est votre expérience de la vulnérabilité ? Je serais heureux de recevoir vos histoires personnelles, vos observations, vos témoignages.”
Dernières chroniques du Mycelium :
- Décembre 2018 : « voulu, pas voulu ?… moi j’évolue ! »
- Octobre 2018 : cueillette d’automne
- Août 2018 : observons la vie
- Mai 2018 : qu’est-ce que tu lis pour les vacances ?
- Mars 2018 : construire, réparer… et déconstruire
- Janvier 2018 : un si long chemin d’humanisation
- Novembre 2017 : vous avez dit « humanisation » ?
- Septembre 2017 : un monde meilleur
Merci Gérard !
J’espère que ton corps reprend sa forme et qu’aucune séquelles ne demeureront…
Quant à la vulnérabilité, bien qu’elle soit toujours plus ou moins dérangeante… j’en suis venue avec ces dernières années à l’accueillir avec reconnaissance… après le “1er choc” bien sûr. Avec du recul, je vois que c’est grâce à mes vulnérabilités que j’ai pu grandement évoluer vers du plus, du mieux adapté, du “plus moi, simplement moi, juste moi et tout moi”. Ce qui m’est apparu comme un échec, un jour, m’a permise d’évoluer vers un autre et plus grand bonheur, une plus grande fécondité… m’a permise d’entrer en lien autrement et avec plus de joie et de fécondité… Quand j’ai eu accepté de voir que je m’en allais dans une direction dictée inconsciemment par une image de moi idéalisée, que j’ai accepté de renoncer à cette voie, que j’en ai eu fait le deuil, progressivement, c’est alors que j’ai pris ma route, ma vraie place dans la société, celle qui me va comme un gant et me rend heureuse. Cette expression: “Et si ce n’était que cela, moi?” a quelque chose de péjoratif dans le “que” pour ma tête ambitieuse, mais quand je le confronte à mon réel quotidien dans lequel je suis plus heureuse qu’avant d’avoir lâché, ce “que” prend les allures de mon unicité, de ma vérité et alors, je suis réconciliée avec moi. Vive l’acceptation de se centrer sur ce “que cela, moi !
Merci encore Gérard.
Gérard,
J’espère que tu te portes mieux.
Heureuse de recevoir ce billet sur la vulnérabilité.
Il est d’actualité pour moi.
Des événements récents m’ont fait conscientiser que vulnérabilité ne signifiait pas nécessairement faiblesse. La vulnérabilité fait partie je crois de notre humanité. Nous n’atteindrons notre plénitude que dans l’Haut Delà.
Une relecture de mon histoire sous l’aspect de mes avancées, de mes reculs, de mes arrêts me fait prendre conscience que c’est à travers cette vulnérabilité que j’ai franchi des obstacles. Dans mes fragilités.
Me vient en exemple, la perte graduelle de ma santé. J’ai dû faire des choix, m’arrêter sur l’essentiel de qui je suis.
. Lâcher prise. Accueillir le réel. Apprécier les cadeaux que je reçois quotidiennement. Guérir des mauvais fonctionnements dont je n’avais plus besoin en n’étant que moi.
Apprécier chaque matin d’être vivante. J’approche de mes 80 ans, c’est un privilège.
Dépouiller de tout ce qui n’était pas moi, je suis heureuse, sereine, féconde. J’accueille les personnes autour de moi avec empathie.
Enracinée dans ma détermination, mon besoin de vérité, de justice je vis avec ma vulnérabilité et j’accueille celle des plus démunis autour de moi. Être vulnérable et l’accueillir au quotidien, pour moi c’est le secret d’une bonne santé psychologique, du bonheur. Sagesse de bien vieillir avec cette vulnérabilité
Ma vulnérabilité et moi ?
Elle me rend consciente et elle me permet d’entrer dans la conscience du moment présent.
Elle me permet d’entrer dans le précieux du moment présent : la relation .à moi, à l’autre et à plus grand que moi que je nomme Dieu, Père, jésus ou Esprit saint, selon le moment, le besoin.
Elle me permet de saisir le précieux de chaque instant, de chaque moment et de le goûter au lieu de l’utiliser ou le traverser.
Elle me permet d’Aimer, me laissez voir et et me laissez Aimer.
Elle me permet d’entendre mon besoin, mon désir et d’entendre celui de l’autre.
Elle me permet de ma laissez toucher, de toucher l’autre et de partager.
Elle me permet de vivre et de choisir la Vie.
Elle me permet de recevoir et de donner.
Tendresse à toi mon ami Gérard!