Parlons de la mort (pour être toujours mieux vivants) #ReplayWebinar

26 Avr, 2023 | Non classé

En avril 2023, lors d’un webinar, Tugdual Derville, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, fondateur de “SOS Fin de Vie” et de “À Bras Ouverts“, parlait avec douceur et beauté de ce qui nous concerne tous : la fin de vie, l’agonie, la mort. Comment vivre celle d’un proche ? Comment se remettre d’un deuil ? Comment en parler aux enfants ? Quelques mots qui font du bien. 

Pourquoi parler de la mort ? Quel lien avec l’écologie humaine ?

Tugdual Derville, fondateur de SOS Fin de Vie : “Nous allons TOUS mourir. Cette conscience de notre mortalité est un élément majeur de notre force de vie. Quand on parle ensemble de la mort, on est tout de suite sur un pied d’égalité : on ne sait pas quand, mais on sait qu’on va tous y passer – riches comme pauvres, valides comme invalides.

Le temps – cadeau qui nous est fait depuis notre conception jusqu’à notre mort, dans lequel on doit incarner notre existence – s’achève par la mort. C’est une source de questionnements, voire d’angoisse, mais aussi d’énergie extraordinaire.

Confucius disait : « On a deux vies. La deuxième commence quand on réalise qu’on n’en a qu’une. » Et effectivement, on peut souvent observer un feu d’artifice d’énergie vitale après qu’une personne ait survécu à un accident ou à une grave maladie. Sa vie est vécue d’une autre façon : elle va l’habiter en goûtant les relations, les événements, le reste du vivant, le cosmos… cet inestimable cadeau de la vie aura d’autant plus de valeur grâce à la conscience renforcée que nous sommes mortels.

Viktor Frankl, psychiatre autrichien, disait quant à lui, qu’il faudrait toujours vivre comme si c’était pour la seconde fois. Avez-vous remarqué que, suite à des obsèques, on a envie d’être meilleur ? On regrette, peut-être de ne pas avoir été assez direct dans notre affection, notre présence, le temps donné et la tendresse offerte, suivant les relations que l’on a pu avoir avec la personne décédée. Et ce qui en est dit nous fait ressortir avec plus de force pour vraiment mieux vivre cette rare et précieuse expérience de la vie.

Le rapport à la mort à travers les âges enseigne beaucoup sur l’être humain. Que dit-il de nous ?

Les anthropologues associent très largement l’émergence de l’humanité aux rites funéraires. Ces derniers se sont déployés au travers des pratiques d’inhumation ou de crémation, d’exposition…

Mais, au fond, ce qui caractérise de manière très forte l’Homme, c’est qu’il prend soin de sa dépouille mortelle ; Par rapport à ce sujet de la mort, il a des questions existentielles liées au sens, à sa religion, à la quête d’une explication sur ce scandale que la mort peut représenter

Autre enseignement très intéressant sur notre rapport à la mort : on a découvert – en même temps que les plus anciennes tombes qui sont parvenues jusqu’à nous – que nos ancêtres préhistoriques prenaient déjà soin des plus vulnérables. Si on ne sait rien des rites d’accompagnement vers la mort, on a découvert que, par exemple, dans cette première tombe, il y avait un adolescent qui souffrait d’hydrocéphalie – donc vraisemblablement de handicap cognitif – il a été inhumée en même temps qu’une autre personne et on sait qu’on a pris soin de lui.

Je pense donc que les rites funéraires sont un élément qui nous apprennent que nous sommes faits pour prendre soin ; prendre soin les uns des autres et prendre soin de la sacralité de la dépouille mortelle. Encore une chose : ma fin de vie, ma mort, ne concerne pas que moi ; c’est un événement socialisant. Durant les obsèques, il se vit des relations profondes, intimes, faites de peine et parfois de joie, d’évocations. On se prend dans les bras tendrement ; beaucoup de barrières tombent.

Pourquoi la mort est-elle devenue tabou dans notre société occidentale ?

Comme le dit François de La Rochefoucauld, en 1664 : Le soleil ni la mort ne se peuvent regarder fixement.

Il est vrai que quand j’évoque benoîtement ma mort, il y a quand même un écran entre cette perspective et ce que je suis en train de dire, ce que je suis aujourd’hui. Je ne la vois que de manière extrêmement voilée. Je ne l’appréhende pas tant que cela et il y a une dimension de tabou nécessaire.

Mais dans le même temps, il est vrai, le tabou a pris une force grandissante : pourquoi donc ? Quelques éléments de réponse pourraient se trouver dans l’individualisme, le matérialisme, voire l’hédonisme de notre époque moderne… nous ne voulons pas penser à ce qui nous fait peur. C’est une grave erreur de penser que l’on pourrait mieux vivre – ou vivre plus légèrement – en occultant l’idée de la mort. C’est une absurdité et un grand risque qui risque au final de nous faire mépriser en nous la faiblesse et la vulnérabilité.

Le fait de refuser d’envisager, de parler ensemble de la mort, nous replie, au fond, sur nous-mêmes.

Tous les signes qui nous rappelaient notre condition mortelle se sont petit à petit effacés.

Ainsi, quand j’étais jeune, à Toulon, il y avait encore des corbillards noirs et argentés, débordants de fleurs, qui traversaient les rues ; quand quelqu’un mourait, il y avait un dais noir qui recouvrait la porte pendant plusieurs jours ; on portait le deuil par des habits ou par des signes ; il y avait des sortes d’interdits pendant un certain nombre de jours pour ne pas se distraire de ce deuil ; on pleurait, en s’appuyant parfois sur les services de pleureuses…

En escamotant tous ces signes visibles, en faisant un tabou de la mort – en occident, les corbillards sont banalisés, à l’hôpital, les morts passent par le sous-sol, on n’a presque plus l’occasion de toucher, d’embrasser le corps des défunts, les veillées mortuaires sont réduites à leur plus simple expression… – tout cela finit par générer plus d’angoisse que de légèreté.

Pourquoi cette forme de déni ? Ça reste un mystère pour moi. Mais je note qu’il y a un affadissement de nos façons d’envisager la mort, d’en parler. Et pourtant, la conscience de la réalité de la mort est un élément clé et majeur pour pouvoir faire notre deuil et finalement apprivoiser cette réalité qui nous concernera tous un jour.

J’ai vu mon père mourir. J’étais présent, avec ma mère, au moment de sa mort, dans un centre de soins palliatifs. Et quand il a expiré, j’ai ressenti à l’intérieur de moi-même une sorte de soulagement : moi aussi, je serai capable de mourir. L’exemple de mon père était une transmission ; nous sommes capables de mourir. La mort naturelle est possible.

Bien sûr, cela mérite d’être accompagné, soulagé, mais vraiment, on est capable de mourir !

En quoi les moments de fin de vie sont-ils des « instants précieux » ?

Quand je n’érige plus mon autonomie en idole quand j’ai besoin vraiment d’autrui pour prendre soin de moi, me consoler, me soutenir, me soigner, etc. À ce moment-là, mes relations deviennent très profondément authentiques.

Je viens d’évoquer mon père : j’ai été assez frappé de voir que pendant les six mois qu’a duré une forme de grabatisation de cet homme âgé, pendant ces mois de peine, donc, c’était en même temps des mois d’émerveillement car jamais je n’aurais cru qu’entre mon père et moi, les relations puissent devenir aussi denses, profondes, tendres. Il m’a demandé de prendre soin de lui physiquement : le raser, lui tenir la main quand il avait une angoisse… Avant cela, nous étions deux adultes un peu convenus, l’un dans sa vie, l’autre dans la sienne ; nos relations étaient belles, on s’aimait, mais elles n’étaient pas dans cette profondeur. Il y a donc effectivement des moments étrangement précieux qui, à nous, bien portants, apparaissent comme étranges. La rencontre avec des personnes fragiles nous oblige à des choses essentielles. C’est incroyable comme peuvent être précieuses les paroles, les gestes d’un père à son fils, par exemple, à l’approche de sa mort. Il peut y avoir des moments très courts, très brefs, qui sont simultanés avec des peines, et qui sont effectivement extrêmement précieux. Et je pense, c’est vrai que le fait d’administrer la mort risque de nous voler ces moments si précieux.

Il y a actuellement un débat public sur la fin de vie : en quoi retentit-il sur notre rapport à la mort ?

Il me semble que ce débat est fondé sur une grande peur que l’on peut tous partager : la peur du « mal mourir ».

On peut interroger cette peur : est-ce la peur de ne pas voir nos douleurs physiques soulagées ? Celle de ne pas être accompagné dans nos souffrances psychiques qui sont à la fois inhérentes à l’approche de la mort, qui sont peut-être sociales (que va-t-on laisser ? Comment les proches vont-ils s’en sortir ?) ? Cache-t-elle des angoisses spirituelles sur le sens de tout cela ?

Il y a une grande peur de l’agonie… que va-t-il se passer ? Françoise Dolto disait à des enfants malades, en fin de vie, et qui s’interrogeaient sur leur mort : Ne vous inquiétez pas, on meurt quand on a fini de vivre. Mais peut-on effectivement mourir naturellement ?

Je peux témoigner qu’on peut être accompagné, il y a des moyens pour soulager physiquement, psychiquement, les personnes, tant par des médicaments quand c’est nécessaire, que par la présence, l’écoute, la tendresse, l’humour parfois, etc.

Ces moyens demandent de l’énergie – est-on prêt à en offrir, dans notre société individualiste ? Quand mon père a fini sa vie, c’était entre juillet et août. On était en vacances. On nous disait que son état s’aggravait, ce qui m’a inquiété. Et plus tard, je me suis rendu compte que quand on m’a dit que son état était stable, en soins palliatifs, ça m’inquiétait aussi ; quelque chose en moi se demandait : mais ça va durer jusqu’à quand ?

La leçon que nous donne ceux qui vont partir, c’est de consentir à ce temps, à l’imprévisible du moment. C’est une très belle leçon qui demande une grosse ascèse, en ne restant pas dans la frénésie de l’efficacité des projets qu’on planifie, mais de se laisser déranger. Se faire déranger dans ses projets, c’est un peu contraire à la modernité !

Aujourd’hui, la modernité veut prendre la main sur la mort comme un projet à réussir et qui serait de notre responsabilité : choisir le bon moment, la préparation adaptée, etc.

Au contraire, l’écologie humaine nous appelle à consentir à ce moment qui nous est donné pour accompagner dans le respect ceux qui nous sont chers. Il y a une bascule de société à opérer pour ne pas se laisser dicter par la modernité notre façon de vivre.

Dernier point : beaucoup de nos contemporains vivent ce que l’on peut appeler une mort sociale. Nous sommes des êtres de relation ; on a besoin d’autrui pour se reconnaître dignes de vivre, pour nous dire qui nous sommes, nous encourager dans nos talents, nous corriger dans nos limites, parfois.

Or, il y a 4 millions de nos contemporains en France qui n’ont pas trois conversations suivies par an ; il y a des personnes que l’on découvre mortes à leur domicile plusieurs semaines, parfois plusieurs mois, après. Ce sont donc ces personnes, dans une forme de mort sociale, dont il faut urgemment prendre soin. Cela évitera la tentation de la mort administrée, la tentation de la mort comme une solution, la tentation du suicide.

L’enjeu est donc de prendre soin les uns des autres et de faire que les plus fragiles, les maillons les plus faibles de notre société, soient l’objet de plus de soins, parce que c’est leur solidité qui détermine la solidité de la chaîne de solidarité qui forme la société. Au fond, ce débat est un appel à nous engager comme volontaires, tant en soins palliatifs qu’auprès de nos proches ; de ne pas passer à côté de ces moments précieux. Oser aller au contact des personnes fragiles qui nous entourent et à prendre soin des endeuillés ; ne pas hésiter à présenter ses condoléances, à consoler. On a tous besoin d’être consolé les uns par les autres, de ces deuils qui nous frappent tous.

Comment consoler ceux qui vivent un décès ?

Il y a des personnes qui se culpabilisent de ne plus avoir le goût de vivre après un décès.

La première chose à faire est d’écouter les peines de la personne. Lui dire que c’est normal de ne pas aller bien, de pleurer, de ne plus avoir le goût de vivre et que ça puisse durer pendant une année. C’est d’ailleurs peut-être un temps à ne pas escamoter.

Nos larmes ont beaucoup de valeur – ce sont des larmes qui peuvent être intérieures ! – mais notre peine a énormément de valeur. Elle dit l’amour qu’on avait pour la personne.

C’est très important de valoriser tout ce temps, cette tristesse, cette peine, ce manque, ce vide, parfois cette angoisse. Et de se rappeler que c’est normal, que c’est même bienfaisant de l’éprouver.

Après, ces personnes, ont souvent peur d’oublier et ont besoin de parler. Il ne faut pas hésiter à faire remonter souvenirs et anecdotes !

Et puis, se demander, ensemble : qu’est-ce que j’emporte du défunt ? Donc, en synthèse : prendre soin et déculpabiliser ; ne pas hésiter à présenter ses condoléances ; parler à la personne ; aider la personne à prendre toutes les forces : qu’est-ce qu’elle emporte de la personne qui est partie, quelles valeurs va-t-elle garder en elle ?

Comment parler de la mort aux enfants ?

Les enfants ont des périodes mystiques, très jeunes, durant laquelle ils se posent beaucoup de questions sur la mort, notamment en voyant des animaux morts. Donc il ne faut pas hésiter à parler avec eux, à répondre à leurs questions, qui souvent viennent percuter en nous le tabou de la mort ! Mais c’est très important de le laisser parler librement de ce sujet.

J’ai aussi souvent encouragé des familles endeuillées à laisser les enfants approcher des corps de leur proche défunt et à réaliser la mort, sans avoir peur de leur offrir cette expérience.

A l’inverse, c’est très lourd de conséquences lorsqu’on prive un enfant de tous les rites de deuil, des rites funéraires et même d’accompagnement, parce qu’il va avoir du mal à réaliser ce qui s’est passé. Et il va se sentir culpabilisé parce qu’on ne lui a pas fait confiance.

Attention aux paroles oniriques « Il est parti pour un grand voyage », « Il reviendra dans longtemps »… Elles ont souvent abîmé psychiquement des enfants parce qu’on ne leur a pas dit la vérité. Quand on ment aux enfants, les enfants sont blessés. On sous-estime souvent la capacité d’une personne à accueillir la vérité.

Comment se former pour accompagner les personnes en fin de vie et endeuillées ?

La Société française d’accompagnement et de soins palliatifs (SFAP) propose une formation intitulée derniers secours.

C’est une formation de 4 à 6 h qui enseigne quelques éléments pour se familiariser avec ce qui se passe vers la fin de vie : signes annonciateurs d’une mort, pauses respiratoires, tendresse, soins de bouche…

De petites choses qui vont aider à être ces femmes ou ces hommes sages, ces passeurs, aides, accompagnants, un peu moins empotés.

À chaque fois, c’est un binôme professionnel et un volontaire en soins palliatifs expérimenté qui vont aider à approcher ces sujets.

Que permet l’accueil de cette vulnérabilité qu’est la fin de vie ?

Je pense à je pense à ce que disait Philippe Pozzo di Borgo – à l’origine d’Intouchables : Faites attention à ne pas exclure ou pousser à l’auto-exclusion les « hors normes », les plus vulnérables, les plus fragiles. Au contraire ! Touchez-moi, moi, l’intouchable, vous vous réconcilierez avec votre part de vulnérabilité.

Au fond de chacun de nous, il y a un petit enfant qui a besoin d’être reconnu, d’être aimé, de tendresse, de consolation, qui a des insatisfactions inhérentes à la condition humaine parce que l’Homme passe infiniment l’Homme et que rien ne peut vraiment nous combler, si ce n’est cette cette quête de sens ; consentir à sa vulnérabilité, se réconcilier avec ses besoins profonds, avec cet inachèvement, ces blessures profondes que nous avons, ça nous rend simplement plus vrais.

On n’a pas besoin de faire semblant de n’avoir besoin de personnes, d’être en pleine santé, de dominer la situation. Et de ce fait, ça nous aide aussi à accepter progressivement à quel point, dans nos moments de vulnérabilité, nous faisons la place aux autres.

Et nous sommes féconds aussi parce que nous avons besoin d’autrui pour nous aider à prendre soin de nous et pour nous consoler. L’humanisation de notre société passe par les liens entre nous.

On a besoin d’être reliés les uns aux autres, de se soutenir les uns les autres pour mieux se connaître, mieux avancer et être des passeurs de vie les uns pour les autres. Et ça, c’est la vulnérabilité qui le permet. Les personnes plus dépendantes, plus visiblement porteuses de handicap ou de fragilité, nous autorisent à être ce que nous sommes.”


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