Philosophie et coopération dans l’entreprise

7 Juil, 2023 | PHILOSOPHIE, TRAVAIL

Docteur en Philosophie, Pierre d’Elbée intervient depuis plus de 20 ans dans les organisations professionnelles et associatives. Il cherche à établir des ponts entre le monde du travail et la philosophie, trop souvent cantonnée à un domaine académique. Il détaille ci-dessous comment augmenter la coopération des équipes, pour le bien de l’entreprise.

Entre la confiance et la coopération, il y a le même chemin qu’entre la bienveillance et la bienfaisance : la coopération franchit le cap de la déclaration et de l’intention.

Pierre d’Elbée

La philo dans les startups ?

Les philosophes arrivent quand la connerie devient insupportable, affirme un philosophe de la Silicon Valley, Andrew Taggart. Et il y a beaucoup de connerie dans le business en ce moment. Son idée principale est que les startups américaines, loin des standards étroits du business traditionnel, sont obsédées par la question du bonheur, et que leurs dirigeants n’arrêtent pas de se poser ce genre de questions : « qu’est-ce que ma start-up doit apporter au monde ? » Leur questionnement philosophique, plutôt que de les paralyser ou de les distraire, les engage davantage dans leurs projets en refusant de se soumettre au dictat du « comment réussir » pour intégrer le « pour quoi réussir ». Dans cette perspective, je voudrais évoquer ici trois raisons pour lesquelles l’échange philosophique est essentiel pour les entreprises dans l’acte crucial que constitue la coopération.

Identifier et exprimer ses valeurs

D’abord, l’expression de ses valeurs personnelles mises en œuvre dans son activité professionnelle. Il s’agit d’un véritable travail philosophique, même si l’on n’a pas besoin d’avoir lu Heidegger ni Hegel pour les identifier. Demandez à des équipes dirigeantes que chacun exprime devant les autres des valeurs qui sont vraiment importantes pour lui dans son travail quotidien, et vous verrez une écoute passionnée de tous les autres.

Exprimer les valeurs qui sont des convictions profondes révèle des choses essentielles en nous, importantes à connaître pour les autres pour se positionner, partager les mêmes convictions ou se différencier.

Définir la culture de son entreprise

La culture d’une entreprise constitue l’ensemble des valeurs communes, des pratiques et des habitudes mises en œuvre pour travailler ensemble. Ici comme tout à l’heure, la philosophie aide à utiliser les bons mots, à définir, à comprendre, à adhérer. Il est toujours hautement révélateur de faire un tour de table pour demander à chacun comment il voit la culture commune de son service ou de son entreprise.

Chacun a forcément une façon à lui de voir les choses, une sensibilité et des mots différents pour dire parfois une même réalité. Mais ces colorations différentes augmentent le sens de ce qui est dit, et participent à un sentiment d’appartenance qui progresse parce que chacun peut vérifier que ce qu’il pense correspond à ce que les autres pensent aussi… ou non.

Adopter une communication sincère

La sincérité consiste à dire vraiment ce que l’on pense. Ce n’est pas toujours facile, et parfois même impossible, notamment quand on fait face à un interlocuteur décisionnaire avec qui l’on est en désaccord sur une question stratégique. Il arrive qu’on ne fasse rien, qu’on fasse semblant d’être d’accord, qu’on préfère éviter le constat d’opposition : la divergence s’installe et risque à tout moment d’éclater au fur et à mesure qu’elle grandit. La philosophie constitue alors un détour utile : on n’aborde pas le problème directement, on le contourne pour vérifier que les valeurs et les règles du jeu sous-jacentes sont partagées, qu’on adhère aux mêmes finalités et aux mêmes objectifs stratégiques. Il vaut mieux exprimer ses désaccords tout de suite sur les principes, cela clarifie le débat plutôt que laisser la situation s’envenimer.


Augmenter la coopération par la philosophie

Ce qui est en jeu dans le partage des valeurs et une communication sincère, c’est la confiance, première étape nécessaire, mais insuffisante.

Entre la confiance et la coopération, il y a le même chemin qu’entre la bienveillance et la bienfaisance : la coopération franchit le cap de la déclaration et de l’intention. Elle ne se paye pas de mots, ne se contente pas de sourires. Elle transforme l’intention en actes, elle la rend visible, crédible.

La coopération est la signature de la confiance, sa conséquence heureuse, la preuve factuelle de son existence. Aristote pensait qu’une personne qui ne met pas à exécution ses décisions éthiques ressemble au malade qui ne suit pas les conseils de son médecin. La philosophie ressemble en effet à une médecine de la parole et de l’action : elle sert à clarifier nos raisons d’agir, à les présenter aux autres, et assure la cohérence entre ce qui est dit et ce qui est fait.


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