Répondre aux appels de la vie : retrouver la joie de contribuer au bien commun – Philippe Royer

14 Nov, 2025 | SOCIÉTÉ DE BIEN COMMUN, TÉMOIGNAGES

Entrepreneur engagé, auteur de Fils de paysan, notre bon sens commun (2025, Ed. Fayard), Philippe Royer livre une réflexion sur le sens de la vie et le rôle de chacun pour créer une société de bien commun. Il propose un chemin pour « entreprendre sa vie », renouer avec ses racines, revitaliser nos âmes et cœurs dans un monde trop souvent dominé par l’individualisme.
Les propos ci-dessous sont extraits de l’interview vidéo.

Être fils de paysan

Je suis fils de paysan. Pendant longtemps, je ne mesurais pas à quel point cette simple phrase disait l’essentiel de ce que je suis devenu. Ce n’est qu’après avoir avancé en âge et exercé des responsabilités importantes que j’ai compris combien mes racines m’avaient façonné.

Enfant, je vivais dans un monde où le temps avait encore un sens. Dans une ferme, on ne tire pas sur une plante pour qu’elle pousse plus vite : si on tire dessus, on la déracine. Cette leçon de patience, je la porte en moi depuis toujours. Elle m’a appris que pour déployer une vie féconde, il faut consentir au rythme de la vie. Il faut s’émerveiller du don qu’elle est, l’accueillir, puis la choisir, chaque jour.

Retrouver notre bon sens commun

J’ai tendance à penser que si notre société va mal aujourd’hui, c’est qu’elle a perdu le bon sens paysan. Nous avons cru que la somme des individualismes finirait par faire le bien commun. Mais la vérité, c’est qu’elle nous conduit au chaos : perte de confiance, bureaucratisation étouffante, fracture sociale, désespérance.

Pourtant, je suis convaincu que nous pouvons en sortir par le pari des émergences positives. C’est ce que j’ai voulu écrire dans Fils de paysan, notre bon sens commun. Nous avons tous, en nous, une part de lumière, un talent, une vocation à déployer. Qui nous permettra de contribuer au bien commun.

Le problème, c’est que nous vivons dans un monde qui a inversé les priorités : nous mettons l’avoir avant l’être, la compétitivité avant la fécondité, la vitesse avant le sens. Or, ce qui insuffle de la joie à une existence, ce n’est pas ce que l’on possède, mais ce qu’on donne.

Entreprendre sa vie

Entreprendre sa vie, c’est d’abord répondre à un appel. C’est oser dire oui à ce qui nous met en mouvement, à ce qui résonne profondément en nous.
J’ai souvent ressenti, dans ma vie, des appels que je ne pouvais pas toujours expliquer rationnellement. Je pense notamment à cette fois où J’étais dans une situation confortable : en dix ans dans la même entreprise, j’étais passé du poste de junior à celui de directeur général. Tout allait bien. J’aurais pu rester dans ce confort, mais j’ai perçu comme un appel à un engagement plus grand, plus fécond. Et j’ai accepté de tout quitter, de changer de région, pour prendre la direction d’une autre entreprise. Je dois dire que, chaque fois que j’ai dit oui à ces appels, la vie m’a donné beaucoup plus que ce que j’aurais imaginé.

Entreprendre sa vie, c’est accepter de quitter les zones de confort pour entrer dans une zone de croissance. J’invite souvent chacun à écouter ces appels, même s’ils dérangent et bousculent. Parce qu’il n’y a rien de pire, à mes yeux, que de se réveiller un jour à 90 ans en se disant : J’aurais aimé faire ça, mais je n’ai pas osé.

Entreprendre sa vie, c’est vivre avec cette audace paisible. C’est accueillir ce que la vie veut déployer en nous. C’est un acte de confiance. Et cette confiance, elle devient féconde dès lors qu’on choisit d’avancer, humblement, pas à pas, dans la fidélité à ce qu’on est vraiment.

Assumer pleinement notre identité

La question de l’identité est brûlante aujourd’hui. Nous vivons une époque où l’on ne sait plus très bien qui nous sommes, ni d’où nous venons, et, de ce fait même, où nous voulons aller.

D’un côté, on a voulu effacer nos racines – familles, territoires, culture, foi… – au nom d’une modernité qui confond ouverture et déracinement. On a déconstruit, petit à petit, ce qui nous tenait ensemble : nos repères, nos traditions, notre mémoire collective.
D’un autre côté, face à cette perte, certains se crispent, se referment sur des identités excluantes, sans ouverture possible.

Ces deux attitudes sont des impasses. La première nie notre histoire, la seconde la fige. La vie, elle, est mouvement et équilibre.
Je crois profondément qu’il faut assumer pleinement nos identités, personnelles et collectives – non pas pour vivre dans la nostalgie, mais pour nous projeter dans l’avenir en étant enracinés dans le présent. Avoir des racines solides ne nous empêche pas d’avancer, au contraire, c’est ce qui nous permet de pousser droit.

Une identité apaisée, c’est une identité qui se sait aimée, qui n’a pas besoin de se défendre pour exister. Quand je sais qui je suis, je n’ai plus peur de la différence. Je peux avec singularité aller vers l’autre, m’ouvrir, dialoguer, construire.
Mais quand je ne sais plus qui je suis, je me compare, je me replie, je m’enferme.

Je suis convaincu que si chacun retrouve ce socle intérieur, cette identité habitée, alors notre pays retrouvera sa force. Parce qu’une France qui sait qui elle est, c’est une France qui peut à nouveau inspirer le monde.

La rencontre des plus pauvres, un chemin vers la vérité

La rencontre des plus pauvres a bouleversé ma vie. Au départ, je pensais aller vers eux pour les aider. J’avais la conviction sincère que, parce que j’avais reçu beaucoup, je devais à mon tour donner. Et c’est vrai : j’ai essayé de soutenir, d’accompagner, de tendre la main. Mais très vite, j’ai compris que cette rencontre me permettait de recevoir aussi beaucoup.

Les personnes fragiles, celles qui sortent de la rue, de la prison ou de la prostitution, portent une vérité que notre société oublie trop souvent : elles ne trichent pas. Elles n’ont plus rien à prouver. Leur regard, leur parole, leur présence sont sans fard.

En allant à leur rencontre, j’ai découvert ma propre vulnérabilité. Les pauvres m’ont appris à accueillir mes fêlures, mes limites, ma fragilité. Ils m’ont aidé à cesser de vouloir paraître, à accepter d’être simplement ce que je suis. Et c’est en les regardant dans les yeux que j’ai compris que la vraie rencontre se fait là : dans la reconnaissance mutuelle de notre humanité commune.

Si chacun de nous, du bon côté de la fracture sociale, décidait de s’occuper d’une seule personne de l’autre côté, alors nous recréerions un tissu social solide. C’est cette gratuité du cœur qui répare le monde, pas les politiques publiques ni les impôts supplémentaires.

Les pauvres m’ont montré que nous avons tous besoin les uns des autres, et que c’est dans la rencontre, dans ce face-à-face sans masque, que la vie retrouve sa lumière.

Discerner entre les malins et les joyeux plaisirs

Avec le temps, j’ai appris à discerner entre les bons et les mauvais plaisirs.

Les malins plaisirs sont ceux qui flattent, qui excitent, qui procurent une satisfaction immédiate, mais qui laissent ensuite un goût de vide, parfois même de tristesse. Ce sont ces moments où l’on croit se faire du bien, mais où, en réalité, on s’abîme un peu.

Et puis il y a les joyeux plaisirs, ceux qui mettent en joie durablement. Ce sont ces moments simples, vrais, habités : un déjeuner avec un ami, une discussion profonde, une marche dans la nature, une rencontre qui nous élève. Ces plaisirs-là ne s’éteignent pas avec la fin du moment. Ils continuent à rayonner en nous, à nourrir une paix intérieure qui dure bien au-delà de l’instant.

J’ai compris que les malins plaisirs nous enferment dans la dépendance, alors que les joyeux plaisirs nous ouvrent à la gratitude. Les premiers nous laissent fatigués, les seconds nous rendent vivants. Les premiers s’épuisent dans la consommation, les seconds s’enracinent dans la relation.

Dans ma vie, j’ai souvent cherché la paix, et je me suis rendu compte qu’elle se trouvait dans la joie de contribuer. Quand je donne, quand je relie, quand je construis, quand je vis quelque chose d’authentique, je ressens cette joie profonde, paisible, féconde.

Discerner entre les bons et les mauvais plaisirs, c’est finalement choisir la vie. C’est préférer la joie qui élève à la satisfaction qui enferme. Et c’est peut-être là, tout simplement, que commence le bonheur vrai : quand le plaisir devient un chemin vers la paix.

Redonner du sens, ensemble

Tout ce que j’ai partagé ici, c’est une expérience de vie. Celle d’un fils de paysan qui a essayé, pas à pas, de rester fidèle à ce qu’il est, de répondre aux appels de la vie et de contribuer, à son échelle, au bien commun.

Je suis convaincu qu’il ne suffit pas de réfléchir ou de s’indigner : il faut agir. Mais agir avec sens. Agir à partir de ce que nous sommes profondément, avec nos talents, nos blessures, nos élans. Chacun d’entre nous a un rôle à jouer pour retisser les liens qui font tenir une société, pour réhabiliter le bon sens, pour faire émerger une France confiante, créative et fraternelle.

C’est tout le sens du projet Redonner du sens.
Ce site n’est pas un outil de communication, c’est un espace de rencontre, d’inspiration et d’action.

Redonner du sens, c’est remettre la joie, le lien et la responsabilité au cœur de nos existences ; c’est croire que notre pays peut redevenir inspirant, si chaque femme et chaque homme choisit d’être pleinement vivant et acteur de la société.

Et si, ensemble, nous faisions ce pari de l’espérance – celui de redonner du sens à nos vies, pour redonner du souffle à notre monde ?

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