S’installer en micro-ferme

25 Sep, 2022 | AGRICULTURE, TEMOIGNAGES

Alain et Emmanuelle Dieudonné ont co-fondé la micro-ferme des Châtaigniers en Touraine. Plusieurs années de préparation ont précédé leur installation, en 2008, avec leurs trois enfants. Comment cette micro-ferme fonctionne-t-elle aujourd’hui ? Qu’en retire la famille ? Alain Dieudonné raconte.

Bifurquer, après une première vie professionnelle

Alain Dieudonné, cofondateur de la micro-ferme des Châtaigniers : “J’ai commencé ma vie professionnelle dans l’industrie. J’étais dessinateur dans un bureau des méthodes. J’aimais ce métier mais j’ai mal vécu l’obligation de passer à l’informatique : en m’enlevant ma planche à dessin, on m’enlevait ma motivation. J’ai alors demandé à partir en maintenance, où j’ai eu la satisfaction d’avoir plus de contact humain. Quand l’entreprise a décidé de sous-traiter cette activité, je suis parti pour devenir formateur. Cela a duré quelques années et puis, j’ai eu envie de revenir à l’entreprise. J’ai été embauché en tant que Directeur des Ressources Humaines. Cette période m’a beaucoup apporté et réellement comblé, notamment dans la gestion des relations avec les syndicats.

Mais en 2004, le comité de direction annonce la fin des relations sociales ; désormais, les décisions allaient être imposées sans concertation. Comment l’entreprise allait-elle être en mesure de fonctionner ainsi ? (La suite prouva que c’était impossible : elle a été liquidée peu de temps après).

Pour moi, c’était la fin d’une histoire : à partir de là, où m’orienter ? Qu’y avait-il avant l’industrie dans ma vie ? Qu’est-ce qui me faisait vibrer ? J’ai repensé à mes grands-parents, à l’histoire de ce grand pays rural qu’est la France. J’ai réalisé que ce contact avec la nature me manquait, même si je pratiquais l’apiculture depuis l’âge de 18 ans… Il était temps de retrouver le chemin de l’agriculture. 

Se plonger, corps et âme, dans l’agriculture

Je me suis formé à la polyculture-élevage pendant un an. Je me suis aperçu que l’agriculture avait beaucoup évoluée et que ce qui était attendu des personnes qui s’installaient ne correspondaient pas à mes motivations profondes. Je n’avais aucune envie de me mettre à une agriculture technique, industrialisée. J’ai donc sagement remercié pour le diplôme et tout le savoir qu’on m’avait transmis. Et j’ai décidé de monter mon propre projet de vie et de ferme !

En cherchant à affiner mon projet, j’ai rencontré des permaculteurs. Mais en 2006, ils ne s’intéressaient pas vraiment aux micro-fermes. Or, venant de l’industrie, je ne voulais pas juste raconter une histoire mais bien produire quelque chose.

Finalement, j’ai adapté ce que j’avais reçu de ces permaculteurs – je sentais que quelque chose de vrai y résidait : s’occuper de la nature et des personnes, dans un partage authentique – et ce que j’avais appris au lycée agricole.

Création de la micro-ferme des Châtaigniers

Au bout de trois ans de recherche, nous avons trouvé un terrain qui nous a permis de développer notre activité de maraîchage biologique. Aujourd’hui, cette surface de culture s’étend sur 3 000m2. Il y a également environ 1,5 hectares de parc et 1,6 hectares de bois.

Quelques animaux vivent à la ferme : deux ânes pour la traction animale, 5 moutons et quelques poules. On peut aussi y voir des chats et mes chères abeilles, à la jonction du parc et du bois.

Notre objectif ? Une agriculture qui prenne soin de la terre et des personnes. 

Nous avons commencé notre activité en livrant des paniers. Et puis, on a eu envie d’accueillir des woofeurs. Que de belles rencontres ! De l’ingénieur qualifié qui arrête tout pour explorer d’autres chemins de vie, aux jeunes que leurs études n’intéressent plus et n’arrivent pas à finir leur parcours académique, les échanges sont variés et stimulants.

Et, petit à petit, nous avons perçu que les personnes que nous accueillions avaient besoin de plus. C’est ainsi qu’est né un programme d’initiation à la permaculture. Puis nous avons créé un programme d’accompagnement d’un an pour s’installer en micro-ferme. Nos formations ont été certifiées Qualiopi.

Vous avez dit “micro-ferme” ?

Une micro-ferme s’implante généralement sur un espace plus petit qu’une ferme classique (qui s’étend aujourd’hui sur une centaine d’hectares). Le but n’est pas forcément d’exploiter tout le terrain. On y fait de la permaculture, une partie du terrain reste sauvage et une autre sert aux animaux de compagnie et d’élevage. S’y trouvent également des lieux d’expérimentation et un atelier.

Et puis il y a le bois, qui nous sert de ressource énergétique pour le chauffage. On y fait des prélèvements réguliers, en faisant des coupes sélectives. En ce moment, par exemple, nous avons des châtaigniers atteints de la maladie de l’encre ; ils sèchent par la tête. Puisqu’ils sont condamnés, on en fait du bois de chauffage.

D’un point de vue productiviste, notre micro-ferme représente seulement 3 000 m2. C’est une micro-activité en polyculture.

 

Les bienfaits de la vie en micro-ferme

Je dirais que la plus grande joie est de retrouver la nature et sa propre nature en soi. Nous avons la joie de faire des rencontres de qualité, sans pression : pas de sonnerie intempestive, d’informations qui circulent dans un flux étourdissant. On retrouve un rythme qui permet une sorte de guérison personnelle.

De nombreuses personnes accueillies se trouvaient en arrêt-maladie. Après quelques jours à la ferme, ils reprennent vie et se rendent compte qu’ils ont encore de la ressource. Avec une écoute bienveillante, un autre rapport au temps et au monde, de nouveaux projets et perspectives de vie, ça repart très vite. C’est une autre grande joie de cette expérience de micro-ferme. 

Quelques difficultés à surmonter

Une première difficulté est due au contexte. Dans le système économique actuel, la nourriture est dévalorisée. Le budget alimentation des familles est très faible. Ma grand-mère consacrait ⅓ de ses revenues pour nourrir ses enfants. Aujourd’hui, je ne sais même pas si nous atteignons les ¼. Il y a tant de frais fixes : logement, abonnements internet et téléphone… Cela a inévitablement des répercussions sur ceux qui produisent cette alimentation !

Par ailleurs, il y a une vraie nécessité à retrouver une polyvalence : passer de la tronçonneuse au semoir, du tableau de formation aux abeilles, sans oublier l’arrosage, etc. Mais passé le moment difficile de l’adaptation, ça peut être un bon assouplissement du corps et de l’esprit.

Démarrer en solo ou accompagné ?

Tout dépend de la nature de la personne.

  1. Se lancer seul
    Il faut avoir les reins solides, être capable de tenir dans la durée. Une installation s’envisage sur 10-20 ans. Il faut être capable d’assumer non seulement la partie compétences – la capacité à faire les choses seul – mais aussi la solitude.
  2. Se lancer à deux
    Pour un couple bien constitué, c’est intéressant. Ça permet de remettre en cause ses projets, de les faire confirmer ou infirmer, de créer des complémentarités. Il faut tout de même garder en tête que l’expérience est rude. Les deux personnes doivent donc être capables d’accueillir ces difficultés.
  3. Se lancer à plusieurs
    Comme dans toute entreprise humaine, on sait que plus il y a de monde, plus c’est compliqué à gérer. Il faut être prudent. La solution la plus simple serait que chacun ait un domaine dans lequel il puisse être sûr de pouvoir prendre en charge les choses à sa façon, sans être contesté, afin de trouver ses marques, sa liberté d’action.

Avoir une double activité

En raison du faible revenu de l’activité alimentaire, nous conseillons d’avoir une autre activité en parallèle, pour équilibrer les revenus. Pour moi, ça a été la formation qui pouvait être délivrée à la ferme, aux dates qui me convenaient.

Tous nos stagiaires arrivent avec des compétences autres qu’agricoles. Dans un premier temps, ils veulent justement développer cette dernière. Mais le naturel revient toujours au galop ! Ainsi, certains vont lancer en parallèle des activités de restauration, artistiques, etc. Toutes les possibilités sont bienvenues.

Avoir les finances nécessaires

On ne peut pas démarrer les poches vides : il faut bien acheter un terrain, pour commencer. Pour un petit terrain, il faut compter au minimum entre 3 000 et 5 000 €, selon la localisation.

J’ai eu des stagiaires qui ont réussi à monter un projet qui dure depuis de trois ans. Ils avaient un minimum d’investissement de 10 000 € tout compris : terrain, matériel, de quoi semer, petite serre. Cette somme, c’est le ticket d’entrée.

Jouer son rôle de paysan

L’éco-diversité a une grande importance. L’agriculteur doit prendre le temps de penser la diversité végétale, le paysage. Il y a des choses faciles à mettre en place, sans se compliquer la vie, telles que planter des arbres, faire pousser des haies autour des grandes parcelles, etc.

Il faudrait également penser à la diversité animale, en commençant par respecter les lieux où vivent ces animaux. Je n’ai rien contre les villes, mais avant de construire une zone d’activité, on pourrait laisser une zone de forêt autour de la ville, sur quelques kilomètres. Ce ne serait pas beaucoup plus long pour les trajets, mais au moins, il y aurait une ceinture verte.

Ces idées, on en entend parler de temps en temps, mais on ne les voit jamais arriver. Pourtant, elles sont assez simples à mettre en place. Elles pourraient permettre de conserver une biodiversité autour de nos territoires.

Nous sommes les derniers arrivés sur la planète. Oui, nous sommes importants. Oui, nous avons le droit d’utiliser les ressources naturelles, sans honte. Mais n’oublions pas que nous sommes nés au sein d’un environnement naturel et restons une infime partie de l’univers…”


Découvrez le site de la micro-ferme des Châtaigniers : microfermecoledeschataigniers.fr

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