L’artiste, témoin de la beauté cachée ?

26 Juil, 2013 | ART & COMMUNICATION, ART & CULTURE

Artiste beauté cachée

“Comment penser un art humain qui donne à l’homme sa dignité tout en considérant son humble place dans la nature et […] dans le mystère d’une transcendance qu’il pressent ?”

ENTRE INDIVIDUALISME ET NEW AGE

Un large pan de l’écologie contemporaine considère que l’homme est une partie comme une autre du grand tout de la nature et que son action sur elle doit diminuer pour laisser davantage de place au reste de la nature. Cette idée est largement relayée par le mouvement New Age. L’action de l’homme doit régresser et se laisser imprégner par le développement naturel des éléments qui l’entourent. A l’inverse de ce qui conduit à une sacralisation de la nature, la conception individualiste qui gouverne nos pensées depuis quelques siècles pose l’individu comme référence absolue de son action.

On peut déduire de ces différents courants ce qui semble alimenter la conception contemporaine de l’art. Si l’artiste est lui-même sa propre référence, il se ferme à la transcendance (en premier lieu, à la transcendance qu’est la beauté), et il n’entre pas dans la dynamique de gratuité et de don d’une œuvre offerte aux autres, qui le dépasse et dont il n’est pas la fin. L’art n’est plus lié à une quête de beauté, il devient un objet financier et il sert la gloire individuelle de l’artiste.

Si l’action de l’homme doit diminuer, c’est la légitimité de la création artistique qui est remise en cause. N’est-elle pas une atteinte à ce qui est déjà beau en soi, à savoir la beauté de la nature? Ce raisonnement semble bien imprégner la philosophie de l’art contemporain selon laquelle l’art est partout, qu’il est dans la nature et dans les choses qui nous entourent, et que peut-être, toute personne qui produit quelque chose est un artiste. Tout est art et chacun est artiste, rien ne sert d’y travailler.

Comment penser un art humain, qui donne à l’homme sa dignité tout en considérant son humble place dans la nature, et – pour celui qui se laisse toucher – dans le mystère d’une transcendance qu’il pressent ?

L’ART COMME CO-CREATION

 « Pour l’artiste, le premier visage de l’amour est celui de la beauté. C’est l’amour de la beauté qui suscite la création artistique. Dire cela peut paraître assez en décalage avec la conception contemporaine de l’art, et on le comprend : est-ce que vraiment le monde est beau ? »

L’art est une action spécifiquement humaine : l’homme, saisi de la beauté (ou de la laideur, comme manque de beauté) de ce qui l’entoure, à laquelle ses sens lui donnent accès, effectue un travail sur la matière, pour créer une œuvre, un nouvel objet dont il est le père, et dont la beauté que ses sens ont décelée pourrait être la mère. C’est bien de lui que l’œuvre provient, elle est née de son travail, elle n’aurait pu advenir sans lui. Pourtant, elle le dépasse. Elle n’aurait pu advenir non plus sans l’attraction subie par l’artiste par une beauté extérieure, par un désir de beauté. L’acte de création ne va pas sans un certain mystère, et nul artiste ne pourrait donner la recette exacte ayant permis de contrôler la conception de son œuvre-enfant, nul artiste ne pourrait dire qu’il a étreint la beauté jusqu’à la posséder entièrement.

La notion d’écologie humaine telle qu’elle est manifestée par votre mouvement rappelle que la dignité de l’homme est dans sa capacité d’aimer et d’être aimé. Cette capacité est telle qu’elle caractérise la nature de l’homme. C’est relativement à cette nature que l’homme pourra contribuer au bien de la nature en général. C’est dans l’amour que l’agir de l’homme prend toute sa valeur.

Pour l’artiste, le premier visage de l’amour est celui de la beauté. C’est l’amour de la beauté qui suscite la création artistique. Dire cela peut paraître assez en décalage avec la conception contemporaine de l’art, et on le comprend : est-ce que vraiment le monde est beau? Avec toutes les horreurs, les immondices, les déchirures que nous subissons… Tant d’artistes semblent au contraire fascinés par la laideur. Je suis allée voir la pièce Calme de Lars Norén, le dramaturge suédois qui saisit avec une grande acuité le caractère sordide et violent de nos psychologies, de nos relations, qui les décrit avec une insistance douloureuse… La pièce pourrait sembler asphyxiante, mais pourtant elle nous touche, et les personnages, qui ne se cachent pas d’être incapables d’entrer en relation les uns avec les autres, ont ceci d’émouvant que, malgré leurs échecs, ils ne cessent d’y revenir, ils cherchent puissamment l’amour. Le fils, John, termine le drame avec cette réplique : « Si… J’ai besoin que quelqu’un me pardonne. » Et la catharsis – la purification par l’expression théâtrale – opère.

MONTRER OÙ LA BEAUTÉ SE CACHE

« La finalité de l’art n’est ni dans l’individu, ni dans la nature. La nature est signe pour l’homme d’une beauté qui la dépasse, et qui le dépasse »

Vouloir dire la laideur, c’est déjà s’y intéresser, c’est déjà une forme d’amour. Le cri ne tarde pas à jaillir : comment se fait-il que ceci soit laid ? La laideur est choquante, elle réveille en nous l’incompréhension face au mal, elle attise en nous le besoin de beauté. Dire la laideur, c’est vouloir « désespérément » en exhumer la beauté. Dans nos sociétés désespérées, les artistes doivent se plonger au cœur du désespoir, et, par leur acuité, nous montrer où la beauté se cache, où elle est malgré tout présente. Dans nos sociétés souffrantes, le travail de l’artiste doit inclure un travail d’accueil de la souffrance par l’amour. Le mystère de souffrance et d’amour est source de fécondité, là où le repliement sur soi enferme dans une souffrance stérile. Seul l’amour est capable de faire voir ce qu’il y a au delà de la souffrance. L’espérance du beau fait de l’artiste un veilleur qui déterre la vie et la beauté dans un monde empli de laideur. Créer une œuvre d’art est une manière de transcender la souffrance, par l’espérance, par l’accueil d’une réalité, par une communion avec la matière, par un travail aimant, par le don de l’œuvre aux autres.

La finalité de l’art n’est ni dans l’individu, ni dans la nature. La nature est signe pour l’homme d’une beauté qui la dépasse, et qui le dépasse.

L’artiste doit accepter de se laisser pénétrer par un mystère, le mystère de la beauté, qu’il cherche et qui se révèle à lui dans des situations souvent douloureuses. Il est témoin de la beauté cachée avec laquelle il a su entrer en dialogue, qu’il a apprivoisée, à laquelle il s’est ouvert et offert pour engendrer une œuvre, non pas à sa gloire, mais à la gloire d’un mystère dont il se fait complice, dont il devient l’humble amant.

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