Je ne suis pas artiste, je suis peintre #ReplayWebinar

24 Mar, 2023 | ART & CULTURE

François Peltier, peintre de métier, partage son expérience : la définition de l’art, la différence entre un artiste et un peintre, la responsabilité de l’artiste vis-à-vis de son oeuvre, le pouvoir de l’image… Une matière inspirante qui peut facilement trouver de nombreuses résonnances dans notre quotidien.


Quel est le lien entre l’art et l’écologie humaine ?

François Peltier, peintre : “La personne humaine a trois spécificités :

  • Il est le seul à faire des outils qui font des outils,
  • il est le seul à faire de l’art,
  • il est le seul à avoir une religion.

Donc si on s’intéresse – comme le Courant pour une écologie humaine – à qui est l’Homme, on s’intéresse obligatoirement à l’art, puisque c’est l’une des composantes particulières de l’être humain. L’art est une manière d’entrer dans la compréhension de l’Homme et de sa vision du monde.

Comment définir l’art ?

Je connaissais bien la conservatrice en chef du Musée national de la préhistoire, madame Guichard, il y a 30 ans. Elle disait que la spécificité de l’homme était sa conscience. Il est le seul à savoir qu’il va mourir.

Face à cela, nous savons qu’il faut explorer l’invisible, essayer de comprendre ce qu’il y a derrière les choses. La religion et l’art sont deux moyens qui servent cette exploration. Pour moi, l’art est donc avant tout une quête et une réflexion eschatologique : qu’est-ce que l’Homme fait ici ? Pourquoi ? Comment ?

L’art est une ouverture, une porte sur un monde invisible, la transcendance (une manière de rendre visible l’invisible). C’est une quête. Voilà pourquoi un véritable peintre ne s’endort pas : comme on n’arrive jamais à appréhender entièrement l’invisible, il doit continuer à se renouveler, à chercher, à se remettre en question. Il n’y a pas d’automatisme.

L’art, c’est la quête d’une vie. J’ai 68 ans et je peux vous dire je n’ai pas terminé ; j’en suis encore au début !


Je ne suis pas un artiste, je suis peintre : y a-t-il vraiment une différence ?

Il y a une espèce de déviation du vocabulaire : maintenant, tout le monde est artiste. Nous sommes tous des artistes (ce qui est assez prétentieux !) et on ne sait plus très bien ce que cela signifie, c’est indéfini.

Être peintre, en revanche, on sait ce que c’est un métier. Je l’ai appris, je l’ai pratiqué 40 ans, je peux dire que je suis peintre. Je sais ce qu’il faut faire avec tel ou tel support, comment réaliser un glacis à l’huile, etc. C’est mon
métier.

Je ne crois pas à l’inspiration non plus. Balzac disait : le talent, c’est 10 % d’inspiration, 90 % de transpiration.
Je crois, de mon côté, que certains peintres ou artistes ont des intuitions. C’est tout à fait différent de l’inspiration. C’est la concrétisation d’un savoir, de manière inconsciente. Un paysan a l’intuition qu’il va pleuvoir grâce à la température de l’air, etc. Il a intégré cette connaissance empirique et, de façon inconsciente, il sait donc qu’il va pleuvoir.
Avec le temps, un peintre professionnel a emmagasiné des connaissances ; il ressent des choses. Il sait qu’il doit prendre tel ou tel chemin pour atteindre son but. Ça n’a rien à voir avec l’instinct. C’est une connaissance.


Comment devient-on artiste et pourquoi ?

Régis Debray dit qu’il y a trois sortes d’art. Il y a l’art pour Dieu (ou l’art sacré), l’art pour l’art (beaucoup le XIXᵉ siècle et le début du XXᵉ) et puis l’art pour l’or, qui fleurit aujourd’hui.

On ne peint pas pour soi – si je peignais pour moi, je n’exposerai pas, on ne verrait pas mes œuvres. Or, j’ai décidé qu’on les voit parce que j’ai envie de donner.

Ce que je veux dire aux personnes qui veulent faire un métier artistique, c’est que ça demande beaucoup de sacrifices, de patience, de fidélité de la part de mes clients qui me permettent de vivre.

Actuellement, je vois beaucoup de jeunes qui sortent des Beaux-Arts. Ils n’ont pas appris de métier : ils manient de vagues concepts et ne savent ni peindre ni dessiner. Rien que le mois dernier, j’ai rencontré deux jeunes femmes – 22 et 29 ans – qui sont venues me voir, atterrées, à la fin des Beaux-Arts, en comprenant qu’on ne leur avait rien donné pendant leur formation. Elles se sentent vides…

Cela pose un énorme problème sur cet enseignement qui prend le problème à l’envers. Il faut d’abord apprendre un métier et ensuite, travailler avec une pensée et une émotion.

La peinture est un engagement véritable. Je suis peintre 24h/24 et non pas à heures fixes ! Et pour ce faire, il faut vraiment avoir le feu sacré, aimer passionnément ce métier et travailler énormément. Cette passion permettra de passer sur les sacrifices. La peinture devient le pivot, le sens d’une vie.


En quoi l’artiste est-il responsable de ses œuvres ?

Si j’ai une production publique, c’est-à-dire que je montre mes œuvres aux autres, la responsabilité est publique aussi !

Si je vous dis quelque chose, je suis responsable des mots que je vais employer pour vous le dire. C’est donc la même chose pour ma peinture. Qui expose s’expose.

On ne travaille pas pour soi. Sinon, je travaillerais dans mon atelier, je serais rentier ou aurais un autre métier. Je pourrais alors ne rien montrer à personne et peindre ce que je souhaite. À partir du moment où c’est un engagement vers les autres, si vous pouvez le voir, j’ai la responsabilité de vous ouvrir une porte. Il faut donc que cette porte ouvre sur quelque chose d’intéressant et, si possible, qui élève l’homme au lieu de le rabaisser. On a cette responsabilité-là, en tant qu’artiste.
Mon professeur aux Beaux-Arts de Bruxelles disait si vous voulez nourrir votre public, alors vous devez nourrir votre tableau. Vous ne devez pas lésiner sur ce que vous mettez dans votre œuvre parce que sinon, vous
décevrez toujours votre public.

Alors, bien sûr, la porte que moi, en tant que peintre, je vous propose, ne conviendra pas à tous. Certains la trouveront peut-être ridicule. Mais je la propose avec toute une réflexion, ma responsabilité, une manière propre
d’espérer faire franchir un seuil à mon public.

Voilà. Je suis donc responsable de la pièce qu’il y a derrière la porte que je présente publiquement.

Quel rapport entre l’artiste et la beauté ?

S’il y a une transcendance, il y a beauté. Jean Clair, le philosophe, dit : on peut admettre une conception de la beauté par quelqu’un qui est non croyant en un Dieu exact, mais on ne peut pas concevoir la transcendance sans la beauté.

Forcément, si vous êtes croyant, la beauté est une théophanie, elle montre le visage de Dieu. Le peintre, en cherchant la beauté, répond à cette chance énorme qui lui est donnée. L’art représente la part sacrée de l’homme, sa part belle.

Votre public, vous ne pouvez pas l’emmener vers la laideur. Vous devez tenter d’élever l’homme, pas de le rabaisser. Il faut oser prendre une décision – la beauté en fait partie -, celle d’offrir aux hommes la plus grande beauté possible en fonction de vos moyens. Parce que si Dieu existe, il est beau, absolument beau, forcément. Et si Dieu n’existe pas, la beauté est quand même une transcendance, une exigence.

Il faut que votre peinture ait un sens. Henri Charlier disait : une grande œuvre comporte obligatoirement deux choses : une pensée et une émotion.
S’il y a que la pensée, vous avez des choses très intéressantes mais très sèches. Si vous avez seulement de l’émotion, ça part dans tous les sens.
Vous devez donc essayer d’aller à la beauté, par la réflexion et par l’émotion. Et vous ne pouvez évidemment passer que par les sens : regard, toucher, goût… vos moyens d’expression et de compréhension.


Quel rapport entre l’artiste et la liberté ?

La liberté, c’est justement les choix que l’on peut poser : le choix de la beauté, du sacré, etc.

Ce qu’il faut, c’est chercher à ce que ce choix soit en même temps utile pour les autres – puisque vous avez décidé de peindre pour offrir quelque chose aux autres – et en même temps qu’il vous satisfasse.

Une fois que vous avez posé votre choix, que vous avez une cohérence, une pensée, des émotions contrôlées et que vous travaillez, à ce moment-là, vous avez une énorme liberté. Une fois que l’on a choisi, on est libre. Tant que l’on n’a pas choisi, contrairement à ce que l’on entend dire, on n’est pas libre.

Et c’est ça qui est fondamental. Une vie de peintre, c’est d’abord des choix, des choix fondamentaux. Et de s’y tenir parce qu’on est quand même mieux quand on tient ses choix.


L’image a-t-elle effectivement un pouvoir ?

Il me semble qu’il faut faire une différence entre image et visuel. Le visuel, on en est gavé : publicités, etc. Où que l’on pose les yeux, on bouffe du visuel.

Mais l’image n’est intéressante que lorsque l’on va vers elle, quand il y a une dynamique de la part de celui qui regarde.

Un exemple : j’ai des tableaux dans quinze pays dans le monde dont je suis bien loin de parler la langue. Mais, à travers la peinture, je peux parler à ces personnes ! Pourquoi ? Parce que ce sont des images que l’on regarde !

Tout à l’heure, je disais que je construisais des portes. Mais si vous construisez une porte et que la personne en face, qui regarde votre porte, ne se déplace pas, n’ouvre pas la porte, ça ne peut pas fonctionner. Le dialogue ne peut pas s’instaurer.

Le visuel, c’est regarder la surface de la porte. L’image, c’est quand vous ouvrez la porte. On ne la passe que si l’on bouge, si l’on a une relation dynamique avec elle.

L’image, si elle est contrôlée, travaillée, intégrée, si celui qui la regarde entre dedans, elle devient alors une force énorme.
Si elle est passive, elle a cette même puissance, mais c’est bien plus désagréable car c’est une force presque subliminale. Si on se contente de supporter, de consommer le visuel, on peut finir par y perdre son âme ; on la subit, on devient un voyeur…

L’image a un impact ; c’est pour cela qu’une éducation à l’image est nécessaire. Des études ont été réalisées au Canada. Elles ont démontré que les enfants soumis à haute dose à l’image, sans explication, ont une imagination bien moins riche que les enfants à qui l’on raconte des histoires et qui n’ont pas l’image.

Ainsi donc, si l’on ne veut pas appauvrir notre imaginaire, il faut enseigner à voir, à regarder l’image, de façon pro-active. Il est important de savoir qui est derrière l’image et ce qui a motivé la personne ou l’entité qui l’a produite et diffusée.

L’art est un langage. Entre le bleu clair et le bleu sombre, vous saurez tout de suite lequel est le ciel et lequel est la mer. Entre le jaune aigu et un jaune plus rond, vous saurez immédiatement distinguer celui qui est acide et celui qui est sucré.
Moi, j’ai un langage, ce sont les couleurs et une syntaxe, la composition. J’essaye de dire quelque chose avec cela. Mais il faut que vous vouliez lire, bien entendu !

Toute cette éducation sur la grandeur de l’art devrait être faite… Car l’art est l’un des rares endroits où l’homme peut s’élever en douceur, avec un lent travail intérieur. C’est pour cela que – alors que j’ai commencé à peindre à l’huile à dix ans et demi – j’éprouve toujours le même plaisir à 68 ans. Être peintre, c’est incroyablement difficile, mais c’est fascinant !”


À propos de François Peltier

François Peltier, qui a aujourd’hui 68 ans, a décelé sa vocation de peintre à l’âge de 15 ans. Après son bac, il est parti à Bruxelles, en Belgique, pour suivre les cours de l’Académie Royale des Beaux-Arts. Il en sort en 1978. En parallèle, il se forme à la Manufacture d’Estampes et de Livres d’Art de Bruxelles et à partir de 1979, il se consacre entièrement à la peinture. En 2009, il se dédie exclusivement à l’art sacré. 

Découvrir le site et les stages de François Peltier : favolus.com

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