Créer et transmettre : illustrations chiliennes inspirantes

5 Avr, 2018 | Form'action Cap 360

À l’occasion de la septième soirée de la Form’action Cap 360°, ayant pour thème “Créer et transmettre”, Gilles Hériard Dubreuil, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine, présente deux découvertes faites au Chili pouvant être perçues comme des métaphores de l’humanité toute entière.  

Je reviens du Chili, longue bande de quatre mille kilomètres entre l’océan Pacifique et la cordillère des Andes. J’y ai fait plusieurs découvertes qui me semblent susceptibles de nous éclairer sur le thème « créer et transmettre », dans la perspective du thème de l’année “Tous les hommes”.

Azorella Compacta : une chaîne de vie

La première découverte est une plante : l’Azorella Compacta (cf. image ci-dessus), appelée Yareta par les Indiens.

Cette plante ressemble à un énorme coussin. Elle peut avoir jusqu’à 4000 / 5000 ans. À l’intérieur de la plante se trouve une partie plus boisée. Elle pousse d’environ un centimètre par an, peut couvrir une surface d’environ 30m² et peut montrer jusqu’à 1,80 mètre. Certains indiens l’utilisent comme matériau de chauffage, ce qui a failli la faire disparaître. Elle est maintenant protégée.

En réalité, cette plante est une colonie de plantes. C’est-à-dire qu’il s’agit d’un processus qui se renouvelle en permanence et qui vient pousser sur les générations précédentes. Je vois donc en cette plante une métaphore de l’humanité qui nous permet de prendre conscience de cette dimension collective. Progressivement, nous sommes amenés à prendre notre place dans l’histoire de la famille humaine, nous arrivons à un certain moment, dans un contexte donné, dans le développement de l’humanité et puis nous nous retirons et d’autres viennent prendre leur place. Sur cette plante, on peut observer des petites fleurs qui la perpétuent. J’assimile ce fleurissement à une forme de création. Ce sont des nouveaux êtres qui vont venir prendre leur place dans une chaîne intergénérationnelle, avec de nouvelles idées issues de l’inattendu, de rencontres qui ne devaient pas forcément avoir lieu. Ces êtres reçoivent la vie et vont la régénérer. C’est un peu ce qu’il se passe avec chacun d’entre nous lorsque nous recevons un héritage du passé, comme une maison familiale. Nous avons à actualiser le sens, à le remodeler par rapport à notre environnement.

Nous voyons donc ici que la transmission est faite d’une chaîne qui ne s’interrompt pas. Et c’est intéressant de voir qu’à partir du moment où la plante se nécrose, elle ne progresse plus. Autrement dit, ce ne sont pas seulement les individus du présent qui ne vivent plus, c’est toute la chaîne qui s’arrête. Cela révèle le caractère essentiel de notre effort de création, de fleurissement et de transmission. Nous avons ce souci de cette colonie que constitue l’humanité et nous en sommes les dépositaires.

Les nécropoles des Chinchorros : une partie vitale du patrimoine culturel actuel

Autre exemple à quelques centaines de kilomètres, au nord du Chili, avec une civilisation très ancienne, les Chinchorros, des indiens vivant sur ces terres depuis 8000 ans avant JC.

Aujourd’hui, on découvre des nécropoles faites de momies beaucoup plus anciennes que les momies égyptiennes. Elles font l’objet d’une préparation particulière : on les recouvre de sable, dans des régions extrêmement arides et sèches. Ces conditions sont très favorables ce qui fait qu’elles se sont conservées de manière tout à fait saisissante jusqu’à aujourd’hui.

Pourquoi ce travail de momification ?

Voici un petit texte que j’ai découvert en allant voir ces vestiges : « les corps momifiés des Chinchorros sont comme des effigies. Dépourvus de tous organes susceptibles de se décomposer, ils conservent leurs os, leur peau, leurs cheveux, dans le but de préserver l’essence de l’individu et son ancestralité dans la communauté. Ces pèlerins du temps intègrent en eux-mêmes une matérialité et une spiritualité inconnue. Ils ont voyagé jusqu’au présent pour former une partie vitale du patrimoine culturel des peuples qui vivent aujourd’hui au Chili. Cette exposition n’est pas un échantillon d’êtres morts mais l’évaluation d’un ancien mode de vie et d’une vision concernant la mort. De cette façon, les momies Chinchorros remplissent leur mission inéluctable d’éternité. »

Lorsque l’on regarde ces momies, on en voit apparaître de toutes petites : ce sont des momies d’enfants, voire de fœtus. On s’interroge : certains sont des fœtus, d’autres n’ont pas d’os. C’est comme si des gens n’ayant pu être momifiés étaient représentés par une toute petite image. Le texte dit encore « plus impressionnante encore est la momification faite aux êtres qui ne sont pas encore nés, aux fœtus qui ressemblent à de petites statuettes. Et le plus touchant, le traitement délicat des embryons humains dont les membres n’étaient pas encore formés, mais qui étaient considérés comme des membres de cette communauté. »

 

Quelle leçon tirer de tout cela ?

Nous voyons une vision globale de l’humanité à travers ces deux métaphores, dans l’espace et dans le temps, dans lequel ceux qui nous précèdent constituent le soubassement pour aujourd’hui. Ce sont eux qui, par tout ce qu’ils ont développé, par tous leurs efforts, par leur créativité, par l’invention de concepts, de techniques, de formes de dons et d’échanges, de formes organisationnelles et politiques, par leur capacité à relier les éléments du réel et leur donner sens, ont inventé des mondes et nous les ont transmis. Ils portent les générations du présent et ils préparent l’avenir. En même temps, cet avenir est dans les mains de ceux qui sont dans le présent. Chacun a affaire à la pérennité de l’humanité à travers la création et la transmission : deux poutres vitales de l’humanité.

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