Faire le tour du monde sur un mini-bateau ! Yann Quenet raconte

21 Fév, 2023 | TERRITOIRES VIVANTS

En 2019, Yann Quenet décide de quitter sa Bretagne natale. Pour quoi faire ? Un tour du monde en solitaire, sur Baluchon, un bateau de 4 mètres qu’il a construit dans son garage. Un rêve d’enfant qui se réalise enfin. Il raconte.

Faire connaissance avec Yann Quenet et Baluchon

Yann Quenet : “Je suis un navigateur qui essaie de faire des trucs rigolos, pas compliqués, plaisants et sans stress. Je conçois, construit et navigue sur de petits bateaux.

Baluchon, c’est le petit bateau avec lequel j’ai fait le tour du monde. À dire vrai, c’est plus qu’un bateau, c’est toute une philosophie. C’est l’univers de l’enfance – un gamin qui construit sa maquette de bateau le soir dans sa chambre et rêve de faire le tour du monde avec. C’est mon rapport avec le monde et son immensité… Plus mon bateau est petit, plus la mer est grande !

Ecoutez notre entretien avec Yann Quenet

Construire un petit bateau : pourquoi ? Comment ?

J’aborde la navigation différemment des autres ; il me fallait par conséquent un bateau sur mesure. Il se trouve que j’aime beaucoup la technique, l’ingénierie, les inventions. Construire un bateau, c’est fait pour moi ! (J’avoue que je ne me serais pas autant amusé sur un bateau acheté neuf ou d’occasion, même retapé par mes soins)

Baluchon ne ressemble en rien aux autres bateaux ; son étrangeté interpelle quand j’arrive quelque part. Mais il est parfaitement adapté à ma façon – un peu originale, parfois – de naviguer et d’aborder les problèmes.

Baluchon a ceci de particulier qu’il est tout petit : il mesure quatre mètres. Et puis, il est simplifié au maximum. Rien ne peut casser à bord ou alors, je suis en mesure de le réparer facilement. Il n’y a pas de technologies compliquées. C’est le bateau le plus simple possible.

Cela dit, aussi étrange que cela puisse paraître, construire un bateau simple est assez compliqué. Cela nécessite une bonne dose de réflexion en amont. De fait, quand on a appris à naviguer sur certains types de bateaux, il y a des façons de faire qui paraissent normales ; elles ne le sont pas forcément ou du moins, d’autres fonctionnements existent. Construire son propre bateau permet d’aborder les problèmes de manière différente, c’est très intéressant.

Se jeter à l’eau

Je suis complètement autodidacte. Quand j’ai appris la voile, je me suis lancé dans la baie à côté de chez moi, du côté de Saint-Brieuc, en Bretagne nord. Pour commencer, j’ai fait de petits tours. J’ai un peu cafouillé ; il me fallait apprendre les bases que je ne connaissais pas. Puis j’ai poussé plus loin, jusqu’aux îles Anglo-Normandes, au milieu de la Manche. Et puis, jusqu’à l’Angleterre. Et puis, un tour dans l’Atlantique et puis… un tour du monde !

C’est quelque chose dont je rêvais depuis que je suis petit. C’est donc la concrétisation d’un rêve ; si on a des rêves, il faut les réaliser ! (Je ne peux pas les réaliser tous, cela dit, parce que j’en ai des centaines, mais en réaliser quelques-uns, c’est très important !)

Oublier les fausses excuses

Beaucoup de personnes pensent que, pour vivre une aventure, il faut des tonnes de moyens. Mais ces “tonnes de moyens” ne sont là que pour rassurer… On peut vivre de grandes aventures avec deux fois rien. Mon bateau, par exemple, m’a très peu coûté. Je l’ai construit tout seul dans mon garage.
Finalement, le plus dur, c’est de se lâcher et d’arrêter de trouver des excuses : “il faut des moyens, des partenaires, et ceci et cela…”
Il faut se lancer : il n’y a pas de limite à nos rêves !

Baluchon : une passerelle vers le reste de l’humanité

Avant mon départ, le contact n’était pas facile avec les autres humains ; sans doute me faisaient-ils peur ! Cet état d’esprit a évolué au fur et à mesure que j’avançais dans ce tour du monde. Mon Baluchon est un bateau si atypique que j’intriguais beaucoup de monde : qui est donc ce type sur ce petit bateau ? D’où vient-il ? Ca m’a permis d’aller à la rencontre de ces personnes.

C’est d’ailleurs une des surprises de ce voyage. Ce bateau, que j’avais peut-être un peu construit pour fuir le reste de l’humanité m’a finalement rapproché d’elle ! J’ai fait des centaines de rencontres incroyables. Mon petit bateau a été une passerelle entre mon monde et le monde des gens. Je me suis aperçu qu’eux aussi avaient des rêves – des rêves d’évasion, notamment.

Si j’aime bien me retrouver ma solitude en pleine mer, les escales m’ont semblé d’autant plus magnifiques qu’elles me permettaient de vivre toutes ces rencontres extraordinaires.

Apprivoiser la solitude

La solitude est quelque chose que j’ai appris à apprivoiser au fil des ans. Elle a de nombreuses vertus : elle permet de grandir, de se ressourcer et de se recentrer (sortir de l’influence potentielle d’autres personnes ou des idées à la mode). Elle offre l’opportunité de réfléchir, de faire un peu d’introspection. Chose difficile à réaliser à terre : les sollicitations sont trop nombreuses (notamment avec les écrans, la radio…).

Au milieu de l’océan, on arrive à prendre du recul sur la vie à terre. C’est passionnant. Tout le monde devrait s’offrir ces moments de solitude, ces pas de côté, pour réfléchir et regarder sous un autre angle la folie du monde.

Effort et inconfort : sources de dépassement de soi

Je n’ai pas la même notion de confort que tout le monde : ça ne me fait ni chaud ni froid de dormir sur une planche en bois ; à vrai dire, ce côté ascétique me plait même beaucoup.

J’aime également la notion d’effort : essayer de dépasser mes limites me procure un vrai plaisir. Cela fait partie de l’être humain, me semble-t-il.

Il est très important de savoir sortir de sa zone de confort. Sans cela, je serais resté chez moi dans mon canapé et il ne me serait pas arrivé toutes ces aventures ; j’aurais été moins épanoui.
Ca n’empêche que certaines personnes aiment bien rester dans leur canapé et il faut respecter ça !

Réparer, beaucoup mieux que d’acheter neuf

J’adore la bricole, voire même la bidouille ! J’aime beaucoup retaper des trucs avec des bouts de ficelle. Et puis c’est toujours plus sympa de rafistoler des vieilles choses – objets cassés, moteur, que sais-je… – plutôt que d’en racheter des neuves, je trouve.
D’ailleurs, en mer, on est obligé d’assurer soi-même les réparations ; on ne peut évidemment pas emmener toutes les pièces de rechange du monde ! Il faut donc savoir être ingénieux et réparer avec les moyens du bord. Une chose qui me procure beaucoup de plaisir !

Ode à la liberté

Qu’est-ce qu’évoque pour moi la liberté ? Le fait de ne rien devoir à personne d’autre qu’à soi-même. Si j’ai envie de partir demain avec mon petit bateau, je pars demain avec mon petit bateau et personne ne va m’en empêcher – que mon bateau soit ou non en règle avec les affaires maritimes ou le droit de la mer.

Et je ne me préoccupe ni de l’opinion des autres (sans quoi le départ serait sans cesse reporté !) ni du risque potentiel. Le risque fait partie de la vie. On va tous mourir un jour, que l’on traverse l’océan seul sur un bateau de 4 mètres ou que l’on traverse la rue (même sur un passage clouté !).

Cette peur de l’accident ou de la mort que l’on partage tous est saine : elle nous permet de nous maintenir en vie. Mais elle peut également nous enlève pas mal de liberté ; à un moment, il faut faire fi de toutes ces angoisses.

La plus grande difficulté ? Lâcher prise !

Je n’ai pas eu à surmonter de très grandes difficultés pendant ce tour du monde. La plus grande difficulté, au fond, aura été de lâcher prise, au départ.

Avant mon aventure, à l’instar du commun des mortels, je travaillais à terre. J’étais fonctionnaire, j’avais une vie rangée. Démissionner de ce travail sûr et confortable n’a pas été facile.

C’est ce qui me fait dire que le plus dur est de se libérer des contraintes terrestres et sociales. Une fois que l’on est libéré de cela, tout est assez facile !

Contempler l’immensité

En pleine mer, on ne voit plus la terre, on n’a plus de repères. On a une impression d’immensité qui est à peu près sans égale sur terre, à part dans les déserts de sable ou de glace.

On se sent tout petit : le rapport à l’infini est saisissant. L’immensité a une portée philosophique : elle nous rétablit à notre place, insignifiante vis-à-vis du reste du vivant. Je trouve cela merveilleux !

Je suis d’un naturel contemplatif ; je peux rester planté des heures sous un ciel magnifique, devant des oiseaux, des dauphins, un coucher de soleil…

La beauté des paysages offre quelques instants de grâce qui ouvrent un nouveau rapport à l’univers. On se demande s’il y a quelque chose après, au-delà, ou s’il n’y a rien, si c’est simplement merveilleux – ce qui incite à profiter de l’instant présent – ou s’il faut chercher des raisons dans tout cela. Il y a tout un mélange de sentiments merveilleux.

Je souhaite à tous de pouvoir vivre ces moments magiques !

Mer et déchets plastiques

Durant ma navigation, j’ai découvert beaucoup de pollution, particulièrement à l’approche des côtes et dans certaines régions.

Au milieu de l’océan, on est assez préservé. Et tout à coup, on arrive dans des zones recouvertes de déchets plastiques… C’est impressionnant d’autant qu’ils semblent avoir été jetés la veille alors qu’ils sont à plusieurs miles de toute côte.

Quel gâchis ! C’est triste de si peu respecter son environnement…

Temps de terre et temps de mer

Depuis que j’ai remis les pieds en Bretagne, j’ai presque été obligé d’acheter un agenda !
Prévoir des rendez-vous dans le temps long, à telle date, telle heure, ne me convient pas du tout. Ca me semble très stressant.

En mer, on n’a plus d’objectif de dates, d’autant que le bateau est très lent. Il n’y a plus que le jour et la nuit qui rythme le voyage. On ne se projette pas sur l’avenir car il peut arriver des tas d’événements hors de notre maîtrise : tempêtes, vagues, calme plat… On ne se concentre que sur le moment présent et sur les détails du quotidien qui arrivent sans avoir été prévus – réduire la voilure quand il y a trop de vent, par exemple.

Mon retour a été un peu difficile de ce point de vue : rencontres, interviews, événements divers, qui parfois devaient se tenir plusieurs mois plus tard. Mon esprit avait du mal à se projeter si loin ! Ce qui compte avant tout, c’est aujourd’hui et l’instant présent…

Le rapport à l’autorité

Il faut clairement quelques règles administratives pour que tout le monde navigue en sécurité. Mais c’est vrai que j’ai un rapport assez compliqué avec l’administration… Même à terre, je n’ai jamais été vraiment en règle !

Souvent, quand j’arrive à terre, mon rapport avec l’administration est assez difficile. Heureusement, ça se passe la plupart du temps assez bien parce que mon bateau est tout petit et que je ne suis visiblement pas un bandit international. Mais j’ai régulièrement assisté à des complexités administratives ubuesques. Quand on arrive d’une longue période en mer, complètement libre, avoir à subir des règles qui semblent absurdes peut s’avérer désagréable !

Il faudrait pouvoir généraliser un système qui existe déjà : une administration centralise toutes les informations du voyage et fait le lien avec les administrations des autres pays.

Un nouveau voyage ?

Mon prochain projet est de repartir le plus rapidement possible sur un autre tour du monde, mais cette fois, en passant par des régions plus nordiques. Et vivre une aventure à la Jack London : me balader dans la forêt, couper du bois, avoir une cabane !

L’aventure ultime : s’ouvrir à l’autre

Nous sommes tous des êtres solitaires qui essayons tant bien que mal de s’épanouir dans le monde. La rencontre de l’autre, au fond, est l’aventure ultime ! Il faut faire un effort, sortir de sa coquille, s’ouvrir.

Je pense que c’est ça, le but de chacun : s’adapter à l’autre et de vivre des relations harmonieuses.

C’est ce que j’ai découvert lors de ce voyage. Paradoxalement, alors même que c’était un tour du monde en solitaire, ça m’a permis de fissurer cette carapace que l’on se créé tous au fil du temps.

Pour le plaisir !

Pendant ces trois années de tour du monde, me venait régulièrement cette question : “À quoi ça sert, ce que vous faites ?”
Le but, c’est juste de se faire plaisir ! Je n’ai pas de message fort à imposer au monde sur la façon de naviguer ! Chacun trouve sa propre voie.

Je me suis tellement épanoui pendant cette aventure ! J’ai changé, grandi, gagné en confiance en moi, j’ai été nourri de merveilleux, de contemplation et de beauté… Je souhaite vraiment au plus grand nombre de pouvoir en faire autant !


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