Le Lion et le Chasseur (ou comment être courageux en réunion)

26 Nov, 2021 | ART & CULTURE, TRAVAIL

À l’occasion des 400 ans de Jean de La FontaineLa Fontaine & Cie permet de redécouvrir ses merveilleuses fables, à travers une analyse littéraire et sémantique développée par Alexis Milcent, spécialiste en marketing et stratégie. L’objectif ? Décortiquer l’essence de la fable et en tirer des enseignements adaptés à l’entreprise.

La fable

Un Fanfaron amateur de la Chasse,
Venant de perdre un Chien de bonne race,
Qu’il soupçonnait dans le corps d’un Lion,
Vit un Berger : « Enseigne-moi de grâce,
De mon voleur, lui dit-il, la maison,
Que de ce pas je me fasse raison. »
Le Berger dit : « C’est vers cette montagne.
En lui payant de tribut un Mouton
Par chaque mois, j’erre dans la campagne
Comme il me plaît, et je suis en repos. »
Dans le moment qu’ils tenaient ces propos,
Le Lion sort et vient d’un pas agile.
Le Fanfaron aussitôt d’esquiver.
« Ô Jupiter, montre-moi quelque asile,
S’écria-t-il, qui me puisse sauver. »

La vraie épreuve de courage
N’est que dans le danger que l’on touche du doigt.
Tel le cherchait, dit-il, qui changeant de langage,
S’enfuit aussitôt qu’il le voit.

Jean de La Fontaine

Les conseils pro de Jean DLF

!voilà notre fable emmenée par un Tartarin de Tarascon des temps anciens (d’ailleurs, il y a, dans les premiers vers, la même allitération en R qui fait longuement sonner sa fanfare). La fable est courte, allons promptement au but (d’autant que La Fontaine, dans la fable précédente, vient de faire l’éloge de “l’élégance laconique”…).

Courage, fuyons

On peut s’interroger : l’entreprise est-elle le lieu du courage ?

Le Berger, qui, finalement, fait ici figure d’entrepreneur avec sa petite activité commerciale, a une attitude mesurée. Il compose avec le danger, négocie avec le Lion, trouve un modus vivendiOui, en quelque sorte, il a le courage de vivre.

Et La Fontaine, en quelques vers programmatiques, de définir sous les traits du Berger ce que c’est que de vivre :

  • commercer : notre Berger produit et semble vivre de son métier
  • s’inscrire dans la réalité du temps et de l’espace : “par chaque mois, j’erre dans la campagne
  • partager : n’indique-t-il pas au Chasseur où se trouve le Lion ?
  • savourer : “j’erre dans la campagne Comme il me plaît, et je suis en repos

Cette félicité pastorale, éminemment tournée vers autrui, a procuré au Berger le courage nécessaire pour dialoguer avec le Lion et établir le deal.

Avec cette figure du Berger proprement au cœur de la fable (6 vers avant, 5 après), La Fontaine vient donc insidieusement nous interroger sur la nature de notre courage : il n’est de vrai courage pour La Fontaine que celui qui s’attache à la vie. C’est un courage discret (à tel point que le Berger disparaît du titre de la fable), mais c’est le courage véritable. Pourquoi et pour quoi nous battons-nous chaque jour ?

Nous irons tous au paradis 

Hélas, comment ne pas se reconnaître dans le Chasseur ?

  • ​qui n’a jamais laissé le soupçon gouverner sa conduite ? => “Qu’il soupçonnait dans le corps d’un Lion” (la notion de soupçon est importante chez La Fontaine, elle apparaît également dans la fable précédente comme un ressort du “faux courage”).
  • qui n’a jamais laissé la vengeance et l’orgueil biaiser son jugement ? => “Que de ce pas je me fasse raison” (noter l’amère ironie de La Fontaine qui parle ici de la raison)
  • qui dans des excès n’a jamais considéré autrui comme une ressource, humaine (#RH) ? => “Enseigne-moi” / “montre-moi” (le Berger donne, le Chasseur ramasse).​

La Fontaine est trop empathique pour dénoncer vivement ces travers communs. La véritable critique est dans la conclusion : “Tel le cherchait, dit-il, qui, changeant de langage, S’enfuit aussitôt qu’il le voit.”

C’est bien le fanfaron vantard qui est condamné. D’ailleurs, il est défini fondamentalement comme un fanfaron : ce n’est pas un chasseur qui fanfaronne (Tartarin) mais “Un fanfaron, amateur de la chasse“.

Or le fanfaron, c’est celui qui justement a des paroles en trop et pervertit le langage – cette chose sublime pour le fabuliste – en revenant sur ses propos.

La Fontaine prolonge donc sa méditation en faisant rimer “courage” et “langage” (v16 et 18). Pour ainsi dire, le Berger “donne sa parole” au Chasseur en lui répondant. Mais il la “donne” également au Lion en pactisant avec lui. Le Berger a le courage de la parole donnée, de fuir la transaction (“enseigne-moi” / “montre-moi”) pour l’échange et le partenariat.

En quelque sorte, Jean DLF interroge nos conversations à la machine à café et nos réunions d’équipe :

  • Y sommes-nous empreints de fanfaronnades, de soupçons, de paroles “changeantes” ? 
  • Ou bien parvenons-nous à établir de véritables échanges, fondés sur une parole donnée et mesurée ?

“Tous ont fuit l’ornement et le trop d’étendue :
On ne voit point chez eux de parole perdue”

Le Pâtre et le Lion (Fable 1, Livre VI)

La Fontaine rend hommage à ses prédecesseurs fabulistes dans un texte qui forme un tout avec Le Lion et le Chasseur. On nous dit parfois que les newsletters de La Fontaine & Cie sont trop longues : c’est qu’il faudrait avoir le courage de travailler encore plus pour ciseler la synthèse ! Retenons néanmoins ce courage de la parole succincte, ce courage de la pensée qui nous évitera les girouettes et les réunions interminables.

Ch’tit bonus : “Courage fuyons” et “Nous irons tous au paradis” comme un hommage au grand Jean Rochefort sous la direction d’Yves Robert. Et cette citation de Jules Renard en ouverture du premier : “N’écoutant que son courage, qui ne lui disait rien, il se garda bien d’intervenir”. Info Wikipédia !


Source : le site de La Fontaine et compagnie

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