Le renne, roi de l’adaptation

15 Mar, 2021 | ENVIRONNEMENT, NATURE & ENVIRONNEMENT

À demi domestique, à demi sauvage, selon la saison, le renne nordique résiste aux conditions les plus extrêmes. Les mutations accidentelles de son habitat le mettent pourtant à rude épreuve. Chronique animalière proposée par Tugdual Derville, co-initiateur du Courant pour une écologie humaine.


Mais où va donc le renne ? Depuis le paléolithique supérieur, nommé aussi « l’âge du renne » tant il pullulait, ce ruminant de la famille des Cervidés, reconnaissable à ses bois aplatis dentelés, a migré vers les zones restées froides de l’hémisphère nord. Une précision : du côté canadien, le renne se nomme caribou.


Le renne est le roi de l’adaptation. Au froid comme à l’eau. Ses poils creux tubulaires sont un excellent isolant et une aide à la flottabilité. Pour ses migrations de plusieurs milliers de kilomètres, jusqu’à cent mille têtes traversent fleuves et bras de mer. Ses pattes aplaties avec leurs touffes de poils entre les doigts, sont faites pour nager, courir dans la neige et la creuser à la recherche du lichen, sa principale nourriture ; le lichen lui-même, en fermentant dans son corps, le réchauffe sans qu’il ait besoin de s’activer ; même ses yeux s’adaptent à la saison : bleus pour les nuits polaires, dorés en été. Bref, notre ami dispose d’un manteau grand froid, d’un gilet de sauvetage, de raquettes hivernales, d’une paire de lunette de soleil et de vision nocturne, sans oublier son réchaud intérieur… Et comme il n’a pas d’horloge circadienne, il se moque du cycle jour/nuit.
Je n’ai jamais cru au père Noël, mais je comprends qu’il ait choisi cet animal pour sa course nocturne annuelle. Le renne sème ses prédateurs avec des pointes à 70 kilomètres heures. Il faut qu’il soit malade pour se laisser attraper par un loup ou un ours. Plus adaptable que le mammouth et le rhinocéros laineux qu’il a côtoyés pendant la préhistoire, il leur a survécu. Introduit aux îles Kerguelen, près du pôle sud, il s’y est établi à l’état sauvage.


Mais ce n’est pas un dieu. Et l’adaptation a ses limites. D’abord, le renne peut se tromper. L’idéalisation de la nature nous fait endosser tout accident subi par les bêtes. Mais on déplore d’incroyables maladresses collectives : en 1984, dix mille caribous qui migraient ont péri dans une crue. Le gestionnaire d’un barrage fut mis en cause mais il semble que les bêtes de tête ont été poussées à l’eau par les suiveurs affolés. En 2009, la rupture de la glace d’un lac suédois a noyé 200 rennes.
Le renne souffre du changement climatique : sa femelle sait, au besoin, bloquer pendant deux mois la croissance de son fœtus, mais en certains lieux, la date des naissances ne s’adapte plus à la floraison trop précoce de la toundra nourricière. Le taux de survie des jeunes s’effondre.
Et puis, pendant le torride été 2016, le dégel du permafrost a ressuscité l’anthrax en décongelant un renne qui en était mort 70 ans plus tôt. L’épizootie a tué en Russie 1500 rennes et même un enfant. Qu’arrivera-t-il si le réchauffement exhume d’autres cadavres ? 


Domestiqué de longue date en Eurasie, le renne sert à tout : monture et bête de somme, viande, vêtement, outils, abri… Mais savez-vous que les Lapons de Norvège payent encore la catastrophe de Tchernobyl ? À deux mille kilomètres de sa source, le nuage radioactif a contaminé lichens et champignons. Trente ans plus tard, la viande de renne reste radioactive au-delà des limites posées par l’Union européenne. Toute la culture de ce peuple d’éleveurs nomades est en danger.


Soyons lucides : ni le renne, ni l’homme ne peuvent s’adapter à l’infini.

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