L’eau, sujet vital – et si on remettait l’humain au cœur de la réflexion ? Céline Vairon, Menelik

25 Mai, 2024 | ENVIRONNEMENT, NATURE & ENVIRONNEMENT, TERRITOIRES VIVANTS

Céline Vairon, directrice du syndicat de rivière Menelik, ingénieure en sciences et technologies de l’eau, est intervenue lors du forum marseillais du Courant pour une écologie humaine, sur le thème “de quelle écologie l’humanité a-t-elle besoin ?“. Plongée passionnante dans la gestion de ce bien commun vital qu’est l’eau.

“Mon rêve, c’est de faire de Menelik l’agitateur du territoire, l’animateur, pour créer quelque chose qui ressemble à une instance de démocratie participative, un lieu qui mette l’eau et les rivières en débat pour la population.”

Céline Vairon

À propos de Céline Vairon

Céline Vairon est directrice du syndicat de rivière Menelik (anciennement SABA – Syndicat d’Aménagement du Bassin de l’Arc).

Née à Montpellier, Céline Vairon a vécu jusqu’au bac à côté du fleuve Hérault, ce qui a participé à développer chez elle un respect profond pour ce fleuve et, de là, pour tous les cours d’eau.

Elle devient ingénieur en sciences et technologies de l’eau en 1995 et connait sa première expérience professionnelle au sein d’un bureau d’études spécialisé dans l’aménagement des cours d’eau et gestion du risque inondation.

En 2002, elle devient directrice du SABA, qui devient Menelik en 2022, établissement qui veille aujourd’hui sur l’Arc, la Touloubre, petits fleuves provençaux qui se jettent dans l’étang de Berre, et la Cadière, qui coule dans les Bouches-du-Rhône et se jette dans l’étang de Bolmon, proche de l’étang de Berre. Menelik gère également tous les autres petits cours d’eau qui se jettent dans les étangs de Berre et Bolmon.

Le goût de l’eau dès l’enfance

Céline Vairon, directrice de Menelik : “Enfant, j’ai vécu à côté du fleuve Hérault, un pied dans la haute-vallée de l’Hérault, donc au pied de du mont Aigoual, et un pied dans la basse vallée de l’Hérault.

J’étais au lycée à Pézenas et, chaque année, je me faisais évacuer du lycée parce que l’Hérault sortait de son lit et inondait la plaine. Il coupait la route ; si je ne voulais pas dormir au lycée, il me fallait donc rentrer chez moi au plus vite !

J’ai développé à cette époque une véritable admiration pour les cours d’eau et un profond respect pour leur “colère” ; parlez-moi de l’eau et des rivières, c’est un sujet que j’affectionne particulièrement. Mais ne me dites pas que l’on peut en maîtriser les débordements ! Cela fait plus de 50 ans que je suis persuadée que c’est quelque chose que l’on ne sait pas faire ; d’autant qu’il y a sans doute une autre façon d’agir avec son environnement que celle de vouloir le contrôler en tout.

Des études, des incertitudes, un rêve qui se réalise

L’eau est un problème d’avenir. C’est quelque chose dont je suis très consciente depuis mon plus jeune âge.

Quand j’ai commencé mes études d’ingénieure en sciences et technologies de l’eau, j’avais – au fond – une image philosophique de l’eau. J’ai découvert via mes cours la partie technique et scientifique du sujet – hydraulique, mécanique des fluides, etc. – Mais c’était tellement éloigné de ce que je voulais faire que j’ai failli abandonner mes études !

Au final, j’ai été jusqu’au bout et grâce à cela, j’ai atterri en bureau d’études. Là, j’ai pu vivre concrètement ce pour quoi j’avais fait ces études : j’ai découvert la gestion des rivières, des zones inondables, les schémas d’aménagement autour des cours d’eau… J’ai alors compris que je ne m’étais pas trompée d’orientation !

Un jour, j’ai appris que le directeur du SABA – Syndicat d’Aménagement du Bassin de l’Arc – devait être remplacé. Je sentais que ce poste était fait pour moi et j’ai donc postulé.

Cela fait 22 ans que j’occupe cette fonction ! Au départ, nous étions cinq dans la structure. Aujourd’hui, je suis directrice de Menelik, un nouveau nom – celui du fils de la Reine de Saba et du roi Salomon – pour un syndicat aux missions élargies, dans lequel nous sommes 25 à travailler.

Menelik : une histoire qui doit devenir commune

En passant du SABA à Menelik, nous sommes passés à un territoire deux fois plus grand, ce qui a doublé le linéaire de cours d’eau dont nous devions nous occuper. Et puis, nous sommes devenus compétents sur des territoires qui avaient, par le passé, déjà écrit une histoire avec des syndicats de rivière.

Comment fait-on pour créer du commun avec ces cultures multiples, ces histoires diverses, mais dont le pilotage devenait alors unique ?

Je ne savais pas trop comment m’y prendre ; j’avais toutefois en tête l’idée que c’était probablement une histoire d’humains à comprendre, à analyser, pour réussir à créer du commun.

J’ai donc recruté une anthropologue. Elle a commencé par explorer le territoire – 57 communes – pour rencontrer les habitants et saisir les représentations qu’ils se faisaient de leur cours d’eau. Quant aux élus, elle leur a fait dessiner la carte sensible de leur territoire. « Tu sais, » m’a-t-elle dit « tout passe par les émotions. C’est en faisant s’exprimer les personnes, en leur faisant raconter l’histoire qu’elles ont vécu avec les cours d’eau, que l’on en comprendra le lien qui les relie. Cela nous permettra de bâtir là-dessus et d’imaginer des projets qui auront du sens pour les élus et riverains. »

On essaie de partir de l’être humain, de comprendre le lien, l’attachement qu’il a à son territoire et à la rivière pour bâtir nos projets avec eux.

Un exemple concret : agir ensemble contre des inondations

On travaille en ce moment avec des riverains d’un quartier de l’une de nos communes, riverains qui sont régulièrement inondés et sont donc dans un état de colère inimaginable.

On leur a proposé de travailler avec nous, d’imaginer les aménagements dans leur quartier pour essayer de se protéger contre ce risque. Cette proposition les a interpellés et adoucis : ils n’imaginaient pas qu’une collectivité puisse leur proposer d’intégrer un groupe de travail, qu’ils puissent être force de proposition.

Avec cette dizaine de riverains, il est prévu de nous retrouver autant que nécessaire le soir, au sein des bureaux de Menelik. Nous mangeons alors ensemble et travaillons de concert sur des solutions de protection contre les inondations qui puissent fonctionner.

Si techniquement les solutions proposés risquent de ne pas être totalement satisfaisantes – est-il effectivement possible d’éviter les inondations sur un lit de rivière où ces habitations ont été construites ? – je suis malgré tout heureuse d’une chose : ces personnes avaient beau avoir ce point commun d’être inondées, elles ne composaient pas les unes en fonction des autres. Au contraire, leur premier réflexe était de se protéger individuellement, ce qui revenait à agir les uns contre les autres ; chacun érigeait ses propres murs et digues ! (ce qui ne faisait qu’empirer le problème).
Le fait qu’elles aient pris conscience que les actions menées individuellement ajoutaient au risque, est une belle victoire !

Voilà à quoi aboutit le fait de remettre l’humain au cœur de la réflexion : la création de lien, d’entraide, de solutions beaucoup plus intelligentes.

Refaire de la démocratie participative autour de l’eau !

Ce qui me met en mouvement et m’inspire, c’est ce qui se passe sur le Parlement de Loire.

Mon rêve, c’est de faire de Menelik l’agitateur du territoire, l’animateur, pour créer quelque chose qui ressemble à une instance de démocratie participative, un lieu qui mette l’eau et les rivières en débat pour la population.

Je n’ai pas encore d’objectif très net et ne sais pas avec précision où je vais, mais ce qui m’intéresse, c’est de mettre en route les habitants du territoire, de cheminer ensemble vers cette utopie qui est la gestion de nos fleuves en commun, en les respectant et en vivant avec en harmonie.

L’essentiel, c’est cette force d’entraînement que l’on peut générer sur le territoire. J’ai encore quelques années pour faire aboutir ce rêve !”


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