Co-fondatrice et directrice de l’École Supérieure pour les Talents Atypiques (ESPTA), Armelle Chapalain raconte la genèse de ce projet unique en Europe, dont l’objet est d’offrir aux profils autistes sans déficience intellectuelle, un cadre épanouissant d’émancipation et d’excellence.
Une école née d’une “météore” sur une trajectoire de vie
Armelle Chapalain, Directrice de l’ESPTA : “L’École Supérieure pour les Talents Atypiques est une école un peu particulière, parce qu’elle a été créée par des autistes, pour des autistes. L’idée est venue d’une histoire personnelle.
Un jour, mon mari – qui est informaticien – a voulu postuler à un programme de recherche aux États-Unis. Il a dû passer toute une série de tests, et un jour, on lui dit : « Vous avez toutes les compétences que l’on recherche, et en plus, vous êtes autiste, c’est parfait ! »
Sauf que lui n’avait alors aucune idée qu’il pouvait être autiste. Ça a été un choc. Il a vécu un burn-out. Parce que quand on apprend qu’on est autiste à 40 ans passés, on revisite toute sa vie… on comprend mieux des choses qui nous avaient échappées, des moments où on n’avait pas les codes. Il a fini par se demander : « Qu’est-ce que je fais de cette information pour que ça participe au bien commun ? » Et c’est là qu’on a commencé à imaginer l’ESPTA.
Une autre façon d’apprendre
Ici, les cours ne ressemblent pas du tout à ceux que l’on donne ailleurs. Pas de cours magistraux. On travaille en petits groupes, souvent cinq étudiants par classe. Nos professeurs sont majoritairement autistes eux aussi, donc ils comprennent très bien ce que les jeunes peuvent vivre. On insiste beaucoup sur la prise de parole, parce que demain, en entreprise, il faudra savoir s’exprimer en équipe.
On a des cours plus « classiques » le matin, et l’après-midi, ce sont des cours complémentaires, des options. Ce sont eux qui choisissent : théâtre, impro, japonais, hardware, échecs, podcast, méditation…
On a aussi des cours pour mieux comprendre le monde professionnel des « neurotypiques » – pourquoi s’exprime-t-on avec les mains ? À quoi sert la machine à café au boulot ? Comment écrire des mails dans le cadre d’une entreprise ? Des choses simples mais essentielles.

Des cerveaux qui fonctionnent autrement
Un cerveau autiste n’est pas un cerveau malade ; on nait autiste – ou pas.
Le cerveau autiste fonctionne différemment. Il y a, en permanence, plus de connexions. Cela génère une forte fatigabilité et certaines zones du cerveau sont moins sollicitées, comme celle de la compréhension des relations sociales : expressions du visage, sous-entendus, certains types de blagues sont parfois difficile à comprendre.
En contrepartie, ce sont des cerveaux qui vont chercher des solutions là où d’autres ne les voient pas. Ils vont dans le détail, maîtrisent certains sujets à fond. J’ai des étudiants qui connaissent par cœur les stratégies militaires de la Renaissance, avec le nombre de fantassins exact de telle ou telle bataille. D’autres peuvent aussi repérer d’un seul coup d’œil l’ensemble des fautes dans un texte. C’est bluffant.
Accompagner vers l’autonomie
Notre rôle, c’est de leur apprendre à prendre soin d’eux. Beaucoup peuvent travailler des heures sans s’arrêter, jusqu’à l’épuisement. On leur apprend à mettre une alarme, à respecter leur sommeil et à gérer les imprévus, les petits grains de sable qui peuvent mettre en péril toute une journée. Un bus en retard, une contrariété le matin… et la batterie est déjà à 30 %. Comment fait-on, dans ce cas, pour répondre à la demande de livrable de son N+1 pour le soir-même ? Il faut apprendre à se connaître, à s’adapter.

Reprendre goût à la vie
Nous avons plusieurs belles histoires, déjà, à l’ESPTA.
Je pense à l’une de nos étudiantes qui avait littéralement passé cinq ans dans sa chambre. Sa famille était inquiète. Elle avait très peu de contacts sociaux. En suivant nos formations, puis petit à petit, elle a repris un rythme, elle s’est fait des amis. Elle a obtenu son diplôme avec mention. Je me souviens de son père qui me disait : « On revient de loin… » C’est une grande joie pour toute l’équipe enseignante d’observer un tel épanouissement.
Je pense aussi à ce trentenaire passionné de graphisme, qui voyait naturellement en 3D. Son professeur était très impressionné. Aujourd’hui, il dessine des projets de jardin pour un paysagiste ; ce qu’il a appris ici lui a permis de trouver sa voie.
Préparer le monde de demain
Nos jeunes partent en stage deux fois par an. Ce sont souvent leurs premiers pas dans le monde professionnel, et les entreprises, elles aussi, découvrent ce que c’est d’accueillir un profil autistique. On prend le temps de les accompagner, de faire des visios avec les équipes pour les rassurer et les prévenir : certains jeunes ne pourront pas tout de suite leur serrer la main ou les regarder dans les yeux.
Et puis, il faut adapter les postes à l’environnement de travail : trop de lumière, trop de bruit peuvent mettre les batteries de nos étudiants à plat. Je pense à cette équipe qui a décidé, en accueillant leur stagiaire, de mettre la sonnerie de leur téléphone en mode silencieux dans l’open space. Ca a fait tellement de bien à tout le monde que la mesure a été gardée même après le départ du jeune !
Une année, l’un de nos jeunes a créé un logiciel qui a été utilisé par une cinquantaine de personnes. Il était tout surpris et tellement fier ! À travers ces expériences, nos jeunes comprennent qu’ils ont quelque chose d’unique à apporter : une réflexion, des idées, une sensibilité, une culture nouvelle. Cela enrichit tout ce que le monde neurotypique a construit depuis 2000 ans.
Une intelligence qu’il est temps de reconnaître
En France, on estime qu’il y a deux millions de personnes autistes, dont 90 % sans déficience intellectuelle. Elles sont là, autour de nous, mais on ne les voit pas, on ne les valorise pas. Pourtant, ce sont des profils qui ont un potentiel énorme. Je crois profondément que le monde a besoin d’eux.
D’ailleurs, quand une célébrité annonce qu’elle est autiste, c’est souvent pour démontrer que c’est grâce à cette forme d’intelligence qu’elle a réussi à réaliser ce qu’elle a accompli.
Tous les autistes ne sont pas des génies. Mais dans certains domaines, ils peuvent être très impressionnants ! Au sein de l’ESPTA, nous sommes persuadés qu’en s’appuyant sur cette forme d’intelligence, on peut aller vers un monde meilleur.
Conclusion : plus intelligents ensemble !
Je crois vraiment qu’on gagne à mêler les intelligences. À ne pas uniformiser. Cette génération ne sera pas mise de côté. Elle va éclore, elle va changer les choses.
J’aimerais dire aux personnes autistes : soyez fiers de qui vous êtes. Vous avez quelque chose à dire, à faire, à construire !
Et à ceux qui ne sont pas autistes : intéressez-vous à l’autisme. Pas comme à une différence gênante, mais comme à une richesse !