L’homme et la forêt #ReplayWebinar

7 Oct, 2023 | NATURE & ENVIRONNEMENT, TEMOIGNAGES

En quoi l’arbre – et la forêt par extension – sont-ils si importants pour l’homme ? Quelle(s) valeur(s) a la forêt ? Comment l’estimer ? Comment en assurer la gestion ? Est-il effectivement nécessaire que l’homme intervienne ? Michel de Vasselot, Expert en gestion forestière et ingénieur de l’école supérieure du bois, offre quelques éléments de réponse.

L’homme et la forêt sont intimement liés depuis la nuit des temps. Si le végétal n’était pas arrivé sur terre, il n’y aurait pas eu l’animal, donc pas d’homme. La forêt seule ne se perpétue pas éternellement. Si la forêt a permis à l’homme d’exister, l’homme est là pour l’aider à subsister.

Michel de Vasselot

Les grands cycles de la nature : de la steppe… à la steppe !

Michel de Vasselot : “Tout part de la steppe. D’abord germent les essences dites pionnières, leurs graines légères leur permettent de se faufiler le long des graminées pour atteindre le sol et, enfin, germer. Parmi les essences pionnières figurent le bouleau, le tremble, ou encore le pin sylvestre. Ces essences sont rarement longévives (elles ne vivent pas longtemps) mais elles ont l’avantage de créer une ambiance forestière dont l’humidité est optimale pour l’émergence des essences de lumière.

Le chêne, le charme et le frêne font partie des essences de lumière. Ces dernières servent principalement à faire du bois d’œuvre. Les animaux et le vent contribuent à déplacer ces essences qui germent là où les essences pionnières ont créé le bon microclimat au sol.

Avec l’arrivée des essences de lumière, qui colonisent tout l’espace et montent haut, les essences pionnières meurent. Sous elles, arrivent alors les essences d’ombre : sapins, hêtres… Ces essences-là survivent à l’ombre durant les premières années de leur existence, et montent le long des essences de lumière… qu’elles finissent par remplacer.

Sous les essences d’ombre, rien ne pousse. La vie végétale ne survit pas à l’ombre de ces essences. Quand celles-ci meurent à leur tour, la forêt redevient steppe ; les graminées se réinstallent et le cycle recommence. Ces étapes s’étendent sur un millier d’années.
L’objectif du forestier est d’intervenir dans ce cycle pour éviter le retour à la steppe laquelle, si elle est parfaitement nourricière pour les plus petits animaux, ne suffit pas pour l’homme.

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(H)être expert forestier

L’expert forestier est un acteur indépendant qui intervient principalement auprès de propriétaires privés mais qui peut également être sollicité par les tribunaux. Les forêts d’État, en revanche, sont gérées par les fonctionnaires de l’Office national des forêts.

La gestion privée comprend une analyse du problème forestier, une prescription et une démarche commerciale. Si la forêt est un écosystème vivant, c’est également pour son propriétaire une source de revenus ; l’expert forestier se doit de la vendre au mieux ; il doit notamment être en mesure d’en estimer la valeur, pour une succession ou une vente.

De mon côté, tous les jours, je suis heureux d’aller travailler : c’est formidable d’aller en forêt, voir ce que deviennent mes châtaigniers, mes douglas… Je côtoie des personnes incroyables ! On pourrait d’ailleurs prendre les propriétaires pour des fous : certains payent des fortunes pour une plantation qui peut échouer et qui ne sera récoltée que dans 150 ans. En réalité, ils travaillent pour l’humanité, ou tout au moins, pour quelque chose de bien plus grand qu’eux-mêmes.

Qualités requises du bon expert forestier

L’observation, mais aussi la patience, l’humilité et l’obstination sont tout à fait nécessaires au forestier. L’obstination est très importante car il faut savoir maintenir son cap malgré les imprévus. La forêt, et la nature en général, évolue sur un temps bien plus long que celui de l’homme. Le forestier ne peux donc pas tout couper et recommencer à la moindre contrariété.

Par ailleurs, l’expert forestier doit s’avérer bon commercial. Tant pour ce qui concerne la vente du bois – en sachant comment s’adresser à l’acheteur, notamment – que pour savoir valoriser notre propre travail. Les fonctionnaires qui passent de l’administration à la sphère privée vivent, en général, la transition difficilement ; le montant de leurs anciennes fiches de paye ne représente évidemment pas le coût réel de leur travail. Ils tendent donc à sous-facturer quand ils passent en indépendant. En résumé, il faut savoir séduire le client, le rassurer et facturer au prix juste.

Michel de Vasselot – Expert forestier

Le regard de l’expert forestier sur l’arbre

L’arbre qu’apprécie le promeneur, celui qu’on voit sur les tableaux, c’est justement celui que fuit le forestier. L’expert forestier se doit d’avoir un regard économique. Il doit produire du bois industrialisable. Une branche, aussi esthétique soit-elle, cache un nœud. Or, un nœud signifie que la planche finale aura probablement un trou et ne pourra pas être exploitée.

Voilà pourquoi l’expert forestier aura tendance à se pâmer devant des arbres absolument lisses, très droit (et très ennuyeux pour les promeneurs !). On essaye d’éduquer des arbres aussi parfaits que possible afin de faciliter l’usinage.

La sylviculture régulière

Il y a plusieurs écoles en sylviculture. Pour schématiser, deux modes s’affrontent sur la méthode à suivre. La sylviculture régulière date de Napoléon III (XIX s.), quand l’agriculture a trouvé ses normes. On a commencé à cultiver massivement, géométriquement, et on a voulu appliquer la même approche à la forêt. Au fond, on plantait des arbres comme des betteraves !

La sylviculture régulière s’est basée sur une étude mesurant l’accroissement des chênes : en 1850, sur un chêne, on comptait O.8 cm d’accroissement par an ; on en a légitimement conclu qu’à 100 ans, l’arbre en question aurait 80 centimètres de diamètre et on a studieusement planté des rangées de chênes. Or, en 1950, les chênes n’avaient pas du tout atteint les 80 cm escomptés… La récolte a été reportée, d’abord de 20 ans, puis toujours plus tard.

Ce que l’on a mis du temps à comprendre, c’est que le taux d’accroissement de 0.8 cm avait été observé sur des chênes en croissance libre. Ils avaient des houppiers qui ressemblaient à des montgolfières. Dans les futaies plantées, on a élevé des chênes dont les houppiers ressemblaient plutôt à des dômes de parachutes. La surface foliaire étant directement liée à l’accroissement individuel de l’arbre et à la photosynthèse, les chênes plantés serrés ne grandissaient pas du tout aussi vite que les chênes en croissance libre observés.

La sylviculture irrégulière

La sylviculture irrégulière est un art qui provient des forestiers travaillant sur des forêts privées, comportant des arbres de toutes dimensions, dont certains en croissance libre. Les chênes qui s’y trouvaient, eux, croissaient à ce fameux taux de 0.8 cm/an. C’était donc un objectif possible, à condition qu’il y ait une moindre densité.

Le traitement irrégulier a longtemps été interdit. Mais la tempête de 99 a été très révélatrice : on a vu des jolies futaies tomber comme des châteaux de cartes, alors que les futaies ‘bancales” ont perdu moins de bois. Elles se sont aussi très vite régénérées. Depuis, le traitement irrégulier est beaucoup mieux vu mais il ne faut pas le prendre à la légère car il nécessite une gestion très fine à mettre en place.

Le traitement régulier a l’avantage de proposer un calendrier qui évite nombre d’erreurs. En irrégulier, il faut savoir doser les prélèvements, s’adapter à la forêt, s’assurer qu’elle puisse se régénérer. Finalement, ces deux modes de sylviculture se sont beaucoup affrontées mais aujourd’hui elles se supportent mutuellement.

Soit dit en passant, en tant qu’animateur de l’association Pro Silva, je promeus le traitement irrégulier en Normandie. Mais à chaque réunion, je montre des peuplements réguliers et irréguliers et j’avertis contre une transition trop brutale de l’un à l’autre. Il faut passer doucement à l’irrégulier, saisir l’opportunité d’une petite tempête, d’une maturité, de la disparition de quelques essences d’ombre.

Les bonnes pratiques pour favoriser la biodiversité en forêt

Il est primordial de conserver des arbres morts en forêt. Ce sont des réserves exceptionnelles d’êtres vivants. Un chêne vivant, c’est un individu. Un chêne mort, ce sont 250 espèces qui se nourrissent de lui, qui interagissent, qui enrichissent la nature. Évidemment, on ne devrait pas laisser pourrir un arbre qui a de la valeur et qui pourrait être utile pour l’homme, mais un arbre mort depuis cinq ans, qui ne vaut plus rien en termes industriel, il faut absolument le garder en forêt.

Les espaces naturels, où l’homme n’intervient pas, sont très importants à préserver. Il y a des quantités de coléoptères et d’insectes qu’on ne trouve que sur les pelouses calcaires. Ces pelouses calcaires sont de très mauvais sols forestiers, il faut surtout se garder de les reboiser. Une forêt, quelle qu’elle soit, comprend environ 5 % de sols “non-boisables”. Laissons ces sols s’ensauvager plutôt que de s’entêter à vouloir tout boiser !

En Europe, nous avons des forêts naturelles qui servent de référence aux experts forestiers. Tous les propriétaires qui ont un peu de surface devraient consacrer un espace, une zone sanctuarisée, pour observer. Eux-mêmes ne verront rien car le temps de la forêt est bien plus long que celui de l’homme. Leurs héritiers, en revanche, pourront avoir des instructions extraordinaires grâce à cet espace privilégié.

M. de Vasselot en Corse

La forêt en France

La forêt est en très bon état en France. On n’a jamais eu autant de forêt et on replante plus qu’on ne détruit. Les maladies présentes sont endémiques et ne risquent de devenir épidémiques que si l’on élimine les prédateurs naturels de la maladie. Pour conserver la forêt, il faut éviter ce qui nuit à l’équilibre forestier.

Ainsi, trop de gibier est une catastrophe pour la forêt. Il faudrait se débarrasser du “complexe de Bambi” : la chasse doit contribuer à l’équilibre de nos forêts.

Autre chose particulièrement dangereuse pour la forêt : les insecticides. Oiseaux et chauves-souris peuvent réguler les populations d’insectes qui sont bénéfiques à la forêt. En revanche, le DDT est à proscrire ! Il agit aveuglément et de manière excessivement brutale.

Importer des espèces

Importer un arbre est un processus très délicat. Le risque majeur est d’importer des maladies. L’orme a disparu en France après guerre parce que les États-Unis, au moment du plan Marshall, nous ont envoyé de l’aide dans des caisses en orme ; elles portaient malheureusement avec elle la maladie du ceratocystis ulmi. Cette maladie s’est implantée en Europe et y a tué tous les ormes. Les États-Unis ont un autre ceratocystis, cousin germain de celui de l’orme, sur le chêne. Il faut donc faire très attention quand on importe des chênes en Europe. C’est là où la réglementation joue un rôle primordial pour la protection de nos arbres.

La coupe rase, une aberration ?

Il existe des circonstances où la coupe rase est la meilleure route à suivre : quand des essences ne fonctionnent pas là où elles sont implantées ou si les arbres croissent trop lentement… Il faut parfois savoir raser et replanter, d’autant que c’est parfois bénéfique pour la biodiversité : certaines essences de lumière ne peuvent s’installer que sur des coupes rases et s’y installent des insectes et animaux qui ne prolifèrent pas ailleurs..

La coupe rase a aussi sa valeur pour le paysage. Elle ouvre la perspective et propose une valeur esthétique.

Mais rappelons qu’en général, tout ce qui est exagéré est insignifiant. Je ne suis pas particulièrement partisan des coupes rases mais elles ne sont ni le mal incarné ni la méthode parfaite de sylviculture. Il faut savoir l’utiliser quand elle est pertinente, cela reste à l’appréciation de chacun.”


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