Une ville vraiment intelligente #ChroniqueLLY

30 Juil, 2021 | ENVIRONNEMENT, SCIENCES & TECHNOLOGIES

Face à la prolifération des écrans et aux problèmes de société posés par l’hyperconnexion, l’association Lève Les Yeux (LLY) part à la « reconquête de l’attention ». Yves Marry, cofondateur, propose des chroniques sur l’impact de la technique dans nos vies. Ci-dessous, une réflexion sur les villes intelligentes.

Aujourd’hui vous voulez évoquer les fameuses « villes intelligentes », dites « smart cities »

Yves Marry : “Oui, je me suis promené dans la belle ville d’Aix-en-Provence, qui aime à se présenter comme une ville « intelligente », et j’ai été frappé par la succession d’écrans publicitaires, à tous les arrêts de bus sans même parler des caméras de vidéosurveillance, omniprésentes. J’ai cru être victime d’une crise d’épilepsie… en fait, j’étais un simple citoyen de la fameuse smart city.”

Alors de quoi parle-t-on, quand on parle de ville intelligente ?

“Eh bien tout d’abord, on notera l’usage de l’adjectif smart comme toujours présenté comme synonyme de « numérique ». Ensuite le champ lexical du « vert », ou encore mieux du « green », n’est jamais loin. En effet le concept de « ville intelligente » est l’une des clefs de voûte du discours optimiste de l’industrie numérique, bien décidée à convaincre l’opinion que la crise écologique sera résolue grâce aux miracles de la technologie, et surtout pas grâce à un modèle économique qui remettrait en cause la croissance.

Pour la définir, je vous épargnerai la novlangue des industriels ou même de la Commission Nationale de l’Informatique et des Libertés qui promet une « ville plus adaptative et efficace », entre autres joyeusetés. On peut retenir que la ville dite « intelligente » est une ville qui utilise les données numériques pour aiguiller ses services – transport, voirie, réseaux énergétiques, gestion des déchets, etc.
En analysant tous les flux de personnes, d’énergie, ou encore de données, on pourra optimiser les services urbains, gagner en « efficacité énergétique ». On songe, par exemple, au lampadaire s’allumant au passage du piéton…”

A priori, c’est plutôt séduisant !

“Oui, sauf que si l’on se penche sérieusement sur la réalité matérielle de cette future ville, on comprend rapidement qu’il faudra, pour capter et faire circuler un maximum de données, avoir des antennes 5G un peu partout, et bien sûr, des capteurs et des caméras. Les citoyens, eux, seront priés d’être équipés de smartphones afin de bénéficier de ces « services ». Et le secteur numérique n’aura plus qu’à se pencher pour ramasser les revenus, en subventions directes, mais aussi et surtout en production de données, en fabrication d’objets connectés, en dépendance toujours plus accrue à leur technologie pourtant dévoreuse d’énergie, importante contributrice au dérèglement climatique, polluante, et très mal recyclée, pour ne citer que ses impacts environnementaux. 

Vous me concèderez que le « vert » promis, pâlit déjà un peu.

Le citoyen de la « ville intelligente », à qui on n’a jamais demandé son avis sur la question, marchera tête baissée, yeux rivés au smartphone, réceptionnant des notifications commerciales ou gouvernementales, lui suggérant ici une boutique correspondant à ses dernières recherches sur Google, là un produit manquant dans le frigo connecté. La smart city, et son corollaire la 5G, piliers de la supposée transition écologique par le numérique, ne sont ainsi rien d’autre qu’un déferlement de quincaillerie et d’incitations à la consommation. Enfin si, ils sont autre chose : ils sont une rampe de lancement pour la surveillance technologique de masse. Caméras de surveillance, reconnaissance faciale, intelligence artificielle, le tout en réseau connecté en permanence, voilà le rêve de tout gouvernement naturellement enclin au « contrôle » de sa population.

En sortirons-nous, vraiment, plus intelligents ?”


Cette chronique a été diffusée dans la matinale du 3/05/2021 sur RCF.

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