Il y a quelques années, nous fûmes plusieurs habitants à partager la même aspiration, celle de créer des liens en partant d’un projet a priori utopique : faire vivre un lieu intergénérationnel portant le rêve d’une société conviviale, un « village dans la ville ». L’aventure sociale humaine fut largement inspirée par les lectures d’Ivan Illich, qui d’une certaine manière façonna notre utopie : « L’homme ne se nourrit pas seulement de biens et de services, mais de la liberté de façonner les objets qui l’entourent, de leur donner forme à son goût, de s’en servir avec et pour les autres… », Ivan Illich.
TOUT COMMENCE PAR UNE BALLADE URBAINE…
Dans les années 2010, nous étions conviés à une balade urbaine avec quelques habitants résidant dans le quartier Saint Rémi de Reims. Cette balade urbaine visait à faire découvrir aux habitants leur quartier, à relever au sein de leur habitat les lieux méritant une démarche de valorisation et d’appropriation par les habitants.
C’est dans le cadre de cette balade urbaine que nous fûmes plusieurs habitants à découvrir l’îlot Saint Gilles. Ce fut le début d’une aventure sociale et humaine.
D’emblée nous nous sommes étonnés de cette découverte et de l’absence de vrai projet urbain autour du lieu. L’îlot laissait apparaître un certain nombre de vieilles maisonnées à pans de bois qui avaient conservé une dimension atypique, dans une ville reconstruite après l’épisode douloureux de la première guerre mondiale – qui avait à l’époque dévasté la ville de Reims. Puis notre déambulation dans les ruelles étroites de l’îlot nous fit cheminer vers une maison abandonnée jouxtant un jardin abandonné, rendu à l’état sauvage.
DU DIAGNOSTIQUE AU REVE
Les regards échangés avec les habitants et nos lectures croisées nous conduisirent rapidement à proposer l’émergence d’une commission au sein du conseil de quartier, pour poser une réflexion sur l’avenir global de l’îlot Saint-Gilles, et du jardin en particulier. D’emblée, cette commission conclut à la nécessité d’une appropriation de cet îlot par les habitants, pour peser sur d’éventuels projets de rénovation autour de ce quartier.
« Notre association créée en septembre 2011 se donnait pour enjeu de donner un visage urbain et inédit à Reims. Nous aspirions en tant qu’habitants, à porter le témoignage d’un passé à sauvegarder et à préserver, recélant des potentialités d’éco-citoyenneté. »
Unanimement, les membres de la commission « îlot Saint-Gilles » partagèrent l’idée de lancer une initiative autour des jardins partagés, et, adossés à cette initiative, pensèrent le concept de « village dans la ville ». Nous apprîmes alors que le jardin à l’état sauvage était la propriété de la ville, et qu’il semblait possible d’investir le lieu. Nous évoquions alors l’idée autour de nous, nous le partageâmes à l’ensemble des voisinages, des habitants de l’îlot…
Dès le début de cette aventure sociale et humaine, une quinzaine d’habitants nous ont rejoints. Nous décidâmes d’organiser en septembre un pique-nique pour partager- ensemble le concept de jardins partagés. Le 28 septembre, les statuts de l’association furent partagés et son objet précisé, notre souhait fut d’emblée d’entretenir l’histoire unique de ce quartier, de valoriser la typicité du lieu.
Notre association créée en septembre 2011 se donnait pour enjeu de donner un visage urbain et inédit à Reims. Nous aspirions en tant qu’habitants, à porter le témoignage d’un passé à sauvegarder et à préserver, recélant des potentialités d’éco-citoyenneté.
Au-delà de cultiver un jardin, nous avions conscience de donner du sens à notre démarche, d’aller au-delà d’une activité purement bucolique, et nous aspirions aussi à nous retrouver pour partager autour de la culture, autour des livres, de tous les livres. C’est ainsi que l’idée germa et nous donnâmes dès lors le nom de « Cultures à l’îlot Saint-Gilles », nom de notre association.
DE L’UTOPIE DU PROJET ÉCOLOGIQUE AU VÉCU ECO-CITOYEN
Rappelons pour l’anecdote que l’idée des jardins partagés est née à New York au début des années 1970, sous le nom de community gardens.
Une artiste du nom de Liz Christ vivait dans un quartier à Manhattan, qui fit le constat d’un nombre conséquent de terrains en friche au sein même de son quartier. Avec quelques amis, elle prit une initiative particulièrement originale, en lançant des « bombes de graines » par-dessus les grilles de terrains laissés en friche, pour les métamorphoser en jardins. Ce fut une aventure qui se répandit de par le monde et essaima de multiples initiatives au sein des cités et des quartiers. Les bombes de graines ont été ainsi semées dans le jardin de l’îlot Saint-Gilles, mais auparavant il a fallu avec le concours des habitants volontaires, biner, sarcler, herser, bécher puis planter.
« Nous n’avons pas fermé le lieu, et nous l’avons souhaité ouvert à son environnement, aux habitants en premier lieu, mais en conférant à notre jardin une dimension pédagogique en l’ouvrant aux écoles […] »
Nous avons d’emblée souhaité que le lieu soit ouvert et non fermé. Nous avons rapidement donné vie à ce jardin et la ruelle peu fréquentée fut à nouveau empruntée par d’autres habitants curieux de l’avancée de nos travaux. Ce fut l’occasion de bavarder, de recevoir mille encouragements à poursuivre la valorisation du lieu. Nous n’avons pas fermé le lieu, mais nous l’avons souhaité ouvert à son environnement, aux habitants en premier lieu. Nous avons conféré à notre jardin une dimension pédagogique en l’ouvrant aux écoles, afin de permettre aux jeunes de découvrir la diversité de la flore et de mieux connaître les plantes médicinales par exemple.
Le projet vit et imite aujourd’hui le modèle des béguinages, c’est-à-dire une alternative à la maison de retraite, un lieu adapté aux personnes retraitées et qui veulent vivre un environnement adapté à la mobilité.
RÉFLEXIONS CONCLUSIVES
A l’instar d’un Jacques Ellul, la technique a, selon l’historien et le sociologue, créé un milieu inhumain[i], en organisant la concentration des grands ensembles urbains, en nous arrachant à la nature, en fabriquant un homme atomisé. Or, à rebours d’un glissement d’une société absorbée par le tout technique, qui tend à déconstruire les relations entre les hommes, l’émergence dans la ville de jardins partagés, de villages dans la ville, tendraient à l’inverse à le réconcilier avec son milieu. L’homme ne serait plus ainsi dépossédé mais réconcilié avec son environnement, acteur de sa relation avec les autres. L’association s’inscrit de facto dans ce projet d’écologie humaine : habiter avec les autres
Pour ceux que cela peut intéresser, le texte intégral de la thèse doctorale (2013) de Sylvia Grünig, “Ivan Illich (1926-2002) : la ville conviviale” est disponible sur le site du Centre pour la communication scientifique directe du CNRS
http://tel.archives-ouvertes.fr/tel-00849958
De passage à l’Ilot Saint Gilles dans l’après-midi, pour jeter un regard sur l’avancée de l’entretien de notre Jardin partagé et géré par notre collectif d’habitants je fus frappé par QUELQUES MOTS écrits à la craie blanche sur l’ardoise qui affiche nos consignes aux jardiniers… Ces mots m’ont profondément touché, ces mots je tenais à vous les partager.
Le Jardin de l’Ilot Saint Gilles offre depuis quelques mois l’aspect d’un lieu baignant dans un havre de tranquillité, havre qui s’est installé depuis plusieurs mois, loin des premières agitations connues à ses débuts comme pour décourager l’aventure humains engagée par plusieurs d’entre nous.
Depuis un peu moins de trois ans les Habitants résidents du quartier se sont résolument engagés à œuvrer pour transformer radicalement un lieu sauvage envahi par des herbes folles… La volonté de ce collectif d’habitants fut de créer du lien, en posant un acte social, en donnant de la vie à ce qui n’était qu’un endroit sauvage, un lieu en friche…
Mais, il y a toujours un Mais, des jeunes gens étaient décidés au commencement de notre aventure de rendre notre tâche plus difficile que nous ne l’avions imaginé à ses débuts…
Très vite cette terre sauvage transformée par nos soins en jardin potager fut à nouveau dérangée, changée tour à tour en « terrain miné», parfois métamorphosée en barricades pour nous empêcher de déambuler. Une fois nous avons trouvé une sépulture…Bref tout pour indiquer à ce collectif d’habitants que l’entreprise de lien social, l’aventure d’écologie humaine, ne devait être à leurs yeux que la chimère de quelques utopistes du quotidien….Mais aucun d’entre nous ne s’en est laissé compter, nous sommes têtus, besogneux et aucun n’a eu de verbe haut, de ressentiments, de mots désagréables à l’endroit de ces jeunes… qui a contrario nous ont stimulé à persévérer…
Puis premier octobre, nouvel impact mais celui-ci à rebours des incivilités précédentes…Non une image touchante, un tableau sur lequel ses écoliers à culotte courte avaient décidé de nous signaler leur propre transformation….Ces mots ont une résonnance formidable, le début d’une utopie finalement réussie, la création de liens…Je vous laisse donc découvrir ces mots formidables….
«Désolé pour les désagréments dans le passé, nous avons grandi. Merci…On aimerait vous connaître… ! » Je me suis empressé de leur laisser un numéro de téléphone pour qu’ils me joignent, empressé de leur dire, que nous sommes touchés….
Cher Éric Lemaître,
Outre le livre “L’Europe et la Profondeur” de Pierre Le Coz qui développe aussi sur l’architecture, l’urbanisme, la Tour de Babel… voici une production personnelle, vidéo, d’un homme dans son paysage. Un coin du Cher, un artisan, mon père :
http://treuilsanaturemorte.blogspot.fr/2012/06/institut-de-beaute_17.html
& ce que j’avais communiqué avec Kim-Olivier Trévisan dans un article voisin du votre-ci :
http://treuilsanaturemorte.blogspot.fr/2013/07/institut-de-beaute-portrait-dun-homme.html
Il s’agit bien de se laisser toucher par son environnement & de grandir avec lui, dans les petites choses…
savoir y reconnaître des épiphanies…
Bien à vous, cordialement & au plaisir,
Sandrine Treuillard
Merci Sandrine pour ces références très utiles…
Voici un lien sur la médiatisation relativement à cette entreprise “utopique” et écocitoyenne …
http://www.lunion.presse.fr/region/l-ilot-saint-gilles-un-petit-coin-de-verdure-preserve-ia3b24n228824
Ce samedi 19 octobre 2013 nous réalisons une opération Jus de pomme (production de notre jardin), tous les habitants du quartier y sont conviés…L’objet est de poser une empreinte sur le quartier et poursuivre le rêve autour de cette dimension du verbe partager….Partager le Jardin, Partager la Culture, Partager la vie résidentielle (Béguinages)…
Une vidéo complète qui retrace l’aventure humaine et le projet…qui concile habitants et habiter …l’Urbanisme et l’Humain dans son milieu…
https://www.youtube.com/watch?v=L6OaqADcwW0
Suite de l’aventure de l’association Cultures à l’Ilot Saint Gilles
https://www.youtube.com/watch?v=-TSwXSnMfMM